C'est avec joie que je viens à nouveau devant vous aujourd'hui, afin de participer à une séance de travail sur un thème qui, s'il est extrêmement technique, n'en demeure pas moins fondamental pour notre système énergétique : la transposition en droit français de deux directives concernant les règles communes pour le marché intérieur de l'électricité et du gaz – respectivement 200972 et 200973 – du Parlement européen et du Conseil du 13 juillet 2009 désignées comme le troisième paquet électrique, énergétique et gazier, ou, « troisième paquet MIEG ». Elles contiennent en l'occurrence une série de dispositions souvent identiques et très précises portant essentiellement sur deux sujets.
Le premier concerne la protection accrue des consommateurs et le renforcement de leurs droits, lequel a trouvé une issue législative à l'occasion de la loi NOME : extension du droit de la consommation aux « non professionnels » – copropriétés, collectivités locales, par exemple – et non aux seuls particuliers en ce qui concerne les contrats de fourniture d'énergie ; mesures pour améliorer la facturation des consommateurs sur la base d'éléments objectifs ainsi que le règlement des éventuels litiges ; règles permettant de faciliter la résiliation des contrats de fourniture d'énergie et le changement de fournisseur dans des délais plus stricts ; enfin, gratuité de l'accès du consommateur à ses données de consommation. Notre droit, dans ce domaine et dans l'intérêt de l'ensemble des consommateurs, me semble satisfaisant.
Le deuxième sujet de ce « troisième paquet MIEG » et qui est au coeur de ces directives depuis 2003 concerne les règles d'interaction entre les différentes filiales d'un groupe électrique ou gazier qui serait présent tant dans les secteurs de la production ou de la vente aux clients finals – activité dite « de fourniture » – que dans celui de l'infrastructure – transport ou distribution d'électricité ou de gaz. Ces groupes dits « intégrés » sont au nombre de trois dans notre pays : EDF, GDF-Suez et Total.
Je tiens à évoquer trois points fondamentaux.
Le premier concerne la raison d'être de ces mesures.
Dans un marché ouvert, c'est-à-dire offrant à chaque fournisseur, européen ou non, la possibilité de s'installer, il importe que les infrastructures indispensables au fonctionnement du système – il est souvent question, dans le domaine de la théorie économique, d'« infrastructures essentielles » – puissent être utilisées de façon identique par l'ensemble des fournisseurs. Or, cette règle de bon sens peut devenir difficile à appliquer dans l'hypothèse où les infrastructures sont détenues par l'un des fournisseurs : en effet, pourquoi ce dernier laisserait-il ses compétiteurs les utiliser ? C'est précisément pour répondre à cette question que le principe d'indépendance des gestionnaires de réseaux a été posé et que son inscription dans le droit s'impose pour qu'il soit effectif. En outre, il doit être complété par son corollaire, qui est l'accès transparent et non discriminatoire des tiers à ces infrastructures sous le contrôle d'un régulateur indépendant. Trois lois successives ont permis de mettre en place ces dispositifs : la loi n° 2000-108 du 10 février 2000 relative à la modernisation et au développement du service public de l'électricité ; la loi n° 2003-8 du 3 janvier 2003 relative aux marchés du gaz et de l'électricité ainsi qu'au service public de l'énergie ; enfin, la loi n° 2004-803 du 9 août 2004 relative au service public de l'électricité et du gaz ainsi qu'aux entreprises électriques et gazières. C'est à l'occasion de cette dernière que les filiales en charge des infrastructures ont bénéficié de l'indépendance juridique et sont donc devenues, comme RTE, GRT-gaz (groupe GDF-Suez) ou TIGF (groupe Total), des sociétés à part entière dotées d'actifs propres et de règles de gouvernance modernes. Toutefois, en 2007, la Commission européenne a souhaité renforcer ces règles, non pas tant vis-à-vis de la France, puisque nous respections déjà largement l'esprit des directives précédentes, qu'à l'égard d'autres États moins outillés que nous. C'est ainsi que de nouvelles discussions ont eu lieu, de septembre 2007 à juillet 2009.
Deuxième point fondamental : la rudesse de la discussion et, finalement, la prévalence de la position française grâce à une unité et une cohésion absolues entre les pouvoirs exécutif et législatif. En effet, le projet originel de la Commission européenne visait à imposer le démantèlement des groupes intégrés en n'offrant en guise d'alternative qu'un modèle de gestion si complexe qu'il en devenait rédhibitoire. C'est donc grâce à notre pays qu'une troisième voie a été ouverte, laquelle repose substantiellement sur le système qui est en vigueur chez nous et qui a fait ses preuves. Certes, quelques ajustements sont nécessaires, mais l'essentiel est acquis : un dispositif à venir, largement fondé sur le précédent puisque la directive européenne offre comme option une modélisation inspirée de notre exemple.
Troisième point : les raisons pour lesquelles le Gouvernement a proposé de procéder par ordonnance à l'occasion de la proposition de loi portant diverses dispositions d'adaptation de la législation au droit de l'Union européenne présentée par Jean Bizet et Gérard Longuet qui sera discutée lundi prochain à l'Assemblée nationale. Ce choix a donc semblé le plus pertinent compte tenu des contraintes de calendrier – échéance du mois de mars 2011 –, du parti pris conforme aux conceptions de la majorité et de l'opposition – mise en place de la troisième voie –, du fait que les dispositions relatives aux consommateurs aient pu être intégrées au sein de la loi NOME et, enfin, en raison de la très haute technicité de la plupart des dispositions.
Toutefois, connaissant l'importance que ce texte revêt pour vous, j'ai non seulement accepté, ce qui va de soi, l'invitation du président Poignant à venir en discuter, mais je me tiens à votre disposition pour prolonger ces échanges ultérieurement et que je suis favorable à la création d'un groupe de travail avec les parlementaires qui le souhaitent. Je tiens également à préciser que le texte est discuté par l'ensemble des opérateurs concernés dans un climat bienveillant et qu'il évolue dans un sens consensuel.
Enfin, je vous informe que l'ordonnance sera soumise pour avis au Conseil supérieur de l'énergie, présidé par Jean-Claude Lenoir.
J'en viens aux dispositions les plus structurantes de ce document.
Tout d'abord, l'ordonnance prévoit la modification de l'article 6-1 de la loi de 2004 pour imposer des règles spécifiques de déontologie à quelques personnalités de l'entreprise, tels que les dirigeants et adjoints en charge de la gestion du réseau ainsi que certains administrateurs. Ces dernières préserveront toutefois autant que possible la mobilité et les compétences au sein de ces groupes, notamment entre filiales régulées.
Ensuite, l'indépendance des filiales de transport supposera désormais la détention en propre des moyens humains, techniques et financiers afin d'éviter des interactions trop profondes entre les filiales et la maison-mère. Le projet d'ordonnance a ainsi visé à concilier un certain pragmatisme avec les principes d'interdiction de services partagés avec la maison-mère. En matière informatique, les prestataires pourront être les mêmes compte tenu du petit nombre de sociétés, mais des règles strictes de confidentialité devront être respectées. Par ailleurs, cette règle souffrira des exceptions puisqu'un régime d'accords commerciaux et financiers sera possible entre filiales et maison-mère dès lors que les prestations sont étroitement contrôlées par le régulateur et ne portent pas atteinte à l'indépendance ou au bon fonctionnement du système. La formation ou la R&D, par exemple, pourraient compter au nombre des domaines concernés.
De plus, parce que l'indépendance réside essentiellement dans le choix des investissements, il sera désormais demandé aux opérateurs d'infrastructures d'élaborer des plans ou des schémas décennaux de développement de leurs réseaux, outils largement inspirés des exercices français de planification des investissements électriques et gaziers mis en oeuvre à la demande du Parlement. Si ces derniers viennent à manquer, la Commission de régulation de l'énergie (CRE) pourra y remédier.
En outre, l'ordonnance instituera une procédure nouvelle dite de certification, laquelle sera confiée à la CRE. La certification ne sera délivrée qu'après vérification du bon respect de l'ensemble des règles d'indépendance par les sociétés de réseaux de transport.
J'ajoute que l'ordonnance a un impact limité s'agissant de la détermination des tarifs d'utilisation des infrastructures, mission dont les directives imposent qu'elle soit confiée au régulateur. Quoi qu'il en soit, la transposition autorise le Gouvernement à continuer de jouer un rôle important puisqu'il sera non seulement consulté en amont et tout au long du processus d'élaboration des tarifs, mais qu'il donnera aussi des orientations politiques quant aux principes à respecter et pourra, in fine, demander au régulateur une nouvelle délibération s'il considère que ces orientations ont été insuffisamment prises en compte. En définitive, le partage des rôles ne différera guère de la pratique actuelle.
Enfin, ponctuellement, de nouvelles compétences seront confiées à la CRE via la surveillance des marchés de détail de l'énergie – qui existe déjà en droit français –, mais également de nouvelles prérogatives quant aux refus d'accès ou de raccordement aux infrastructures. Ses prérogatives concernant les sanctions seront renforcées, d'où le travail de précision des textes actuels.
Vous le constatez, les principes définis ne remettent nullement en cause les groupes énergétiques intégrés auxquels nous sommes très attachés, non plus que les équilibres actuels du droit de l'énergie.
S'agissant du calendrier, monsieur le président, je propose que le groupe de travail dont vous avez suggéré la constitution se réunisse tout au long du mois de janvier de manière que le Conseil d'État soit saisi au mois de février, le vote ayant dès lors lieu le mois suivant.
La transposition du 3ème paquet est diversement avancée selon les États membres. Le Royaume-Uni et les Pays-Bas ont choisi la voie de la séparation patrimoniale, soit celle du démantèlement des groupes intégrés. L'Allemagne et le Luxembourg finalisent quant à eux la rédaction du texte, lequel est examiné en ce moment même par le parlement autrichien. Je me propose, à ce propos, de vous communiquer un panorama plus complet des différentes situations en Europe.
La Commission européenne organisera dès le mois de janvier des entretiens avec chaque État membre pour faire le point sur l'état d'avancement de ce dossier. Elle a d'ores et déjà rempli sa mission en installant l'Association européenne des régulateurs.