Max Weber, dans Le Savant et le Politique, indique que l'État revendique le monopole de la violence physique légitime. Votre texte sur la performance de la sécurité intérieure met à mal cette définition par le désengagement progressif de l'État et l'émergence d'acteurs de sécurité privée.
Comme le souligne le sociologue Michaël Foessel, l'abaissement de l'intervention économique et surtout sociale de l'État s'accompagne d'un renforcement de l'État pénal.
Vous parlez de performance, donc de résultats chiffrés. Arrêtons-nous un instant sur vos résultats depuis 2002 : les violences aux personnes et la délinquance financière n'ont cessé d'augmenter, tout comme la recherche effrénée du chiffre au détriment de la réalité, le recours aux technologies intrusives et le choix de déploiements spectaculaires et quasi-militarisés des forces de l'ordre devant les médias.
Vous invoquez une supposée baisse de la délinquance de proximité pour justifier le renforcement du dispositif de lutte, tout en mettant en avant une insécurité grandissante, justifiant des mesures répressives nouvelles. Votre politique de fuite en avant, si elle donne le sentiment que vous agissez, n'est en réalité qu'illusion.
L'affaire de Saint-Aignan en est une parfaite illustration : alors que les textes existants auraient suffi pour sanctionner les fauteurs de trouble, vous légiférez sur les gens du voyage, les Roms et le démantèlement de leurs campements.
Illusion également à Marseille, où vous avez réussi à faire croire aux honnêtes gens que vous aviez renforcé les forces de police localement, alors qu'il ne s'agit en réalité que de deux compagnies de CRS qui s'en iront à l'issue de leur mission, et d'une centaine d'adjoints de sécurité. Ce sont donc des moyens qui ne sont pas pérennes.
À cela s'ajoutent des crédits qui ne sont pas au rendez-vous. Le budget 2011 est un budget de survie. Quant à 2012 et 2013, la loi de programmation des finances publiques prévoit des baisses de crédits.
Quelle est la cohérence et la logique de tout cela ? Aucune assurément. Depuis 2008, nous comptabilisons près de 9 000 suppressions de postes, auxquelles s'ajouteront 4 800 autres d'ici 2013.
Dans mon département de la Dordogne, les effectifs depuis 2008 stagnent plus ou moins d'une année sur l'autre, alors que le nombre de postes d'adjoints de sécurité a presque doublé : 28 adjoints en 2008 et 50 en 2010.
Après ces propos généraux, je souhaite m'attarder particulièrement sur la question des polices municipales.
La police municipale, en vertu du code général des collectivités territoriales, est chargée de la prévention et de la surveillance du bon ordre, de la tranquillité, de la sécurité et de la salubrité publique, ainsi que de l'exécution des arrêtés municipaux. Agents de police judiciaire adjoints, ses membres sont chargés, en vertu de l'article 21 du code de procédure pénale, « de seconder, dans l'exercice de leurs fonctions, les officiers de police judiciaire ; de rendre compte à leurs chefs hiérarchiques de tous crimes, délits ou contraventions dont ils ont connaissance (…) »
L'annexe du décret n° 2000-275 précise qu'« en aucun cas, il ne peut être confié à la police municipale de mission de maintien de l'ordre ».
Le code de procédure pénale définit à l'article 21-2 le rôle des policiers municipaux : « les agents de police municipale rendent compte immédiatement à tout officier de police judiciaire de la police nationale ou de la gendarmerie nationale territorialement compétent de tous crimes, délits ou contraventions dont ils ont connaissance. Ils adressent sans délai leurs rapports et procès-verbaux (…) »
L'intervention de la police municipale se fait donc en coordination avec les forces de police et de gendarmerie nationales : la convention, qui définit la nature et les lieux des interventions des agents de police municipale et détermine les modalités selon lesquelles ces interventions sont coordonnées avec celles de la police et de la gendarmerie nationales, est obligatoire pour les services de police municipale de plus de cinq agents.
Or, sur le terrain, les policiers municipaux se substituent souvent aux policiers nationaux ou aux gendarmes, suivant ainsi la logique de redistribution du travail de sécurité urbaine et le désengagement progressif de l'État.
Conscients de ce glissement, les policiers municipaux indiquent que lorsque certaines situations dégénèrent, ils agissent pour le maintien de la tranquillité publique, alors que cela relève du maintien de l'ordre.
Sur le site web de la mairie d'Orléans consacré à sa police municipale, on peut lire que « son action est essentiellement préventive. Ses champs d'investigation concernent principalement le maintien de l'ordre, la sécurité, la sûreté et la salubrité publics ». Je vous laisse juges d'une telle définition.
L'attribution de prérogatives nouvelles aux policiers municipaux est un moyen pour votre majorité de masquer les coupes budgétaires et les baisses d'effectifs que vous infligez aux policiers et aux gendarmes. Aux inégalités sociales et territoriales, vous superposez les inégalités de moyens entre polices municipales, dont la gamme varie de l'absence pure et simple au suréquipement. Cela pose la question de l'égal accès à la sûreté et la tranquillité.
Votre texte renforce ce sentiment à travers notamment l'article 32 ter selon lequel le directeur de police municipale, de catégorie A, d'une ville comptant plus de quarante agents sera désormais agent de police judiciaire et pourra donc constater les crimes, délits et contraventions et en établir procès-verbal ; il pourra également recueillir les indices, preuves et renseignements sur les auteurs et complices de ces infractions : il lui sera donc possible de procéder à des perquisitions en enquête préliminaire avec assentiment, et de notifier les mandats de justice.
Le préfet Ambroggiani, qui a réalisé à la demande du Gouvernement une étude sur les polices municipales, affirme dans ses conclusions qu'éloigner les policiers municipaux des maires au profit de la police nationale ou de la Gendarmerie serait une erreur.
Les missions telles que la propreté des rues et des trottoirs, le bon éclairage de la voie publique, l'absence de stationnement anarchique, de tags, participent, au même titre que la lutte contre la délinquance, au sentiment de sécurité qu'éprouvent nos concitoyens. En élargissant leurs prérogatives, les policiers municipaux se détacheront des missions premières qui leur sont dévolues.
Autre problématique : le dispositif de l'article 37 octies qui prévoit de faire procéder à un dépistage sanguin sur toute personne ayant commis sur un dépositaire de l'autorité publique, un acte susceptible d'entraîner sa contamination par une maladie virale grave.
Cet article pose plusieurs questions : la transmission se définit comme le mécanisme de passage d'un micro-organisme du sujet porteur vers un hôte potentiel. Elle peut se faire par contact, au travers d'un objet ou une surface souillée.
Vous évoquez des actes susceptibles d'entraîner une contamination. Cette formulation trop large n'est pas sans soulever des inquiétudes. En effet, comment prouver avec certitude, par un dépistage, que l'accusé était porteur de la maladie virale grave au moment des faits ? De même, comment prouver que le dépositaire de l'autorité publique n'était pas infecté avant ledit acte susceptible d'entraîner sa contamination ?
De même, quelles sont les garanties en faveur de la protection de la confidentialité des données des deux parties ? Sont-elles conservées ? Font-elles l'objet d'un fichier ?
Face à toutes ces interrogations, le droit doit s'appuyer sur des éléments concrets. Le droit pénal n'est pas la réponse la plus adaptée. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)