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Intervention de Jean-Paul Bailly

Réunion du 21 décembre 2010 à 17h00
Commission des affaires économiques

Jean-Paul Bailly :

Je tenterai de vous présenter en quelques minutes la stratégie de La Poste dans son environnement.

Je dirige La Poste depuis septembre 2002 : or, durant cette période, elle a beaucoup évolué. Il s'est agi en effet de la préparer aux enjeux de demain en établissant le socle lui permettant de réussir dans son futur environnement.

Le premier grand enjeu est l'ouverture des marchés, à laquelle La Poste se prépare depuis au moins dix ans dans le cadre dessiné par les directives européennes successives. Dans dix jours exactement, le marché sera entièrement ouvert, c'est-à-dire que toutes les activités de La Poste seront soumises à la concurrence, qu'il s'agisse du courrier, qui le sera au 1er janvier 2011, des colis – c'est chose faite depuis quelque temps déjà – ou du livret A, pour lequel c'est acquis depuis 2009.

C'est donc désormais le client qui décide et le citoyen qui choisit. Aussi s'agit-il de travailler sur la qualité du service, en faveur de l'innovation, de la rapidité, de la fiabilité et de la qualité de la relation de service, ainsi que sur les prix, en garantissant des tarifs accessibles, ce qui implique de maîtriser les charges.

L'ouverture du marché postal se traduit également par des opportunités de développement sur d'autres marchés européens – un des relais de croissance que vous avez évoqués.

La concurrence ne surgira pas le 1er janvier 2001 au matin mais elle montera en puissance, et ce sera sans doute surtout le fait de petits concurrents innovants, dont les services correspondront parfaitement aux attentes de nos concitoyens. Leurs tarifs sur ces niches seront peut-être également moins élevés. Il convient donc de s'y préparer par l'innovation, par l'amélioration de la qualité du service et par la maîtrise des tâches.

La mutation de notre société vers le numérique est, par ailleurs, un enjeu décisif : c'est un changement de société comparable à celui provoqué par l'arrivée du chemin de fer, de l'automobile et de l'avion. De plus, les entreprises ont accéléré les phénomènes de dématérialisation à l'occasion de la crise économique. Cette mutation représente un défi, qui se traduit par une diminution significative de l'activité principale et traditionnelle de La Poste : le courrier. Entre 2008 et 2015, on prévoit une diminution des volumes de l'ordre de 30 % – c'est la moyenne européenne –, la diminution en 2009 et 2010 ayant déjà atteint 12 %.

La société numérique est elle aussi porteuse, toutefois, d'opportunités avec le développement du e-commerce et d'un « Internet de la confiance » – très attendu en raison des problèmes qui se posent actuellement en matière de protection de la vie privée, en particulier. Notre stratégie consiste à s'adapter dans la durée, à la fois par l'anticipation – il ne faut pas attendre de se trouver au pied du mur –, par l'innovation et par le développement : tel est l'enjeu fondamental de l'entrée de la CDC au capital de La Poste et de l'augmentation du capital. Le programme de La Poste jusqu'en 2015 représente quelque 7,5 milliards d'euros d'investissements : le groupe peut en financer par lui-même 5 milliards, ce qui couvrira le coût des investissements courants. Seule l'augmentation de capital lui évitera de s'endetter davantage pour réaliser les investissements d'innovation et de développement, dont le coût est évalué à 2,5 milliards d'euros.

La Poste doit également prendre en compte les préoccupations de la société civile, qu'elles soient d'ordre environnemental ou sociétal – qualité de vie, santé au travail, égalité des chances, possibilité donnée au salarié de La Poste d'être un véritable acteur de sa vie professionnelle.

La Poste s'est préparée à ce défi sans précédent avec l'aide de l'État, des parlementaires et des élus locaux, qu'il s'agisse de l'organisation efficace par métier, du financement des retraites des fonctionnaires, ou de la création de la Banque postale, un relais de croissance qui a vu sa gamme s'élargir progressivement : nous avons commencé par le crédit immobilier – 4,5 % de parts de marché mais plus près de 8 % en flux –, avant de poursuivre, récemment, par le crédit à la consommation, exception faite du crédit revolving, et par l'assurance dommage. Nous projetons de nous attaquer désormais au financement de l'économie locale – artisans, commerçants, entrepreneurs et TPE.

Durant la même période, La Poste a eu les ressources pour investir dans la modernisation de l'outil logistique du courrier, ce qui nous permettra de disposer en 2011 de l'outil le plus moderne d'Europe, avantage décisif non seulement en termes de coûts et de qualité du service, mais également pour préparer les produits et les services de demain. Cet outil logistique, très numérisé, sera en effet capable d'intégrer tous les produits futurs, combinant le numérique et le matériel.

Nous avons également fait le choix résolu d'un réseau européen dans le domaine du colis et de l'express, cela en nous limitant à notre coeur de métier, c'est-à-dire au colis routier de moins de 30 kilogrammes à travers l'Europe – en y incluant la Russie et la Turquie. Compte tenu des difficultés de la poste allemande, on peut affirmer que la poste française est le leader européen du marché de l'express, lequel se développe très vite en raison de son rapport qualité-prix.

Il convient aussi d'apporter une réponse à la question de notre présence territoriale. Après des débuts marqués par une forte tension, nous avons progressivement trouvé, grâce à l'écoute, à la concertation et à l'innovation, les moyens de parvenir à des solutions consensuelles permettant de maintenir cette présence à la satisfaction des maires et des habitants des territoires concernés. Notre manière de développer des solutions innovantes est même devenue une référence. La dernière loi postale a, de plus, amélioré le financement du dispositif.

Nous avons, par ailleurs, apporté une réponse à la sempiternelle question de l'attente et à celle de la mauvaise prise en charge des clients dans les bureaux de poste les plus importants. Au début de l'année 2011, les 1 000 plus grands seront totalement transformés, dans le cadre d'une politique d'accueil et de prise en charge ; dans les dix-huit mois suivants, La Poste transformera les 2 000 bureaux restants. Dans la quasi-totalité des bureaux transformés, l'attente a été divisée par deux. Quant au taux de satisfaction des clients, qui n'avait jamais dépassé 50 %, il est passé en dix-huit mois à plus de 75 %.

Je vous l'ai déjà dit : des ressources nouvelles sont nécessaires pour le développement et l'innovation, afin de ne pas aggraver l'endettement de La Poste. Le changement de statut a à la fois rendu possible l'augmentation de capital et considérablement amélioré la manoeuvrabilité stratégique.

C'est également durant cette période que nous avons négocié et mis en oeuvre un modèle social permettant à tout postier qui le souhaite de continuer de travailler à La Poste, les départs n'étant que partiellement remplacés. Nous avons beaucoup travaillé, dans le cadre d'un accord avec les syndicats, à la qualité contractuelle des emplois – nous sommes passés de 8 % de CDD en 2002 à 3 % à l'heure actuelle. De plus, les emplois à temps partiel imposé ont quasiment disparu. Nous avons mis en place des organisations plus adaptables et progressé sur la question du développement des compétences – près de 10 % de promotions par an –, ce qui va de pair avec la modernisation et l'augmentation des qualifications. Nous avons également accompagné les changements d'organisation, indispensables pour nous adapter au changement d'environnement, en nous préoccupant de la qualité de vie au travail, de l'égalité des chances et du partage des fruits de la réussite – nous avons créé un intéressement qui donne de bons résultats depuis deux ans.

Nous avons, toujours sur la même période, essayé d'améliorer la performance en termes de rapidité du courrier : nous maintiendrons le « J + 1 » en l'état, tout en nous orientant vers des offres complémentaires mieux adaptées aux exigences écologiques ou aux progrès technologiques, notamment en termes de rapidité.

Nous avons réussi à maintenir nos résultats d'exploitation, y compris durant la crise. Pour les années 2008, 2009 et 2010, ils tourneront autour de 700 millions à 800 millions d'euros, grâce aux relais de croissance que sont, d'une part, la Banque postale et, de l'autre, le colis et l'express, sans oublier l'adaptation du courrier. Ce niveau est toutefois encore insuffisant pour financer le développement de notre activité, ce qui, je le répète, rend nécessaire l'augmentation du capital.

Je tiens à souligner que La Poste a maintenu sa performance économique durant ces trois années alors même qu'elle perdait, dans le même laps de temps, 12 % de son activité principale.

Nous avons investi chaque année entre 1 milliard et 1,2 milliard d'euros, ce qui nous permet de disposer d'un socle solide, grâce à la construction progressive d'un groupe multimétiers robuste, comprenant en son sein des relais de croissance.

Dans le cadre du plan stratégique pour 2015, il convient de positionner La Poste comme un groupe européen, leader dans les services de proximité, fondé sur les savoir-faire postaux et pour lequel la qualité de la relation de service et la confiance sont les éléments-clés.

La Poste est un groupe car il convient de préserver son unité et c'est un groupe européen, compte tenu de sa taille. Ce groupe est leader dans les services de proximité, contrairement aux Allemands et aux Néerlandais, qui ont choisi de se tourner plutôt vers la logistique lourde. Il est fondé sur les savoir-faire postaux parce qu'il désire en rester à son coeur de métier, sa force principale étant l'expertise de nos postiers. Enfin, la confiance et la qualité de la relation de service sont les fondements de l'image de La Poste. Nous pensons que cette stratégie correspond à l'attente de nos concitoyens qui souhaitent un service de qualité en termes d'accueil, de prise en charge, de rapidité, de sécurité et de fiabilité. Ils souhaitent également pouvoir choisir entre plusieurs produits, qu'il s'agisse des colis ou du conseil bancaire, et ils attendent que l'intérêt du client passe en premier.

Enfin, le service doit être accessible et, disant cela, je pense aussi bien à l'implantation de nos bureaux qu'aux horaires et aux tarifs. Cette accessibilité fait partie du coeur de nos missions de service public.

Nous avons cinq priorités.

La première est la parfaite exécution de nos quatre missions de service public : le service universel du courrier, la présence territoriale, l'accessibilité bancaire et la distribution de la presse. Ces quatre missions sont à la fois la fierté et les raisons d'être de La Poste. Ils forment le socle de la confiance. Elles correspondent de plus à un cahier des charges précis, inscrit dans la loi ou défini de manière contractuelle – le contrat de présence territoriale ou le contrat presse signé par La Poste, les organisations de la presse et l'État.

Les accords relatifs à la presse et à l'accessibilité bancaire sont respectés. Quant à l'accord sur la présence territoriale, non seulement il est respecté, mais il sera amélioré grâce au contrat tripartite entre l'État, l'Association des maires de France et La Poste – approuvé par le bureau de l'AMF et par le conseil d'administration de La Poste, il sera signé au début de l'année 2011.

Ce contrat tripartite se traduira par des avancées majeures. Le fonds de péréquation postal sera porté de 135 à 170 millions d'euros par an, ce qui permettra d'élargir le champ d'application du contrat de présence postale. Alors qu'il ne concernait auparavant que les zones rurales et les zones de montagne, il couvrira désormais les zones urbaines sensibles et les DOM. Il valide des règles du jeu qui se pratiquaient sans être définies dans aucun texte : il garantit non seulement 17 000 points de contact en France mais également un nombre déterminé de points par département ; pour l'ouverture d'une agence postale communale ou d'un relais poste commerçant, il requiert l'accord du conseil municipal. Les horaires ne pourront être modifiés qu'après un temps d'analyse et de diagnostic, proportionnellement à l'évolution de l'activité constatée et une seule fois au cours de la période de trois ans couverte par le contrat. Par ailleurs, il élargit le rôle des commissions départementales de présence postale territoriale (CDPPT), notamment en ce qui concerne la part de financement dont elles disposaient et qui ne pouvait être affectée qu'à la modernisation des points de présence postale demeurant des bureaux de poste. Désormais, elles pourront aider au financement de vraies mutualisations quand l'agence postale demeure dans l'ancien bureau de poste, de mise en accessibilité des mairies si l'agence y est installée, de points de contact supplémentaires, voire d'installation de distributeurs de billets. L'objectif est de ne pas se contenter de la modernisation des petits bureaux de poste mais d'améliorer localement le service postal.

La deuxième priorité est la performance économique, qui est centrale, car elle conditionne la pérennité de La Poste comme le développement des investissements et de l'innovation. Elle exigera beaucoup d'efforts, dans le respect de nos missions de service public et de notre modèle social.

La troisième priorité est la qualité de la relation de service : le choix et l'intérêt du client doivent être nos guides, et nous développons une politique d'engagements à l'égard du client, qui s'ajouteront aux engagements nationaux relatifs par exemple aux délais de distribution du courrier ou à la résorption de l'attente dans les bureaux de poste. Il y aura en outre des engagements locaux, bureau par bureau, préparés avec les postiers, les clients et les élus.

La quatrième priorité, renforcée, pour laquelle l'augmentation de capital est nécessaire, est l'innovation. Il conviendra de s'appuyer sur les attentes des clients. On vient ainsi de lancer So Colissimo, qui permet au destinataire final de choisir la manière dont il souhaite recevoir le colis. Nous avons également la capacité de concevoir les produits de demain comme rassemblant le meilleur du papier et du numérique, en particulier en termes de confiance. Digiposte est ainsi le coffre-fort virtuel et personnalisé de La Poste. Si vous comparez l'e-mail et le courrier traditionnel, le premier est comme une carte postale : il ne garantit aucune confidentialité. L'Internet de la confiance permettra de retrouver sur Internet la qualité du courrier traditionnel en termes de confidentialité.

La cinquième et dernière priorité est le développement, notamment à la dimension de l'Europe pour le colis et l'express. Nous souhaitons développer la chaîne de valeur des services existants, en particulier en direction des entreprises ou des collectivités territoriales. Nous avons déjà acquis certaines filiales que nous faisons travailler ensemble, dans le domaine de l'éditique ou du numérique. Nous souhaitons offrir aux entreprises ou aux collectivités un service global, qui part des fichiers, passe par la capacité à éditer des documents, à les trier et à les distribuer, à gérer le retour, à numériser l'information et à l'archiver. Ce développement exige de gros investissements.

La Poste souhaite également développer des services nouveaux : les facteurs étant des agents de proximité et de confiance, le groupe commence de signer avec des conseils généraux, comme celui de La Manche, des contrats autorisant le portage de médicaments ou prévoyant que le facteur passe chez certaines personnes pour s'assurer de leur bon état de santé.

Je tiens à rappeler que le courrier recouvre deux domaines : l'échange d'informations – le courrier de gestion – et le marketing direct, domaine qui se porte le mieux, alors que le courrier de gestion chute rapidement. Le marketing direct a, de plus, un fort potentiel de développement, du fait qu'il est peu utilisé par les TPE et les PME – 5 % d'entre elles seulement l'utilisent. C'est la raison pour laquelle nous avons créé une régie permettant à ces entreprises d'intégrer le marketing direct dans leur plan médias, à côté de la radio, de la télévision et d'Internet. Il convient donc de travailler très en amont afin d'augmenter les usages et de récupérer l'activité.

L'exigence est la même en ce qui concerne le colis, avec le développement du B to C (business to consumer), notamment en Europe – tous les clients qui font du B to B (business to business) veulent également faire du B to C en raison du développement d'Internet. Il convient de combiner les deux, ce qui n'est pas facile.

Je pense que le modèle social et la performance économique sont les deux faces de la même médaille. L'un ne va pas sans l'autre, la réussite économique supposant des postiers motivés. Et, si le modèle social est le socle de la confiance des postiers, le développement durable est le socle de la confiance de nos concitoyens.

Enfin, je tiens à préciser que nous ne voyons pas la CDC comme un partenaire financier mais comme un partenaire stratégique de long terme. Nous avons déjà prévu des rencontres afin de travailler sur des thèmes de développement et de synergies, comme le service à l'économie locale, le service aux territoires ou le développement de la e-administration.

Mon engagement consiste à poursuivre la nécessaire mutation de La Poste dans le cadre du plan pour 2015 dont je viens d'évoquer les grandes lignes. J'ai la conviction que cette entreprise a un très bel avenir devant elle si elle sait innover et se moderniser tout en restant fidèle à elle-même. Or c'est dans cet esprit que j'ai travaillé tout au long de ma vie professionnelle.

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