J'ai effectué en septembre une mission d'observation des élections législatives. Je voudrais simplement témoigner de ce que j'ai vu sur place, à Kaboul, plutôt que de faire un exposé sur la situation générale en Afghanistan. Il me faut néanmoins débuter mon propos par quelques éléments de contexte.
Les évènements actuels en Afghanistan laisseront des traces à la fois politiques, civiles, et militaires. Il s'y déroule une guerre insurrectionnelle, un conflit asymétrique particulièrement complexe dans lequel une insurrection s'oppose à des forces américaines qui disposent de moyens modernes et sophistiqués. C'est en outre la première fois depuis la guerre d'Algérie que la France est engagée dans un conflit lointain, dur, à l'issue incertaine.
Je connais ce pays depuis 1997, lorsque je m'étais engagée dans une association de soutien aux femmes afghanes. J'y ai effectué 14 missions depuis 2002. Au cours de mes séjours, j'ai pu loger chez l'habitant et me déplacer en taxi, mon but étant d'être au plus près de la population.
Depuis plus d'un siècle, l'Afghanistan est un territoire où s'expriment les rivalités des grandes puissances, phénomène qui se poursuit aujourd'hui, avec le jeu des États-Unis, de la Russie, de l'Inde, du Pakistan, de l'Iran ou encore de la Chine. On trouve également d'autres acteurs, davantage dans une situation d'observation : pays voisins, européens, arabes, mais aussi la Turquie, le Japon, la Corée du Sud…
Le pays a connu trente années de guerres, essentiellement civiles, qui se sont révélés particulièrement destructrices à tous les niveaux, matériels, humains et sociétal. Leurs ravages sont toutefois inégalement répartis. Les zones les plus développées, comme Kaboul, ont été les plus touchées et les plus déstabilisées, tandis que les plus reculées, plus ancrées dans les traditions, étaient davantage épargnées. De fait, ces dernières se sont repliées sur elles-mêmes et ce sont leurs valeurs qui servent aujourd'hui de valeurs refuges. Compte tenu de ce contexte, notre priorité doit être de promouvoir le développement économique et le bien être de la population.
Quelques données peuvent illustrer les défis auxquels le pays est confronté. En premier lieu, il faut avoir à l'esprit que 45 % de la population a moins de 15 ans. Cela constitue une véritable bombe à retardement, malgré toutes les richesses dont cette jeunesse est porteuse. Sur le plan économique, l'agriculture ne représente que 31 % de l'activité économique alors qu'elle emploie près de 80 % de la population. À l'inverse, l'industrie emploie moins de 6 % de la population pour un poids économique de 26 %. Il faut également souligner que l'inflation augmente de 30 % par an. Enfin, je relève que le salaire moyen actuel d'un fonctionnaire de police est de 120 dollars par mois, sachant que plus de 1 300 d'entre eux sont morts en service cette année.
Bien que beaucoup reste à réaliser, j'ai tout de même pu constater des progrès d'une mission à l'autre au cours de ces dernières années.
C'est ainsi qu'en 2002, Kaboul était totalement détruite. Aujourd'hui, il ne subsiste presque plus aucune trace des affrontements, mis à part dans quelques quartiers périphériques.
En 2001, aucune fille n'était scolarisée. Le pays compte aujourd'hui 6,2 millions d'enfants scolarisés, dont un tiers de filles. Il est d'ailleurs prévu de scolariser sept millions d'enfants en 2011, ce qui suppose un effort considérable pour la construction d'écoles, mais également pour la formation et la rémunération des maîtres.
L'exploitation minière connaît un renouveau. L'Afghanistan possède la deuxième mine de cuivre de la planète, ce qui permettra à son économie de trouver de nouveaux débouchés. Les Chinois en ont obtenu l'exploitation. Par ailleurs, l'accord de lancement du projet de gazoduc Turkménistan-Afghanistan-Pakistan-Inde, dit TAPI, a été signé le 10 décembre dernier. Il prouve qu'avec de la volonté, les États de la région peuvent s'entendre sur de grands projets.
La situation politique est très complexe. Le président Hamid Karzaï a été réélu le 20 août dans des conditions contestées. Les élections législatives du 18 septembre se sont en revanche relativement bien déroulées et les résultats définitifs ont été proclamés par la commission électorale le 1er décembre. Le président Karzaï a pourtant émis des réserves sur ces résultats, ce qui ne laisse de surprendre compte tenu des modalités de sa propre élection. Ses partisans ont perdu environ 90 sièges sur 249. Hormis une poussée de la minorité hazara, particulièrement mobilisée, on ne constate pas de véritable changement. Il me paraît fondamental d'aider au bon fonctionnement de leur Parlement, ce dont ils semblent très demandeurs.
La situation sécuritaire est relativement contrastée. Il coexiste des zones parfaitement sécurisées, telles que Kaboul, et des zones où règne une violence extrême, en périphérie, dans le sud et à l'est. En effet, depuis que la décision a été prise de contrôler la totalité du pays, les talibans sont acculés et se défendent vigoureusement.
Le dispositif militaire français actuel comprend 4 000 hommes et 150 gendarmes. Nous déplorons cinquante morts au combat. Les soldats blessés sont nombreux, parfois très gravement. Je ne suis demeurée que dans la capitale, mais il me semble que nos forces sur place sont aujourd'hui bien équipées. Il n'y a plus de problème de ce point de vue. Le travail des gendarmes est extrêmement bien perçu et est observé de près, notamment par les Américains. Il nous appartient en tout cas de les assurer de la reconnaissance de la nation.
Du côté afghan, les dommages collatéraux sont de moins en moins nombreux mais la population civile souffre toujours fortement des attentats suicides. Nombre d'enfants sont toujours victimes d'engins explosifs improvisés.
Sur le plan politique, la population ne veut surtout pas revenir à la situation prévalant à l'époque des talibans. Pour autant, elle ne parvient pas à construire un modèle qui lui soit propre et ne veut pas qu'on lui en impose un, occidental notamment. Il faut agir avec précaution, car l'Afghanistan n'est pas une nation mais une mosaïque de populations et ce pays a perdu le contact avec son histoire. Les Afghans cherchant à retrouver ces repères, je crois que notre devoir est d'être à leurs côtés pour les aider à affirmer leur propre identité.
Sur le plan militaire, je constate un effort de mise en cohérence, que l'on peut semble-t-il attribuer aux effort du général McChrystal. Celui-ci paraît s'être inspiré du modèle français et sa stratégie a porté ses fruits. S'agissant de l'aide civile, nous sommes confrontés à de nombreuses difficultés même si des progrès importants sont enregistrés. Par exemple, l'électrification de Kaboul, achevée voici deux ans seulement a nettement amélioré le quotidien des habitants. Un autre progrès réside dans l'aménagement d'axes routiers, tels que le boulevard périphérique autour de Kaboul. Signe de dynamisme, il est aujourd'hui régulièrement embouteillé.
Dans le même temps, nombreuses sont les difficultés qui entravent notre aide. Je me suis ainsi efforcée, avec d'autres, ces deux dernières années de promouvoir la formation des femmes députées. Malgré nos efforts, nous avons échoué à trouver la moindre aide ou le moindre financement. De même, il nous est impossible de former les députées élues lors de la dernière élection. Nous ne disposons pas des fonds suffisants, hormis un financement du ministère des affaires étrangères et européennes, venu compléter celui de l'ambassade des États-Unis à Paris. Cela permettra tout de même la prise en charge de 10 d'entre elles pour une formation en France. Si cela réussit, j'espère qu'il sera possible de débloquer les 500 000 euros nécessaires à la formation à Kaboul de l'ensemble des 69 femmes députées et des 30 sénatrices.