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Intervention de Henriette Martinez

Réunion du 13 janvier 2011 à 15h00
Suivi des enfants en danger par la transmission des informations — Discussion d'une proposition de loi

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaHenriette Martinez, rapporteure de la commission des affaires sociales :

Monsieur le président, madame la ministre des solidarités et de la cohésion sociale, mes chers collègues, la proposition de loi aujourd'hui en discussion n'est pas un texte de circonstance, même si des événements dramatiques sont malheureusement trop souvent portés à notre connaissance. Elle n'est pas, bien sûr, non plus le fruit de mon imagination, mais le résultat d'un travail d'observation. Elle est aussi une nécessité. Ce texte est l'aboutissement d'une expérience personnelle, d'une réflexion et d'observations confirmées par l'actualité.

J'évoquerai tout d'abord mon expérience personnelle. En effet, maire pendant dix-sept ans et conseillère générale pendant dix ans, j'ai, durant tout ce temps, eu l'occasion de procéder à des signalements et de suivre des enfants en danger.

Quant à la réflexion, je l'ai menée au sein de notre assemblée, en qualité de rapporteure de la loi Jacob du 2 janvier 2004 relative à l'accueil et à la protection de l'enfance.

Cette proposition de loi est aussi le fruit du travail que j'ai réalisé, avec notre collègue Dominique Perben, alors garde des sceaux, pour l'élaboration du guide du signalement ; puis en tant que vice-présidente de la mission d'information « Famille et droits de l'enfant », qui a rendu son rapport en février 2006.

J'ai également activement participé à l'élaboration de la loi du 5 mars 2007 relative à la protection de l'enfance et j'ai déposé la proposition de loi qui vous est soumise aujourd'hui.

J'ai saisi Mme Nadine Morano, alors secrétaire d'État chargée de la famille, du problème de la transmission des informations d'un département à l'autre et j'ai participé, au printemps dernier, aux états généraux de l'enfance, où j'ai eu l'occasion de présenter cette réflexion et de recueillir, à cette occasion, l'approbation des associations présentes.

La proposition de loi s'inscrit dans la continuité de ce travail et les décès tragiques d'enfants confirment la nécessité de compléter la législation en vigueur : Nathan, trois ans, retrouvé en 2007, plusieurs mois après son décès survenu en août 2006 ; en janvier 2008, Enzo, trois ans ; Dylan en mars 2009, sept ans, n'est pas décédé, mais a été séquestré et gravement maltraité ; en septembre 2009, Marina, huit ans, a défrayé l'actualité. Le mois dernier encore, une fillette de sept ans, dans l'Allier, et une autre de trois ans, dans le Loiret, ont été torturées par leur mère.

La législation ne sera peut-être jamais complète pour protéger les enfants, mais nous devons avoir à coeur de l'aménager et de remédier à ses lacunes. Alors que le principe de précaution est de mise dans tous les domaines, il serait paradoxal qu'il ne bénéficie pas à nos enfants.

En 2009, le service national d'accueil téléphonique pour l'enfance en danger – le SNATED – excellemment présidé par notre collègue Patricia Adam, a transmis aux conseils généraux 9 235 informations préoccupantes, correspondant à 16 000 enfants en danger, dont 80 % se sont révélées fondées et ont réellement mérité un suivi. Je vous rappelle aussi que 265 061 mineurs sont pris en charge par les services sociaux et la protection de l'enfance.

Après avoir déposé cette proposition de loi en janvier 2010, j'ai procédé à une concertation, notamment avec les associations de protection de l'enfance, l'Assemblée des départements de France, qui réunit les présidents des conseils généraux, et recueilli l'avis positif du Médiateur de la République et celui de la commission nationale de l'informatique et des libertés. Le mois dernier, la commission des affaires sociales a apporté quelques modifications rédactionnelles au texte et, compte tenu de son arrivée rapide en séance publique, juste après l'interruption de nos travaux, j'ai de nouveau consulté la CNIL sur le texte adopté par notre commission, ainsi que la caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés et la caisse nationale d'allocations familiales.

La proposition de loi porte sur le signalement des enfants en danger et sur la transmission des informations préoccupantes. La loi du 5 mars 2007 a consacré le président du conseil général comme le pivot de la protection de l'enfance dans les départements. C'est au sein des conseils généraux que se sont formées les cellules de recueil des informations préoccupantes – les CRIP – qui filtrent les informations leur parvenant et diligentent les enquêtes sociales nécessaires pour vérifier la validité des situations et déterminer si les enfants sont « en danger » ou « en risque de l'être », distinction importante introduite par la loi de 2007.

En dépit de l'évolution favorable de la loi et bien que le suivi des enfants en danger soit correctement organisé grâce à la transmission des informations préoccupantes par les cellules et la coordination des professionnels de l'enfance au titre du secret professionnel partagé, il reste regrettable que, lorsqu'une famille quitte un département pour un autre, les informations ne soient pas transmises au-delà de cette frontière administrative. Outre le fait que des décrets d'application de la loi du 5 mars 2007 relatifs à la transmission des informations sont encore en préparation, certains aspects de cette question devraient être traités sur le plan législatif en vue d'une plus grande efficacité et d'une plus grande rapidité des interventions.

Si le suivi judiciaire des affaires les plus graves prévu par la loi ne soulève pas de problème, il n'en est pas de même du suivi administratif et de l'enquête sociale au stade des premières informations préoccupantes et de la première demande d'informations, de même que dans la phase de prise en charge sociale de la famille.

Ainsi, une famille peut quitter le département où elle réside lorsqu'elle se sent surveillée. Si l'enfant a de la chance, ce qui dépend bien souvent du hasard, de son environnement, du courage des personnes qui l'entourent ou de la possibilité de connaître la situation, un autre signalement peut intervenir, mais le conseil général du département d'accueil ignore qu'il y a eu un précédent, et la situation de danger pour l'enfant a, entre-temps, perduré.

Du reste, la famille peut déménager une ou plusieurs fois encore. Comme l'a rappelé Martine Brousse, directrice de l'association La Voix de l'enfant, la famille de la petite Marina, assassinée par son père, qui a dissimulé le corps dans une benne à béton, avait déménagé quatre fois, disparaissant après chaque signalement, bien que les enseignants aient fait leur travail et alerté les services sociaux, et en dépit de la convocation de Marina par la gendarmerie, où elle est malheureusement venue accompagnée de son père.

Au-delà du plan judiciaire, le suivi de ces enfants est donc également indispensable au niveau de l'enquête sociale. Sans préjuger bien sûr de ses conclusions, celle-ci doit pouvoir aller jusqu'à son terme, même en cas de déménagement de la famille, et le suivi social, le cas échéant, doit se poursuivre dans le département d'accueil.

Pour ce faire il faut donner au président du conseil général les moyens d'être véritablement le protecteur des enfants que la loi fait de lui et éviter de judiciariser toutes les affaires. Il n'est ni possible ni souhaitable de signaler à l'autorité judiciaire tous les déménagements. Or, aux termes de la loi du 5 mars 2007, lorsque les services sociaux savent qu'un enfant est réellement en danger, ils saisissent le procureur de la République, qui diligente une enquête pour retrouver la famille. Outre qu'il n'est pas possible d'envoyer les gendarmes ou la police rechercher toutes les familles concernées, cette procédure a souvent pour effet que l'on intervient trop tard si le risque est avéré.

La solution que je préconise est moins lourde : lorsqu'une famille qui fait l'objet d'une information préoccupante ou d'un suivi social change de département et disparaît sans laisser d'adresse, le président du conseil général doit pouvoir saisir les organismes servant des prestations sociales – caisse d'allocations familiales et caisse primaires d'assurance maladie – qui disposent de leurs fichiers, notamment du registre national inter-régimes des bénéficiaires de l'assurance maladie, le RNIAM, pour obtenir son adresse. Il la communique ensuite avec le dossier au président du conseil général du département d'accueil afin que celui-ci poursuive la procédure en cours, sans intervention systématique de la justice ou de la gendarmerie.

Il s'agit non pas de donner un accès direct à ces fichiers au président du conseil général, mais bien de lui permettre d'obtenir des organismes sociaux l'adresse de la famille aux seules fins de protéger les enfants. En effet, bien que chacun fasse son travail, le dispositif actuel, trop cloisonné, n'est pas satisfaisant.

Ainsi, j'ai récemment signalé un bébé qui me paraît être en danger, en expliquant que sa mère avait probablement déménagé et en indiquant le département où, selon moi, elle réside désormais. Le conseil général des Hautes-Alpes, qui a pris cette information au sérieux, m'a annoncé qu'il allait procéder à un signalement national. Cela signifie que le cas sera communiqué à tous les conseils généraux de France et que si, par hasard, on rencontre cette personne, on lui prêtera une attention particulière. C'est une bouteille à la mer, vous le comprenez.

Permettez-moi encore de citer un exemple qui illustre dramatiquement la nécessité de ma proposition de loi.

En 2006, le petit Nathan, un enfant de trois ans qui vivait dans les Alpes-Maritimes avec son père, la compagne de celui-ci et ses enfants, était régulièrement maltraité. La situation a été prise en charge par les services sociaux de ce département, qui ont fait leur travail. Lorsque la famille a soudain disparu, ces services sociaux, considérant que l'enfant était réellement en danger, ont alerté l'autorité judiciaire, qui a ouvert une information judiciaire. La gendarmerie, après avoir diligenté une enquête, a retrouvé la famille en février 2007 à Sisteron, dans les Alpes-de-Haute-Provence, à quelques kilomètres de chez moi. Malheureusement, Nathan n'était plus parmi les enfants de cette famille. Il s'est avéré très vite qu'il avait été battu à mort par son père et qu'il était enterré depuis août 2006. Le procès a eu lieu en juin 2010 à Digne, et c'est ainsi que j'ai découvert l'affaire.

Dans ce cas, dramatique, les procédures ont été conformes à la loi de 2007. Chacun a fait son travail, mais il était trop tard. La loi en vigueur ne permet pas d'avoir une réactivité suffisante. Si les services sociaux des Alpes-Maritimes avaient immédiatement disposé de la nouvelle adresse de la famille, sans doute aurait-on pu éviter que ce petit garçon de trois ans ne meure sous les tortures.

La proposition de loi qui vous est soumise a donc pour objet de permettre de mener à son terme, dans les meilleurs délais, l'enquête sociale ou le suivi de la famille, et de donner au président du conseil général, qui en a la responsabilité, les moyens d'assurer la protection des enfants en danger ou risquant de l'être pour pouvoir intervenir à temps. Il reviendra bien sûr à chaque département de prendre les dispositions nécessaires en fonction de ses structures et de ses pratiques.

Ce texte procède d'un principe de précaution qui, inscrit dans la Constitution pour la protection de l'environnement, doit s'appliquer aussi à la protection des enfants. À défaut de résoudre tous les problèmes, l'adoption de cette proposition de loi apportera un outil supplémentaire pour l'application de la loi de 2007 relative à la protection de l'enfance.

Je remercie tous mes collègues qui, par leur participation à ce débat et leurs propositions, ont fait avancer le texte. Réunie hier après-midi, la commission des affaires sociales a accepté plusieurs amendements fort judicieux venant de tous les bancs de l'Assemblée, ainsi qu'un amendement du Gouvernement. Ce dernier introduit l'information de l'autorité judiciaire, que je n'avais pas prévue. Ceux de mes collègues tendent à préciser explicitement que la transmission des informations n'est motivée que par la protection de l'enfant. Mme Edwige Antier et M. Bernard Gérard ont également attiré l'attention de la commission sur le rôle que doit jouer l'éducation nationale dans la prévention de la maltraitance, notamment par la communication aux services sociaux des absences scolaires des enfants suivis.

La commission des affaires sociales vous recommande donc d'adopter le texte ainsi amendé. Je ne doute pas que, sur un tel sujet, nous aurons la volonté de parvenir à un consensus et que le Sénat aura ensuite à coeur de faire aboutir rapidement cette proposition de loi dans le seul intérêt supérieur des enfants. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

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