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Intervention de Martine Billard

Réunion du 19 décembre 2007 à 15h00
Pouvoir d'achat — Motion de renvoi en commission

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMartine Billard :

Peu importe que le bilan des lois précédentes n'ait pas été dressé, que certains décrets n'aient jamais été publiés, le voeu du Président est un ordre, tout doit s'arrêter pour satisfaire son dernier caprice.

Saisi pour avis, le conseil de la Caisse nationale d'assurance maladie a d'ailleurs dénoncé les conditions « inacceptables » dans lesquelles il devait examiner ce projet de loi, jugeant les délais imposés au pas de course « incompatibles » avec le temps nécessaire qu'exige l'analyse d'un texte de cette nature.

Une émotion chassant l'autre, le projet de loi sur l'enfermement des personnes atteintes de trouble mental, hier urgentissime, est aujourd'hui relégué à l'arrière-plan. L'émotion du dernier fait divers étant retombée, il faut maintenant vite enrayer la chute de crédibilité du Président de la République sur la question du pouvoir d'achat.

Ne parlons même pas du Grenelle de l'environnement, dont l'engouement gouvernemental a aussi vite disparu qu'il était apparu. Où est la grande loi de programmation qui devait traduire le travail effectué pendant ce Grenelle en réalité concrète ? Remis à plus tard, et même pas au premier semestre 2008 ! C'est bien connu, la planète peut encore attendre.

Pourtant, il y a urgence et nombre des mesures proposées dans le Grenelle, notamment sur cette question des carburants et, plus globalement, sur la question du pétrole, sont bénéfiques pour le pouvoir d'achat à moyen terme alors que, avec vos propositions, vous êtes toujours dans le court terme. Or, contrairement à ce qui a été dit hier dans certaines interventions, l'augmentation du prix du pétrole n'était pas imprévisible. Nous l'avions annoncé – mais vous avez refusé de nous entendre : la fin de la ressource pétrolière dans les décennies à venir allait nous entraîner dans une période d'augmentation du prix.

Le moyen terme ne s'accorde pas avec le temps médiatique qui, lui, veut de l'action tout de suite. Peu importe que ce ne soit que de la poudre aux yeux. Il suffit de bien maîtriser la communication présidentielle et gouvernementale, et peut-être que les Français se laisseront berner. Un illustre prédécesseur de Nicolas Sarkozy, en l'occurrence le général de Gaulle, avait traité les Français de « veaux ». La mode étant au Grenelle, n'oubliez pas que mai 1968 a montré que les veaux pouvaient se révolter !

Le Gouvernement et l'UMP ont donc été priés de trouver des idées pour faire croire à une augmentation du pouvoir d'achat, mais voilà, il n'y a plus d'argent dans les caisses et plus d'idées à l'UMP.

Le Président de la République a donc ressorti, lors d'une récente intervention télévisée, sa formule magique du « travailler plus pour gagner plus » – devenue d'ailleurs « si vous avez besoin de gagner plus, vous n'avez pas d'autres choix que de travailler plus ». Le réveil risque d'être dur le jour où nos concitoyens se rendront compte qu'une fois les 35 heures supprimées du code du travail, comme le demande Mme Lagarde, et le travail du dimanche banalisé, comme vous êtes en train de le faire, monsieur le ministre, il n'y aura plus de raison de leur payer des heures supplémentaires. Toute heure de travail dans la limite des 48 heures hebdomadaires autorisées par la législation européenne, y compris le dimanche, sera donc légale.

De même, nous sommes sommés d'examiner cette loi sans que nous soit présentée la moindre étude d'impact, ni budgétaire, ni économique. Nous faisons tout cela à la louche, un milliard par ci, un milliard par là. Peu importe que ces chiffres n'aient aucune réalité. Cela fait toujours bien d'asséner des chiffres – nous y reviendrons.

Nous venons tout juste de boucler la discussion du budget de l'État et des comptes sociaux pour 2008, qui entérine votre gestion calamiteuse des finances, mais vous rajoutez de nouvelles exonérations qui sont autant de dépenses fiscales supplémentaires. À quoi sert dans l'équilibre de nos institutions le débat budgétaire de l'automne pour orienter la politique de la nation, si, au même moment, vous passez des dispositions fiscales et sociales essentielles dans d'autres lois ad hoc, sans que leurs conséquences soient inscrites dans les lois de finances en cours d'adoption ? D'ailleurs, notre collègue Charles de Courson s'en est lui-même inquiété hier, lors de la discussion du texte de la commission mixte paritaire sur le projet de loi de finances.

Le vocabulaire médiatique est encore appelé à la rescousse. Mais, cette fois, il ne fonctionne pas aussi bien que d'habitude. Et pour cause, ce texte de loi a un air de déjà vu. Ayant d'abord servi ses plus sûrs soutiens électoraux, les riches familles de rentiers de notre pays, le Gouvernement n'a plus d'argent dans les caisses, et, pour les idées, il est un peu à court. La proposition de la ministre de l'économie de remplacer la voiture par le vélo n'a pas eu le succès escompté. On pouvait s'en douter.

Faute d'idée, faute d'argent, le Gouvernement n'a pas trouvé autre chose que de recycler une nouvelle fois des mesures déjà servies précédemment. Alors qu'aujourd'hui même était réunie la conférence sociale, nous débattons dans cet hémicycle d'un texte non soumis aux partenaires sociaux. Pourtant, son contenu remet en cause les accords collectifs, une fois de plus, et accentuent la remise en cause de la durée légale du travail.

Les hebdomadaires économiques relatent que les responsables des services de ressources humaines commencent à avoir le tournis face à la folle succession de textes législatifs concernant le calcul du temps de travail et le paiement des heures supplémentaires. D'ailleurs, un de nos collègues de l'UMP le remarquait lui aussi tout à l'heure. Les logiciels de paie n'ont pas sitôt été programmés pour intégrer les dispositions de la loi TEPA qu'ils vont déjà devoir être modifiés de nouveau. Comme simplification des procédures, on fait mieux !

Mais qu'en est-il du pouvoir d'achat ? Sa baisse est-elle seulement un « ressenti », comme ose le dire le MEDEF, ou est-elle réelle ?

Sur la période 1998-2005, 90 % des Français n'ont vu leurs revenus progresser que de 4,6 %, et leur revenu médian est bien en dessous des 1 500 euros mensuels. Les 10 % les plus pauvres, soit 7,1 millions de personnes, doivent se contenter de moins de 817 euros par mois. Depuis le début des années quatre-vingt-dix, la proportion des salariés rémunérés au SMIC n'a cessé de croître, passant de 8,6 % en 1990 à 15,1 % en 2006. Et 27 % des personnes en CDI des secteurs privé et semi-public touchent moins de 1,3 fois le SMIC. Si on y ajoute les personnes qui n'ont qu'un emploi précaire, 37,8 % des Français actifs perçoivent moins de 1,3 fois le SMIC. Le revenu réel de la grande majorité des Français a donc baissé à cause d'une inflation de 2 % par an. Et encore faut-il préciser que l'indice de l'INSEE minore le poids des dépenses de logement dans les dépenses globales des ménages.

Les dépenses qui grèvent le budget des ménages sont de plus en plus contraintes : loyer, eau, chauffage, électricité, déplacements domicile-travail. Or ce sont ces postes de dépenses qui actuellement sont soumis aux hausses les plus importantes : ainsi le logement représente dorénavant, à lui seul, entre 15 et 40 % des dépenses. De même, le transport représente 19 % des dépenses d'un habitant d'une commune rurale contre 12 % pour un Parisien. Les locataires sont plus touchés que les propriétaires, les habitants des zones rurales plus touchés que ceux de la région parisienne, les familles monoparentales plus touchées que les couples sans enfant, les 10 % les moins riches plus touchés que les 10 % les plus riches.

Beaucoup d'autres dépenses sont pré-engagées au sens où elles découlent de contrats auxquels, une fois conclus, il n'est pas possible de se soustraire – assurances, frais bancaires, téléphonie, Internet, abonnement TV, voire emprunts immobiliers. Le total de ces dépenses représente plus de 70 % des dépenses pour 20 % des foyers les plus modestes. Il ne reste alors plus grand-chose pour se nourrir, s'habiller, se soigner, sans parler des loisirs. La moindre hausse sur l'un de ces postes ou le moindre accident de santé peut précipiter les familles dans une crise financière grave.

Les couches populaires sont particulièrement touchées par les hausses de prix intervenues ces dernières années et ces derniers mois dans l'alimentation qui pèse en effet pour 17 % du budget d'un ouvrier contre 12 % pour un cadre. Avec un chiffre inquiétant : 12,5 % d'augmentation annuelle pour le prix de la baguette.

Cette accélération est notamment la conséquence de la hausse du prix du blé. Le marché se tend à cause de la concurrence pour l'utilisation des terres agricoles liée au développement de la production d'agrocarburants notamment. Pourtant, ces derniers ne permettront pas de pallier la raréfaction du pétrole. Il nous semble donc urgent de mettre fin aux exonérations fiscales de leur production, qui se fait au détriment de la filière agroalimentaire.

La hausse des prix touche également la consommation des fruits et légumes frais. Pour une consommation individuelle de 400 grammes par jour recommandée par l'OMS, la dépense varie entre 57 euros par mois pour un couple sans enfant et 115 euros pour un couple avec deux enfants de plus de dix ans, soit entre 5 % et 12 % du SMIC ! L'envolée des prix des produits laitiers à la consommation est quant à elle la conséquence de la spéculation des transformateurs intermédiaires, style Danone, au détriment des producteurs et des consommateurs.

À cela s'ajoute l'augmentation des frais de santé dus aux dépassements d'honoraires faramineux – plus de 19 % pour les consultations médicales en un an – que vous aggravez avec les franchises médicales tous azimuts. Pour nombre de ménages, l'équation du bouclage des fins de mois devient « mission impossible ».

En revanche, les 3 500 foyers fiscaux de notre pays qui ont vu leurs revenus progresser de 42,5 % de 1998 à 2005 n'ont pas de problème de pouvoir d'achat. Ni même encore les 10 % des foyers les plus riches, pour qui cette hausse a atteint 32 % sur cette même période. Ceux-là n'ont pas de problème de « ressenti » de pouvoir d'achat. Il serait donc particulièrement injuste socialement et irresponsable écologiquement de mettre en oeuvre de nouvelles mesures qui feraient encore progresser leurs revenus. Augmenter le pouvoir d'achat des plus riches, c'est augmenter, d'une part, la spéculation et, d'autre part, les émissions de polluants et de gaz à effet de serre du fait des voyages de loisirs en avion, de l'acquisition de voitures 4×4 et de la surconsommation de luxe.

Or, vu l'état de la planète et le fait qu'en France nous consommons l'équivalent de trois planètes, il est plus qu'urgent de consommer responsable. Cela signifie arrêter avec les gaspillages inutiles, consommer sobrement, consommer mieux et adopter une autre répartition de la consommation. Vous voyez que notre philosophie est bien loin de la vôtre, qui cherche à « consommer pour consommer » sans se préoccuper des ravages pour la planète que cela comporte en termes de gaspillage de ressources non renouvelables et de dégradations irréversibles. De ce point de vue, l'ouverture le dimanche à tout-va ne fait que renforcer cet aspect de surconsommation.

Dans ces conditions, il n'est pas question pour nous d'entériner une répartition des richesses qui favorise le capital spéculatif et les phénomènes des rentes. Cette politique n'a d'ailleurs aucun impact positif sur les investissements. En effet, à l'heure actuelle, les entreprises distribuent plus de dividendes à leurs actionnaires qu'elles n'investissent. L'exigence d'une rémunération du capital de plus en plus élevée les amène à considérer les salariés comme la seule variable d'ajustement. On commence par réduire la participation distribuée, puis on diminue les effectifs par licenciements ou non-remplacements des départs pour ensuite augmenter le temps de travail des salariés restants sans se soucier de leur santé.

Tant que cette économie totalement sous la coupe de la finance perdurera, les salariés verront leur niveau de vie stagner, voire baisser, pendant qu'à l'autre bout de l'échelle une petite minorité s'enrichira effrontément en gaspillant à tout-va dans une frénésie de consommation totalement antagonique avec la sauvegarde de notre planète bien malmenée.

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