Vous ne voulez pas que les clients paient la facture, Monsieur Gaubert. Pour notre part, nous voulons éviter, avant tout, que ce ne soient les contribuables. C'est pourquoi nous nous employons à limiter les conséquences des risques. Notre « boîte à outils », qui a fait l'objet de trois débats au conseil des ministres et à laquelle je donnerai forme législative au printemps, procède d'une culture de la prévention.
Elle consiste à imposer une bonne supervision externe et interne à tous les établissements bancaires transnationaux présentant des risques systémiques. Ils devront se doter de comités de superviseurs au sein desquels les différents pays concernés seront représentés, et de comités de résolution ayant véritablement capacité d'agir lorsqu'un risque est diagnostiqué – un mauvais comportement, un conflit d'intérêts ou des erreurs. Ces deux comités devront être en mesure d'intervenir vigoureusement, par exemple en changeant le management, en interdisant certains produits ou certaines activités bancaires, en interdisant la distribution de dividendes ou en faisant appel aux créanciers – ce qu'on appelle le haircut.
Afin que les banques paient pour les banques, j'ai proposé également la constitution d'un « fonds de résolution » permanent, financé par les banques, à l'image de ce qui existe déjà en Suède et de ce qui va exister en Allemagne. Il s'agit d'instaurer, non pas une taxe alimentant le budget de l'Etat, mais une contribution affectée à un fonds spécifique, chargé d'intervenir afin d'éviter des catastrophes qui seraient finalement à la charge des Etats. L'adoption coordonnée d'un tel mécanisme au niveau européen devrait permettre de limiter le risque que les contribuables et les clients n'aient à payer l'addition.
Dans notre système concurrentiel, les clients doivent être bien informés. C'est pourquoi je crois beaucoup en une politique plus active en faveur des consommateurs : ils doivent être à même de vérifier ce qu'on leur demande de payer et de faire des comparaisons, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. J'ai donc interpellé les banques européennes sur leur manque de transparence et sur la disparité des frais qu'elles facturent. Donnant la préférence au contrat plutôt qu'à la contrainte, je leur ai donné un certain temps pour établir la transparence, mais ce temps ne sera pas infini : j'attends d'elles des progrès. Je prendrai également un certain nombre de dispositions, prévues dans l'Acte pour le marché unique, en ce qui concerne l'accès aux comptes bancaires et les prêts hypothécaires. Vous savez que je suis très soucieux de renforcer la protection des déposants – nous sommes déjà allés dans ce sens avec la garantie de 100 000 euros mise en place dans toute l'Europe ; il s'agit maintenant de renforcer la transparence des banques et l'information des clients.
S'agissant de Bâle III, nous ne donnons pas de leçons : nous voulons plutôt les tirer. Les assureurs nous disent qu'ils ne sont pas responsables de la crise, et nous pressent de ne pas les confondre avec les banquiers ; les responsables des hedge funds et des private equities prétendent qu'ils n'y sont pour rien, eux non plus ; les banquiers européens nous conjurent d'éviter tout amalgame entre eux et leurs homologues américains. Si on les écoutait tous, personne ne serait responsable de la crise ! Elle a pourtant eu lieu, et elle a conduit les Etats à intervenir pour sauvegarder le système bancaire et éviter que les citoyens et les clients des banques ne soient pénalisés. Nous devons en tirer les leçons en matière de supervision, de régulation, de transparence et de responsabilité : ce ne sera pas, Monsieur Gaubert, business as usual. Le problème est de bien calibrer les décisions et de s'assurer que toutes les régions du monde agissent de conserve.
Les mesures de Bâle III sont en train d'être finalisées au moment où je vous parle. Il me semble que le comité de Bâle, auquel nous avons participé activement en faisant valoir les spécificités européennes et les problèmes particuliers qui se posent dans tel ou tel Etat membre, est parvenu à un résultat assez réaliste et globalement équilibré. L'enjeu est maintenant de le mettre en oeuvre en ménageant des périodes de transition et en veillant à un calibrage aussi intelligent que possible et au parallélisme des actions entre Américains et Européens. Je serai particulièrement attentif à ce dernier point, car les Etats-Unis n'appliquent toujours pas Bâle II. Je m'en suis entretenu, les 9 et 10 mai derniers, avec Tim Geithner, le secrétaire américain au Trésor. Nous avons adopté un communiqué commun prenant acte de l'engagement américain de mettre en oeuvre totalement Bâle II au milieu de l'année 2011. Il restera ensuite à appliquer Bâle III, mais c'est un enjeu collectif.
La définition de mon périmètre par rapport à celui de la DG Concurrence est assez claire. Le Commissaire Almunia, avec qui je travaille quotidiennement, a des responsabilités extrêmement importantes en matière d'aides d'Etat et de concurrence. Ce matin même, nous avons travaillé au sein du collège des commissaires sur la sortie progressive du système de soutien actuel : des facilités et des avantages ont été consentis aux banques et aux entreprises dans le contexte de la crise et ces questions relèvent de sa responsabilité, la mienne portant sur la régulation, la supervision, la capitalisation bancaire, et plus généralement sur les leçons à tirer de la crise. Je ne vois pas, objectivement, quels pourraient être les conflits entre lui et moi.
Les transports sont inclus dans l'Acte pour le marché unique, Monsieur Voisin. Afin que le marché unique fonctionne mieux, il faut en effet que la liberté de circulation des hommes et des marchandises soit assurée. Avec le Commissaire Kallas, nous devons nous assurer de la cohérence des politiques menées en matière de ciel européen, de ports, de transport ferroviaire et de transport routier. Je me suis longuement entretenu avec lui, ce matin, de cette question. Il existe encore de nombreux blocages à lever, de nombreux problèmes techniques à résoudre. Vous savez que Siim Kallas doit bientôt publier un Livre blanc.
L'Acte pour le marché unique n'a pas vocation à regrouper toutes les politiques européennes, mais le marché unique est la plateforme de l'économie européenne, son « camp de base », pour reprendre une expression chère à Philippe Herzog, qui est mon conseiller spécial. Si cette plateforme fonctionne mieux, tout ce qui se développera sur cette base, qu'il s'agisse des initiatives privées ou des initiatives publiques, locales, régionales, nationales ou même européennes, n'en prospérera que mieux. Je pense par exemple à la question du brevet, qui entre désormais dans le cadre du marché unique et relève donc à ce titre de ma responsabilité : une fois qu'elle aura été réglée, la stratégie que ma collègue irlandaise est en train d'élaborer en matière de recherche et d'innovation en tirera atout.
Vous êtes bien informée, Madame Karamanli : il y a en effet 1 600 textes régissant le marché intérieur, mais je ne suis pas le seul à être confronté à ce foisonnement. Nous sommes au moins quinze commissaires à être concernés par leur utilisation, et c'est à treize que nous avons travaillé sur la question du marché intérieur. Le document qui vous a été remis est donc le fruit d'un travail collectif, que nous nous engageons à mettre en oeuvre en deux ans.
Comme vous l'indiquez, il y a des synthèses à réaliser entre la compétitivité et d'autres enjeux. Notre réussite en matière de compétitivité et de croissance implique toutes les entreprises, y compris les plus petites d'entre elles, ainsi que chaque citoyen européen. S'agissant des marchés publics, qui représentent 17 % du PIB, je vais proposer de revisiter les règles applicables afin de mettre davantage ces marchés au service de grandes politiques telles que l'inclusion sociale, la recherche et l'environnement. Lorsque j'ai eu l'honneur de présider un conseil général – je l'ai fait pendant 17 ans –, j'ai dû engager beaucoup de travaux routiers, notamment à l'occasion des jeux Olympiques. J'ai alors introduit, dans le cadre de tous les marchés de travaux publics, une option consistant à utiliser des gravats de destruction pour les soubassements et des pneus pour les talus ; les entreprises concernées ont joué le jeu, mais elles auraient pu contester cette option compte tenu de l'incertitude juridique qui régnait alors. Nous voulons un encadrement plus clair permettant aux donneurs d'ordres de favoriser certaines exigences d'intérêt général.
Franck Riester évoquait l'association des citoyens européens. La Commission européenne doit prendre sa part dans ce domaine : je le fais en venant aujourd'hui devant vous et en me rendant, une fois par semaine, dans un Etat membre. Toutefois, nous ne parviendrons pas à associer les citoyens européens à tous ces enjeux si nous agissons seuls. Sur la plupart des réglementations ou des législations que je suis chargé de proposer, j'ai fait le choix de multiplier les débats publics – ainsi en ce qui concerne l'Acte pour le marché unique – et d'organiser systématiquement des auditions publiques, ce qui est extrêmement utile. Sur les deux grandes régulations que j'évoquais tout à l'heure, concernant les ventes à découvert et les dérivés, j'ai décidé de nous accorder deux mois de plus, cet été : cela nous a permis d'assurer une bonne coordination avec les Américains, mais aussi d'améliorer les textes eux-mêmes. Les visites sur le terrain, les explications publiques, les consultations systématiques, les études d'impact microéconomiques et macroéconomiques sont désormais la règle pour tous les textes européens. Mais les parlementaires que vous êtes avez également un rôle essentiel à jouer, en venant à Bruxelles, en recevant les commissaires, en multipliant les initiatives et les débats publics. Il vous appartient de participer à ce travail nécessaire, dans l'intérêt de la vie démocratique, pour rétablir le lien entre le débat européen et le débat national.
Le Président Pierre Lequiller. Notre Commission s'efforce de contribuer à ouvrir le débat, notamment en organisant régulièrement des réunions avec les parlementaires européens. Nous avons également eu une visioconférence avec la commission Marché intérieur et protection des consommateurs (IMCO) du Parlement européen – c'était d'ailleurs une première. Nous réalisons aussi des missions communes dans le cadre franco-allemand, par exemple sur la question de l'adhésion de l'Islande.