C'est un très grand honneur pour moi de me présenter devant votre commission après avoir été pressentie par M. le Président de l'Assemblée nationale pour siéger, si vous m'en considérez digne, au Conseil supérieur de la magistrature, et veiller à l'indépendance de l'autorité judiciaire. C'est une mission dont je mesure d'autant plus l'importance que j'ai été élevée, depuis l'adolescence, dans le culte très républicain de cette indépendance ; mon père a fait une carrière de magistrat du siège, et je dois à sa mémoire de tout faire pour y contribuer.
Pour ma part, je n'ai pas choisi le métier de magistrat, ayant toujours eu pour vocation la transmission. J'ai voulu transmettre, plus encore que des savoirs, des aptitudes. Comme professeur de droit, il m'a paru essentiel de transmettre d'abord l'aptitude à la rigueur du raisonnement ainsi qu'à certaines valeurs. Pour tenter de développer ces aptitudes, et peut-être parce que j'ai été professeur de droit très jeune, je suis souvent sortie du monde universitaire. Pendant sept ans, j'ai travaillé en entreprise, chez Air France, tout d'abord à Roissy comme chargée des relations avec les délégués du personnel navigant, puis comme directrice-adjointe des ressources humaines et enfin, plus longuement, comme directrice des affaires juridiques. On m'a alors proposé le poste de secrétaire générale d'Air France, mais j'ai choisi de réintégrer mes fonctions à l'université. Par la suite, j'ai exercé pendant près de dix ans le métier d'avocat, tout en étant professeur de droit public, ce qui m'a permis de confronter mes enseignements à la pratique des différents degrés de juridiction. Ce fut à nouveau une expérience passionnante et très stimulante. Il m'est cependant apparu qu'il fallait faire un choix, notamment pour préserver une totale liberté d'écrire : cela fait donc plus de sept ans que j'ai cessé de plaider et d'effectuer des consultations.
Par cette confrontation avec le monde extérieur à l'université, j'espère avoir échappé à l'un des principaux risques qui guettent les professeurs : celui d'avoir toujours raison, du moins devant leurs étudiants, et partant de se remettre insuffisamment en cause. Ce risque, d'ailleurs, leur est commun avec les magistrats, qui, pour les justiciables, représentent par définition l'autorité. Si cette dernière est le socle de leur légitimité, elle suppose également que les justiciables aient confiance en leur indépendance et en leur impartialité. Nous savons qu'en cette matière, la partie n'est pas toujours gagnée d'avance. J'avais suivi avec beaucoup d'attention les auditions de la commission d'enquête parlementaire sur l'affaire d'Outreau, laquelle, en plus de révéler des insuffisances de moyens – de jeunes magistrats inexpérimentés étant livrés à eux-mêmes –, avait soulevé des questions touchant à l'essence même de l'institution. La composition du CSM et certaines conditions de formation des magistrats s'en étaient ainsi trouvées revues. Présidente des jurys du concours d'entrée à l'ENA en 2008, je m'étais aussi intéressée à la réforme des concours d'entrée à l'École nationale de la magistrature. Nous devons en effet nous assurer que les futurs magistrats, du siège comme du parquet, possèdent non seulement un bagage technique, mais aussi des qualités humaines, dès lors qu'ils ont le pouvoir de restreindre les libertés individuelles. Respect des justiciables, capacité d'écoute et aussi de doute doivent précéder leurs décisions, décisions qu'ils doivent par ailleurs rendre sans délais excessifs.
Qu'il existe une pluralité de fonctions, celle de juger et celle de poursuivre, la Cour européenne des droits de l'homme ne cesse de nous le rappeler, et dans un dialogue des juges, les conséquences en sont tirées avec une certaine force. Mais cette pluralité se combine, en France, avec l'unité du corps de la magistrature, avec le fait que tous les magistrats ont vocation à exercer les différents métiers alternativement et sont toujours soumis aux mêmes règles déontologiques, au respect desquelles le CSM doit veiller.
Les membres du CSM ont pour seule feuille de route la Constitution et la loi organique. Ils doivent faire preuve d'indépendance, d'indépendance et encore d'indépendance. Ils doivent faire preuve d'impartialité, laquelle va au-delà de l'indépendance bien que celle-ci en soit une condition absolue, d'intégrité et de dignité, celle-ci reposant notamment sur la conscience qu'il n'existe point de légitimité, pour les membres de l'institution, en dehors de son fonctionnement collégial.
Comment revendiquer toutes ces qualités ? J'espère seulement ne pas y faillir, si vous voulez bien m'accorder votre confiance. J'ai en tout cas conscience qu'il n'existe pas de plus belle mission, pour un professeur de droit, que de veiller aux valeurs qui fondent le pacte républicain, l'État de droit et la séparation des pouvoirs.