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Intervention de Christian Ménard

Réunion du 14 décembre 2010 à 16h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaChristian Ménard :

Je me suis rendu à Djibouti en 2008 et 2009, et j'y suis retourné plusieurs fois à titre personnel. Je suis également allé cet été au Nigeria, au Cameroun, au Kenya, à Djibouti et au Somaliland.

Il faut d'abord rappeler que la piraterie existe depuis toujours. On en trouve des exemples voici 7 000 ans dans l'actuelle Arabie saoudite. De nombreux cas sont attestés au VIIe siècle avant Jésus-Christ en mer Égée et en mer Méditerranée, où il était facile d'attaquer des bateaux. Des hommes célèbres ont été otage de pirates, tel Jules César en 78 avant Jésus-Christ, qui fut capturé durant 38 jours et ne fut libéré qu'après le paiement d'une rançon de 50 talents en or. Par la suite, il cherchera à exterminer tous ses anciens ravisseurs.

La piraterie déclina avec la décadence de l'empire romain, mais réapparut à l'époque des croisades. Le XVIe siècle a notamment été marqué par la figure de Barberousse, qui fut bey d'Alger ; et le XVIIIe par celle de Barbe Noire aux Antilles.

Dans le premier quart du XIXe siècle sévirent les barbaresques en Méditerranée, qui attaquaient tous les bateaux, y compris américains. Thomas Jefferson dépêcha un émissaire auprès de Youssouf Karamanli à Tripoli, mais celui-ci lui répondit qu'il était normal que les incroyants paient un tribut aux vrais fidèles. En réponse, il finit par envoyer une flotte au large de Tripoli, qu'il bombarda, signant là l'un des premiers actes des États-Unis comme gendarme du monde et l'un des premiers faits d'arme de sa marine.

Il ne faut pas se méprendre sur les causes de la piraterie. La pauvreté n'en est pas la raison principale, même si elle peut partiellement expliquer le phénomène. On peut aussi citer la destruction des richesses halieutiques ou l'opposition à l'Occident. En fait, la piraterie participe simplement d'une activité de brigandage.

Elle n'existe qu'en des endroits permettant aux pirates de trouver refuge – comme une mangrove, un archipel, un détroit. Les points principaux où elle sévit sont actuellement le détroit de Malacca, par où transite 30 % du commerce mondial, le golfe d'Aden, avec d'ailleurs une extension de la zone concernée jusqu'aux Maldives, aux abords de la côte indienne et au canal du Mozambique et, enfin, le golfe de Guinée où le Nigeria, le Cameroun, le Gabon, la Guinée équatoriale et Sao Tomé sont concernés. L'Amérique du sud, et en particulier les plates-formes pétrolières du Venezuela, ainsi que les Antilles sont également touchés, mais dans une moindre mesure.

La réponse militaire est mutiple. Depuis que l'opération Alcyon de défense du programme alimentaire mondial a été déclenchée, aucun de ses navires n'a été attaqué. Mise en oeuvre sous l'égide de la France, l'opération Atalante est un succès mais il sera difficile d'améliorer encore ses résultats compte tenu de l'extension de la zone à surveiller. L'action sous mandat de l'OTAN est limitée du fait de son incapacité juridique à arrêter et traduire en justice les pirates. Alors qu'il fut un temps où il n'était pas question de recourir aux équipes de protection embarquées, soit en général quatre fusiliers marins par bateau, force est de constater aujourd'hui leurs résultats : toutes les attaques ont été repoussées. À cet égard, j'ai plusieurs fois évoqué la question du recours à des réservistes, dont le précédent ministre de la défense a finalement accepté le principe.

Dans le détroit de Malacca, les États riverains se sont organisés pour conduire des patrouilles de surveillance communes avec la possibilité, le cas échéant, de pénétrer dans les eaux territoriales des uns et des autres. Deux attaques ont été recensées en 2008 ; aucune en 2009, montrant ainsi l'efficacité de ce dispositif. Cette stabilité perdurera certainement tant que ces patrouilles auront lieu mais la situation risque de se dégrader dès leur arrêt.

Les modes d'action des pirates sont très divers.

Dans le détroit de Malacca, ils opèrent par petits gangs de cinq ou six individus. Parfois, certains agissent seuls. Ils ne cherchent pas à prendre d'otages mais s'intéressent aux richesses du bord (argent, bijoux, marchandises). Peu armés, ils attaquent à l'arme blanche mais utilisent des go-fast.

Dans le golfe d'Aden, des commanditaires achètent des bateaux servant à la fois à la pêche et à la piraterie ainsi que des armes, généralement pour 10 à 20 000 euros. Les pirates sont de mieux en mieux armés et le niveau de violence croît : on assiste par exemple à des simulacres d'exécution. Leur géographie s'étend : ils recourent à des bateaux mères qui leur procurent une plus grande élongation.

Les otages sont retenus 60 jours en moyenne, le montant des rançons augmentant régulièrement. En Somalie, le commanditaire conserve 30 % des sommes perçues, tandis que les pirates s'en partagent 50 %, les interprètes sont également rémunérés et 5 % des sommes sont réservées aux familles des pirates décédés.

Dans le golfe de Guinée, les pirates appuient leur action sur des revendications politiques. Ils se réclament, par exemple, du mouvement pour l'émancipation du delta du Niger et justifient leur posture par une mauvaise répartition de la manne pétrolière. Ces prétentions ne sont que des prétextes. Ils ont commencé par pirater des oléoducs et des barges contenant du pétrole puis sont passés à l'attaque de camps, de plates-formes pétrolières et de navires de soutien de ces plates-formes. Le groupe Total bénéficie de la protection de soldats de l'armée régulière du Nigeria. D'autres recourent à des sociétés militaires privées (SMP). Les pays de la région veulent unir leurs efforts et envisagent des patrouilles communes à l'instar de ce qui se pratique dans le détroit de Malacca. La presqu'île de Bakassi, au Cameroun, est un refuge de pirates. Le bataillon d'intervention rapide se démarque par ses méthodes particulièrement fermes et relativement efficaces. Il fait face à un adversaire déterminé et a récemment déploré cinq morts dans ses rangs au cours d'une opération.

Les conséquences de la piraterie sont difficiles à évaluer précisément. Les primes d'assurance ont augmenté. Plutôt que de transiter par l'Afrique du sud – ce qui occasionne un surcoût d'environ un million de dollars et un allongement du temps de transport de dix à douze jours – les armateurs estiment plus rentable de ne pas modifier leurs routes maritimes en prenant le risque d'un acte de piraterie.

Les conséquences économiques peuvent être très lourdes. Dans le golfe de Guinée, le Nigeria dispose de 7 % des réserves mondiales de pétrole et de 9 % de celles de gaz ; il fournit 15 % des importations américaines de pétrole. Or, actuellement, sa production a chuté de 25 %.

La réponse juridique passe par les conventions de Montego Bay et de 1988 sur la sûreté de la navigation maritime. La loi du 15 juillet 1994 relative aux modalités de l'exercice par l'État de ses pouvoirs de police en mer devait être complétée. Elle prévoit l'intervention du procureur, dépendant du parquet. Or, la cour européenne des droits de l'homme a condamné la France pour avoir retenu des narcotrafiquants en faisant appel au procureur, qu'elle ne considère pas comme une autorité judicaire indépendante. La loi du 10 avril 1825 sur la sûreté de la navigation et du commerce incriminait la piraterie, mais, jugée obsolète, elle a été abrogée en 2007. C'est pourquoi nous avons été récemment conduits à débattre du projet de loi relatif à la piraterie maritime et à l'exercice des pouvoirs de police de l'État en mer.

Une fois ce texte définitivement adopté, nos juridictions disposeront d'une compétence large. Nos opérationnels feront toujours appel au procureur pour la consignation à bord des personnes arrêtées dans le cas d'actes de piraterie, avérées ou en cours de préparation. Cependant, dans les 48 heures, il sera fait appel au juge des libertés et de la détention selon la procédure suivante : le commandant du navire militaire contactera le préfet maritime qui en avisera le procureur de la République, lequel devra lui-même saisir le juge des libertés et de la détention.

Nous nous trouvons dans des conditions très particulières d'éloignement et j'ai entendu l'inquiétude de certains qui craignent que la cour européenne des droits de l'homme s'oppose de nouveau. Je pense que la présence du juge des détentions et des libertés dans les 48 heures devrait la satisfaire.

La discussion sur le projet de loi a également porté sur la peine de mort et le sort réservé aux pirates. Le Kenya n'accepte plus de prendre en charge les pirates capturés arguant d'un manque de moyens, et cela en dépit de l'aide internationale. Il est envisageable de les remettre aux Seychelles. Ce pays a d'ailleurs récemment procédé à l'arrestation d'une dizaine de pirates. Cependant, il ne dispose pas de suffisamment de magistrats, au point de faire appel à un Britannique en tant que procureur.

Quant à l'île Maurice, elle aimerait pouvoir juger des pirates et disposer d'une prison mais cela resterait marginal au regard des besoins.

Lorsque la France détient des pirates, elle les remet au Puntland par l'intermédiaire de notes verbales par lesquelles nos autorités s'assurent qu'il n'y aura pas de menaces d'exécution et que les droits de l'homme seront respectés, notamment qu'il n'y aura pas de torture. À ma connaissance, il n'y a jamais eu à ce jour de problème.

L'autre question importante tient au jugement des prisonniers. La solution préconisée par Jack Lang me semble la meilleure : il s'agirait de créer un tribunal somalien, situé idéalement en Somalie ou bien délocalisé si la première option n'est pas réalisable.

J'ai rencontré des pirates présumés qui sont emprisonnés au Kenya dans des conditions semble-t-il satisfaisantes. Nous avons eu la possibilité d'interroger 125 pirates en présence d'un magistrat de la cour car ils n'avaient pas encore été jugés. Il fallait, à ce titre, veiller à ne pas les considérer comme des pirates mais comme des pirates présumés, ainsi que me l'a signifié le magistrat kenyan nous accompagnant. Les détenus se présentaient d'ailleurs eux-mêmes comme de paisibles pêcheurs.

Nous avons également rencontré des pirates au Somaliland à la prison de Mandera qui se présentaient également comme de simples pécheurs.

Par la suite, j'ai vu à Fresnes trois des pirates impliqués dans l'affaire du Carré d'As qui devraient être bientôt jugés. Ils ont manifesté, à l'exception d'un seul, leur préférence pour un jugement en Somalie plutôt qu'en France.

D'une manière générale, les conditions dans lesquelles sont détenus les pirates que ce soit en Somalie ou au Kenya sont spartiates mais ils se sentent beaucoup mieux dans leur propre région.

Parmi les autres propositions que je formule, on trouve bien évidemment le maintien d'Atalante et un travail d'analyse approfondie des flux financiers liés à cette activité.

Enfin, je souhaite attirer votre attention sur trois problématiques.

La première d'entre elles concerne les SMP, aussi appelées sociétés de sécurité privées (SSP). Nous disposons pour l'instant de militaires présents dans le cadre de l'opération Atalante mais ils peuvent être appelés sur d'autres théâtres d'opération. Je ne prends pas position pour ou contre les SMP, mais je constate que les armateurs, longtemps réticents à faire appel à des équipes embarquées, le font à présent. Des bateaux armés par des Français ou d'autres risquent à terme de faire appel à des sociétés privées étrangères, que nous ne contrôlons pas. Devrons-nous les laisser faire ou bien labelliser certaines sociétés françaises ? C'est ce qui est à l'oeuvre à Djibouti, je sais qu'une société y labellise les sociétés militaires privées qui peuvent ou non intervenir. J'ignore où tout cela mènera mais il me semble impossible de nous passer d'un débat sur ce sujet à l'Assemblée nationale.

La deuxième question est celle du terrorisme. Peut-on établir des liens entre le terrorisme et la piraterie ? La direction générale de la sécurité extérieure et les autres services de renseignement étrangers m'avaient assuré voici presque un an et demi qu'il n'y en avait pas. Aujourd'hui, leur discours est légèrement différent : ils ne peuvent pas certifier qu'il n'existe aucun lien entre le terrorisme et la piraterie. J'ai le sentiment, ceci n'est qu'un sentiment, qu'il peut exister une relation entre les deux phénomènes, du fait notamment des solidarités claniques. Les shebabs qui sont des intégristes présents autour de Mogadiscio ont attaqué des pirates et ont même exécuté certains d'entre eux mais je ne vois pas comment les terroristes pourraient ne pas s'intéresser à la manne financière que représente la piraterie. Je n'ai, cependant, aucune preuve en la matière.

La piraterie fait à mon sens, directement ou indirectement, le lit du terrorisme. Le Yémen est actuellement une zone extrêmement dangereuse. Djibouti compte à peu près 850 000 habitants, auxquels s'ajoutent officiellement 18 000 réfugiés et 250 000 officieusement. La Somalie est elle-même divisée en trois zones. On trouve le Somaliland qui se prévaut de son indépendance et qui présente des signes assez nets de démocratie. J'ai rencontré l'ancien président de Somalie et les élections s'y sont bien passées. L'ancien président a reconnu sa défaite et a été remplacé par Ahmed Sinyalo. Le Puntland est une zone plus dangereuse car il est se trouve au coeur de gros enjeux financiers. Il s'agit d'un État qui n'a pas réclamé l'indépendance mais qui bénéficie d'une certaine forme d'autonomie. Il me semble qu'il nous faut traiter avec eux et le secrétaire général des Nations Unies partage cet avis. Reste enfin la zone de Mogadiscio où plus personne ne gouverne. Le président du Gouvernement fédéral de transition, Sharif Cheikh Ahmed, ne contrôle à l'heure actuelle que quelques quartiers de la capitale. Quant aux shebabs, ils ne sont pas inféodés à Al Qaida mais s'apparentent plutôt à une multitude de petites unités autonomes.

Dans l'ensemble, il s'agit donc d'une région potentiellement explosive qui pourrait ressembler à un autre Afghanistan. La frontière avec le Kenya est également une zone très dangereuse.

Une grande partie du nord du Nigeria est tenue par des groupes intégristes qui sont à l'origine de nombreux attentats et qui se revendiquent d'Al Qaida. La zone qui s'étend du Nigeria à la Somalie en passant par le Soudan est donc particulièrement instable.

Le troisième point concerne cette plante qui s'appelle le qat. Il vient des plateaux d'Éthiopie et est largement consommé dans la région. Dans le cas de Djibouti, il est fréquent d'y consacrer près de la moitié des revenus disponibles. La dépendance est très rapidement forte et le manque peut conduire à l'agressivité d'un individu ou d'une population. Cela augmente le danger dans la région, tant pour la stabilité des États que, par exemple, pour la sécurité d'otages aux mains de pirates qui seraient nerveux par manque de qat.

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