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Intervention de Brigitte Grésy

Réunion du 23 novembre 2010 à 18h00
Délégation aux droits des femmes et l’égalité des chances entre les hommes et les femmes

Brigitte Grésy, membre de l'Inspection générale des affaires sociales, IGAS :

J'interviens en tant qu'auteur du rapport préparatoire à la concertation avec les partenaires sociaux sur l'égalité professionnelle entre les hommes et les femmes, qui a maintenant plus d'un an d'existence.

L'article 99 de la loi sur les retraites apporte une solution législative à la question de la sanction en cas d'absence de dispositif relatif à l'égalité professionnelle, mais il ne traite pas des autres sujets qui avaient été évoqués dans mon rapport. Le Premier ministre l'a reconnu au moment où il a installé l'Observatoire de la parité en souhaitant que cet observatoire fasse des propositions pour un éventuel projet de loi sur l'égalité professionnelle. L'idée d'un projet de loi en dehors de l'article 99 n'est donc pas totalement exclue par les pouvoirs publics.

L'article 99 a été voté à la dernière minute, en raison de l'échéance du 31 décembre 2010 imposée par la loi de mars 2006 qui disposait qu'« une sanction pourra être établie s'il n'y a pas suppression des écarts de rémunération au 31 décembre 2010 ». Un tel article était sans aucun doute indispensable, mais il n'a pas clarifié le paysage législatif.

Le système actuel est, en effet, extrêmement ambigu : certains juristes interprètent l'article 99 comme s'appliquant à la négociation spécifique sur l'égalité professionnelle, et d'autres comme édictant une obligation d'avoir un accord ou, à défaut, un plan pour l'égalité salariale.

Les dispositions législatives et réglementaires concernant le rapport de situation comparée sont elles-mêmes ambiguës. À l'origine, il s'agissait d'un diagnostic chiffré qui pouvait aussi servir de plan ; aujourd'hui, l'article 99 précise les objectifs chiffrés, les mesures prévues et l'évaluation de leur coût, que doit comporter le rapport de situation comparé (RSC), pour les entreprises de plus de 300 salariés, et le rapport de situation économique, pour les entreprises de moins de 300 salariés.

Les dispositions régissant le RSC viennent donc de changer. Mais notre double système demeure : d'une part, celui qui nous vient de la loi Génisson de mai 2001, et qui est basé sur l'obligation de négocier spécifiquement sur l'égalité professionnelle, tous les ans et, à partir du moment où il y a un accord, tous les trois ans ; d'autre part, celui institué par la loi sur l'égalité salariale de mars 2006, fondé sur l'obligation de négocier annuellement sur les salaires dans le cadre de la négociation annuelle obligatoire (NAO) et, à défaut d'accord, sur la production d'un plan unilatéral par l'employeur, avec procès-verbal de désaccord dûment identifié.

Comme je l'ai analysé dans mon rapport, il est devenu, en pratique, impossible de faire un reporting. La Direction générale du travail (DGT) et la Direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES), ont bien du mal à savoir si elles sont en face d'un accord NAO ou d'un accord spécifique – à moins d'examiner contenu de l'accord, ce qui est matériellement impossible, surtout dans une période de reconfiguration du système des directions du travail. De ce fait, le système de sanction est quasiment inapplicable. C'est pourquoi l'article 99 renvoie à des décrets le soin de préciser les modalités de la sanction et de la transparence, sur la base de critères clairs, précis et opérationnels – grâce à un amendement adopté au Sénat.

Pourtant toute une série de sanctions sont possibles.

Premièrement, les sanctions pour délit d'entrave demeurent.

Deuxièmement, on peut toujours appliquer la loi de 2008 en faveur des revenus du travail, qui prévoit que les entreprises n'ayant pas négocié sur les salaires subiront une diminution de leurs allègements de charges de 10 % la première année, diminution pouvant aller jusqu'à 100 % la troisième année. En effet, la loi de mars 2006 sur l'égalité salariale disposait déjà que, dans le cadre de la NAO, il fallait travailler sur l'égalité professionnelle. Les entreprises n'ayant pas négocié sur les salaires, ni donc sur la NAO « égalité salariale », laquelle égalité est intégrée dans la NAO globale, pourraient être concernées. Beaucoup de juristes considèrent d'ailleurs que la loi de mars 2006 demeure in extenso et que, s'il n'y a pas de négociation sur l'égalité salariale au sein de la NAO, il y a un risque de voir le dispositif de réduction des allégements de charges remis en cause.

Troisièmement, la loi de mars 2006 prévoit deux types de sanctions administratives, toujours en vigueur.

D'abord, si un accord de branche n'a pas été négocié et qu'il n'a pas intégré de dispositions sur l'égalité salariale, il ne peut pas être étendu. Or il ressort de mon rapport que, depuis 2006, nonobstant le fait que 5 % seulement des branches avaient négocié sur l'égalité salariale, cette sanction n'a jamais été appliquée.

Ensuite, si une entreprise n'a pas négocié sur l'égalité professionnelle ou, à défaut, n'a pas établi de procès-verbal de désaccord, elle ne peut faire enregistrer son accord auprès de l'administration compétente. Cela n'empêche pas l'application unilatérale, par l'employeur, de son accord et de son plan, mais cet accord n'est pas opposable aux tiers.

Quatrièmement, vient de s'ajouter la sanction de l'article 99 : une pénalité représentant 1 % au maximum de la masse salariale si l'entreprise n'est pas couverte par un accord d'égalité professionnelle ou, à défaut d'accord, par un plan que l'employeur devra présenter au comité d'entreprise. Le montant de la pénalité sera fonction des efforts constatés dans l'entreprise et des raisons de la défaillance qui seront précisés par décret. Les indicateurs et les objectifs de progression figurant dans la synthèse de l'éventuel plan d'action seront également définis par décret.

Tout cela est extraordinairement compliqué, et les nombreuses sanctions ne sont jamais appliquées, que ce soit la non-extension de l'accord ou la non-application des allégements de charges. Je ne connais qu'un cas où l'accord n'a pas été enregistré par l'administration du travail. Qu'en sera-t-il de la sanction prévue par l'article 99 ?

Hier, j'ai lu que la sanction prévue ne s'appliquait pas à la négociation spécifique sur l'égalité. Ce matin, j'ai entendu un avocat soutenir qu'il s'appliquait à l'égalité professionnelle au sens large, et un autre qu'il s'appliquait à l'égalité salariale car l'article 99 était destiné à compléter la loi de mars 2006…

Nous courons par ailleurs le risque que l'employeur qui ne négocie pas puisse se contenter de présenter son plan, ce qui le dispenserait de toute sanction. Voilà pourquoi il faut absolument que le décret précise clairement : « à défaut d'accord, manifesté par la signature d'un procès-verbal de désaccord entre l'employeur et les partenaires sociaux… » C'est le seul moyen de s'assurer que ces derniers tenteront d'aboutir à un accord.

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