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Intervention de Anne Lauvergeon

Réunion du 14 décembre 2010 à 18h00
Commission des affaires économiques

Anne Lauvergeon, présidente du directoire d'AREVA :

Cela n'est pas de mon ressort, mais il est clair que c'est un vrai sujet.

Nous séparer de nos mines d'uranium serait en tout cas une énorme erreur stratégique. Ce serait la fin de notre modèle intégré et de notre capacité à remplir nos usines de transformation en France – autant dire une folie.

Air France doit-il fabriquer ses propres avions ? Posez la question à son président : il vous répondra « chacun son métier » ! Il y a suffisamment d'enjeux lorsque vous développez un métier à l'échelle mondiale pour ne pas multiplier vos métiers – le Concorde reste d'ailleurs le seul avion qu'ait fabriqué Air France. Si rien ne s'oppose donc à ce qu'un électricien fabrique ses propres réacteurs, il s'agit là aussi de métiers différents.

Quant à la transparence, c'est mon credo. J'ai ouvert les portes et les fenêtres de la COGEMA – qui avait longtemps été une sorte de bunker. La transparence est la seule méthode moderne pour faire fonctionner l'industrie nucléaire de manière durable. Le nucléaire ne doit pas être un tabou. Mais la transparence, c'est aussi un comportement éthique. L'accord que nous venons de signer en Inde représente environ 7 milliards d'euros. Il a été négocié sans la moindre commission – et nous tenons tout particulièrement à cette éthique : c'est notre ADN !

L'uranium est le pétrole du vingt-deuxième siècle. Il faut donc avoir des réserves partout dans le monde.

Sans surprise, le retour des déchets vitrifiés en Allemagne a en effet été mouvementé. Le Bundestag est en train de voter l'allongement de la durée de vie des centrales nucléaires, alors qu'il y avait un consensus pour les fermer plus tôt. Cela ne se fait pas sans heurt.

Vous l'avez dit, il y a de plus en plus de contrôles – et c'est très bien. Il faut que le gendarme soit efficace.

Vous me demandez si nos réactions sont suffisamment rapides. Sans doute faites-vous écho à ce qui s'est passé au CEA à Cadarache. De même, on nous a reproché, dans l'affaire de la SOCATRI, d'avoir mis trois heures à donner l'alerte. En général, les équipes veulent d'abord comprendre ce qui se passe – pour pouvoir le décrire. Ce n'est plus ce qu'on attend de nous : il faut signaler toute anomalie, même si nous ne sommes pas capables de l'analyser. Le fax fera foi – tel est le monde d'aujourd'hui.

La quatrième génération est-elle le rêve d'Icare ? Non, elle est bien là : le prototype ASTRID va être lancé. Nous en assurerons l'ingénierie de la définition de l'ïlot nucléaire et du contrôle commande. En revanche, cela relève bien du rêve d'Icare d'imaginer qu'il n'y aura pas de déchets. Quelle activité humaine n'en produit pas ? La fusion solaire elle-même, à supposer que l'on arrive à la reproduire, ferait des déchets.

J'en viens à ce que vous appelez la « défaite française » aux Émirats arabes unis. Il s'agit en fait d'une défaite française et américaine. Nous étions huit à démarrer, trois en lice pour la dernière compétition. Permettez-moi tout d'abord une remarque : si nous ne voulons concourir qu'à condition d'être sûrs de gagner, autant arrêter notre métier ! Cela ne peut être, comme on l'a entendu, la fin du monde et de l'industrie nucléaire française chaque fois que nous perdons quelque part ! Laissez-moi vous dire que nous perdrons encore un certain nombre de compétitions, parce que nous ne voudrons pas les gagner au prix où elles seront – et j'y tiens : gagner dans n'importe quelles conditions est une folie.

Une première version incrimine le « marketing » de l'équipe France : nous aurions été désorganisés et le produit n'était pas le bon. Nous étions, je le rappelle, trois dans la compétition : les Coréens, les électriciens américains et Hitachi et les Français. Pour être franche, nous avons toujours pensé que cela se jouerait entre les Américains et nous. Les Coréens ne pouvaient en effet justifier d'aucune expérience internationale, et le réacteur qu'ils proposent n'est pas de génération III.

Que s'est-il donc passé ? Lorsque j'ai annoncé en France que les Émirats voulaient faire du nucléaire, je me suis heurtée au scepticisme – comment un pays pétrolier pouvait-il être désireux de se lancer dans cette aventure ? Je suis allée voir le président d'EDF, car nous avions besoin d'un opérateur. Il était lui aussi sceptique ; et lorsque l'appel d'offres a été lancé, il a refusé de se joindre à nous. Nous avions dès lors deux stratégies : ne pas y aller ou y aller avec un autre opérateur. GDF-Suez a accepté d'être cet opérateur, puis Total nous a rejoints.

À l'époque, EDF et GDF-Suez étaient en compétition pour le deuxième réacteur EPR français. Si nous sommes toujours neutres par rapport au client, je me suis permis de dire à qui de droit que le choix qui serait fait ne serait pas sans incidence sur celui des Émirats. Et le Gouvernement a pris la décision de choisir pour la deuxième fois EDF… Une semaine plus tard, les Émirats me faisaient savoir que si notre technologie EPR était bien placée, nous n'avions pas le bon opérateur puisque notre gouvernement, lui, optait pour un autre électricien ! Ils souhaitaient comme opérateur EDF, qui n'était toujours pas prêt à y aller. Nous avons passé six mois à essayer d'infléchir la situation – avec des réunions à l'Élysée quasiment toutes les semaines. A la fin du processus, tout était parfait : nous avions trois opérateurs investisseurs : EDF, GDF-Suez et Total. AREVA ne venait qu'ensuite, puisque nous ne fournissons que l'îlot nucléaire. La leçon de tout cela est qu'il faut être bien conscient que ce que nous faisons en France est suivi de près à l'étranger !

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