Monsieur le président, madame la rapporteure et présidente de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes, monsieur le président de la commission des lois, mesdames les députées et monsieur le député – il en fallait au moins un ! (Sourires) –, vous allez examiner aujourd'hui une proposition de loi relative à la représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des conseils d'administration et de surveillance et à l'égalité professionnelle.
Je me félicite que, dans les deux chambres, les débats aient témoigné d'une évolution importante des mentalités en ne remettant plus en cause la compétence des femmes. Je rappelle qu'il ne s'agit en rien d'imposer un quota de 40 % de femmes, mais de veiller à un meilleur équilibre des occasions données aux femmes et aux hommes. Certains le savent ici, l'égalité entre les femmes et les hommes est l'un des combats qui ont fondé mon engagement politique et qui continuent de m'animer. Car, la réalité nous le montre : il reste encore beaucoup à faire.
Pourtant, nous ne partons pas de rien. Si vous me le permettez, je voudrais retracer les grandes étapes de l'histoire de la lutte pour la promotion de l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. Cette histoire s'est construite par étapes successives pour ouvrir aujourd'hui une nouvelle ère avec, désormais, des actions contraignantes.
En un quart de siècle, cinq lois ont fixé successivement le cadre de l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. La loi du 13 juillet 1983, dite « loi Roudy », opère le passage d'une logique de protection des femmes sur le marché du travail à une logique d'égalité reposant sur deux axes : l'égalité des droits et l'égalité des chances. En ce qui concerne l'égalité des droits, la loi étend notamment le principe « à travail égal, salaire égal à des emplois de même valeur »
S'agissant de l'égalité des chances en faveur des femmes, qui permet de remédier aux inégalités de fait dont elles font l'objet, la loi met en place des accords et des plans d'égalité avec l'implication des organisations syndicales. Rappelons au passage que l'accord national interprofessionnel sur l'égalité professionnelle, signé le 13 novembre 1989, engageait les branches professionnelles à établir un constat de situation à partir duquel pouvaient être définis des objectifs précis.
La deuxième étape est la loi du 9 mai 2001, dite « loi Génisson », du nom de votre collègue. Elle vise à développer le dialogue social sur l'égalité professionnelle dans la branche et l'entreprise. Elle crée une obligation de négocier sur l'égalité professionnelle au niveau de l'entreprise et des branches, tout en faisant de ce thème un élément transversal des négociations obligatoires.
Elle instaure par décret des indicateurs reposant sur des éléments chiffrés définis au sein du rapport de situation comparée des conditions générales d'emploi et de formation des femmes et des hommes.
Elle fixe aux organisations syndicales un objectif de réduction d'un tiers des écarts de représentation aux élections prud'homales et un objectif de représentation équilibrée pour les élections de comités d'entreprise et de délégués du personnel.
Troisième étape, la loi du 16 novembre 2001, quant à elle, améliore les protections des salariés vis-à-vis des discriminations en instaurant notamment un aménagement de la charge de la preuve qui oblige l'employeur à se justifier lorsque le salarié présente des éléments laissant supposer l'existence d'une discrimination.
La loi du 23 mars 2006 relative à l'égalité salariale entre les femmes et les hommes, dite « loi Ameline » – du nom d'une autre de vos collègues –, renforce l'obligation de négocier sur l'égalité professionnelle par une obligation de négocier des mesures de suppression des écarts de rémunération avant le 31 décembre 2010.
Cette loi de 2006 fait suite à l'accord national interprofessionnel du 1er mars 2004 relatif à la mixité et à l'égalité professionnelle entre les hommes et les femmes, accord signé par les cinq organisations syndicales représentatives de droit – CGT, CFDT, CGT-FO, CFTC et CGC –, ainsi que par le MEDEF, la Confédération générale du patronat des petites et moyennes entreprises et l'Union professionnelle artisanale. Belle unanimité !
Cet accord national interprofessionnel prend acte de la volonté des partenaires sociaux de négocier sur l'égalité professionnelle en adoptant une démarche globale et systémique intégrant tous les aspects de l'égalité professionnelle, qu'il s'agisse des salaires, du recrutement, de la formation, de la promotion, mais aussi de l'orientation scolaire et de l'articulation des temps de vie professionnelle et familiale.
Cette loi du 23 mars 2006 impose donc une vision large des inégalités salariales. Les écarts de rémunération visés sont les écarts de rémunération au sens large, quelle que soit leur cause, et pas uniquement les écarts de rémunération non justifiés.
La loi tend à conduire les partenaires sociaux à négocier avant la fin de l'année 2010 sur tout le champ de l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, avec un fil directeur opérationnel : la réduction des écarts de rémunération.
Elle vise la politique salariale de l'entreprise, mais aussi le recrutement, la formation, les promotions, la mobilité, l'articulation des temps de vie professionnelle et familiale sous l'angle de l'amélioration des rémunérations des femmes.
Enfin, la loi du 23 mars 2006 fixait un délai d'application : elle imposait aux branches professionnelles et aux entreprises de négocier afin de définir et programmer des mesures de suppression des écarts de rémunération entre les femmes et les hommes d'ici à 2010 en envisageant une contribution assise sur les salaires à l'issue du bilan des dispositions à mi-parcours.
Dans le cadre de cette loi, chère Marie-Jo Zimmermann – et je veux vous rendre ici un hommage appuyé –, vous aviez proposé des amendements contraignants pour faire bouger les lignes concrètement. Malheureusement, ces dispositions furent rejetées par le Conseil constitutionnel. C'était avant la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 qui permet désormais de prendre des mesures contraignantes allant dans ce sens. J'y reviendrai plus tard.
L'entrée en vigueur de la loi du 23 mars 2006 relative à l'égalité salariale entre les femmes et les hommes a tout de même permis une augmentation du nombre d'accords collectifs signés, tant dans les entreprises qu'au sein des branches professionnelles. Alors que, en 2005, on recensait 295 accords d'entreprise traitant de l'égalité entre les femmes et les hommes, on en recense 1 290 en 2009. De la même manière, alors que l'on recensait 41 accords de branche traitant de cette question en 2005, on en recense 107 en 2009.
Toutefois, le bilan tant quantitatif que qualitatif des négociations mérite d'être encore amélioré et les inégalités professionnelles demeurent importantes.
Ne nous y trompons pas : l'égalité professionnelle est encore loin d'être réalisée. Je n'en donnerai qu'un seul exemple : 55 % des entreprises n'effectuent pas le rapport de situation comparée des conditions générales d'emploi et de formation des femmes et des hommes. La loi du 23 mars 2006 a donné aux entreprises un délai de cinq ans, soit jusqu'au 31 décembre 2010, pour négocier des mesures de résorption des écarts de rémunération entre les femmes et les hommes. Cette date butoir est supprimée par la loi de réforme des retraites. Le défaut de négociation sera sanctionné par une mesure plus dissuasive, à savoir la pénalité financière.
C'est pourquoi des mesures importantes ont été prises à l'occasion de la loi portant réforme des retraites : un pas supplémentaire a été franchi.
La loi portant réforme des retraites du 9 novembre 2010 est la cinquième loi que j'évoquais. Elle renforce, pour les entreprises d'au moins cinquante salariés, l'obligation d'établir un rapport de situation comparée qui inclut dans son article 99 un plan de résorption des inégalités professionnelles. Cette loi franchit ainsi une nouvelle étape dans la lutte contre les écarts de rémunération entre les femmes et les hommes, écarts qui stagnent à des niveaux trop importants.
En effet, tous temps de travail confondus, les salaires des femmes sont inférieurs de 27 % à ceux des hommes, ce qui est considérable, comme je le rappelais en réponse à l'une de vos questions, chère Marie-Jo Zimmermann.
Ce seul chiffre montre combien la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui est importante : si elle n'est pas encore publiée, la loi sur les quotas fait déjà nombre d'envieux chez nos voisins européens. Elle conduit les entreprises d'au moins cinquante salariés à conclure un accord d'égalité professionnelle ou, à défaut, un plan d'action en faveur de l'égalité professionnelle. En outre, l'entreprise doit assurer la publicité du plan d'action adopté.
Une sanction financière s'appliquera aux entreprises d'au moins cinquante salariés, qui n'auraient pas conclu d'accord d'égalité professionnelle ou qui, à défaut d'accord, n'auraient pas défini d'objectifs et de mesures constituant le plan d'action défini dans le rapport de situation comparée des conditions générales d'emploi et de formation des femmes et des hommes.
Le montant de la sanction qui sera fixé par l'inspection du travail pourra aller jusqu'à 1 % de la masse salariale des rémunérations et gains bruts. C'est considérable. Ce montant sera modulé par l'autorité administrative, c'est-à-dire l'inspection du travail, en fonction des efforts constatés dans l'entreprise en matière d'égalité professionnelle et des motifs des défaillances observées dans des conditions prévues par décret en Conseil d'État.
Je serai particulièrement attentive à ce que les décrets d'application définissent clairement les modalités de suivi de la réalisation des objectifs et des mesures de l'accord comme du plan d'action, ainsi que la graduation des pénalités fixée par l'autorité administrative. Ces décrets seront publiés avant la fin du mois d'avril 2011, je m'y engage, madame la rapporteure.
Plus largement, l'ensemble de ces dispositions devra entrer en vigueur à compter du 1er janvier 2012.
Nous progressons et nous progresserons encore dans le domaine de l'égalité professionnelle. Cela suppose de faire bouger les lignes, et c'est précisément ce que vous avez fait avec cette proposition de loi. Il fallait avoir le courage de s'attaquer aux bastions les plus inaccessibles aux femmes : les lieux de pouvoir.
Pour l'anecdote, sachez que la célèbre rubrique du Bulletin Quotidien, présentant les nominations des personnes promues à de hautes responsabilités, vient d'opérer une mue inespérée : vous aurez peut-être remarqué que, depuis peu, la rubrique « Les hommes et les pouvoirs » est devenue « Les femmes, les hommes et les pouvoirs » (« Très bien ! » et sourires sur divers bancs), suite à un courrier que j'avais envoyé. En tant que militante féministe engagée, il me paraissait en effet important de souligner combien la sémantique peut rendre visible les femmes dans les lieux de pouvoir.