Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je vous prie d'excuser mon collègue et ami Patrick Braouezec qui ne peut prononcer, à cette heure, cette motion de renvoi en commission. Je prêterai donc ma voix à sa plume.
En première lecture, il avait considéré que, au-delà des effets d'annonce, la philosophie générale du projet de loi visait à étendre les formules de fichage de la population et à créer ou à aggraver des infractions dans divers domaines de la vie quotidienne. Cela reste vrai après la lecture du Sénat. Rien n'a été amélioré, bien au contraire.
Le projet de loi se présente comme un agrégat hétéroclite de dispositions techniques qui justifient l'expression de « fourre-tout législatif ». L'illisibilité qui résulte de cet assemblage a pour effet d'évincer les débats parlementaires et publics, en empêchant les différents acteurs de prendre le recul suffisant pour discuter des grandes orientations qui s'en dégagent. Ce texte révèle une ligne politique particulièrement inquiétante : fichage, surveillance, contrôle, enfermement. Les nouvelles valeurs que le Gouvernement veut imposer à la société sont bien la répression, l'exclusion, la stigmatisation, la suspicion.
La LOPPSI 2 relaie un discours politique belliqueux qui utilise la figure du délinquant pour entretenir le fantasme de l'ennemi intérieur et qui assimile, corrélativement, tout acte de délinquance à une atteinte à l'État. Au nom de la protection de la société contre ses « ennemis », les mesures dérogatoires au droit commun sont sur le point de devenir la norme, la surveillance et le contrôle social s'étendent et l'objectif de réinsertion assigné à chaque peine disparaît.
Ce texte prévoit d'étendre considérablement les dispositifs de fichage. Non content de reconduire les fichiers de police et de gendarmerie actuels, STIC et JUDEX, le Gouvernement a décidé de les interconnecter et de les étendre. Il installe de fait un gigantesque carrefour du fichage et du traçage. Si l'on croise les informations fournies par les GPS des voitures, les téléphones portables, les passes Navigo de la RATP, on aboutit à une localisation permanente des gens qui est fascinante. Les données relatives à un suspect innocenté ne seront pas systématiquement effacées : pourront donc être maintenues dans ces fichiers dits « d'antécédents » des personnes qui, en réalité, n'en auront pas.
Dans cet esprit, la vidéosurveillance, désormais appelée « vidéoprotection », est renforcée. Paris se met à la vidéosurveillance, quand Miami l'abandonne, parce que cela coûte un argent fou et ne sert à rien. La Grande-Bretagne elle-même revient sur le dogme ruineux de son efficacité. Dans le même temps, vous nous demandez d'accroître au maximum l'espionnage de l'espace public : les autorités pourront placer des dispositifs de vidéosurveillance pratiquement partout sur la voie publique ; toutes les entreprises privées pourront installer des caméras aux abords de leurs établissements. Jusqu'à présent, les personnes morales de droit privé ne pouvaient installer des caméras sur la voie publique que lorsque leurs bâtiments étaient exposés à des actes de terrorisme. Cette nouveauté étend cette implantation pour les risques d'agression ou de vol. Les préfets pourront faire de même le long du parcours des manifestations et, pour parfaire cette décision, le Sénat a souhaité prolonger la durée de validité des autorisations d'installation de vidéoprotection dans le dessein d'éviter un engorgement des préfectures et des commissions départementales. En définitive, les autorités pourront placer des dispositifs de vidéosurveillance pratiquement partout sur la voie publique. Ajoutons que, aux fins de prévention du terrorisme, le préfet pourra demander au conseil municipal d'une commune de délibérer sur la mise en oeuvre d'un dispositif de vidéosurveillance. Les élus devront alors se prononcer dans un délai de trois mois au maximum.
La possibilité de transmettre aux forces de police les images des parties communes des immeubles collectifs est également prévue « lors de circonstances faisant redouter la commission imminente d'une atteinte grave aux biens ou aux personnes », si la décision est obtenue à la majorité qualifiée des copropriétaires. Vous aviez déjà tenté d'introduire une disposition analogue dans la loi renforçant la lutte contre les violences de groupe et la protection des personnes chargées d'une mission de service public. Or, dans une décision de 2010, le Conseil constitutionnel avait estimé que la protection de la vie privée des occupants des logements n'était pas totalement garantie. On voit bien que l'objectif véritable n'est pas la sécurité, mais d'habituer le citoyen à être surveillé.
Plus grave encore, on assiste à une remise en cause des prérogatives régaliennes de l'État. Il est particulièrement inquiétant d'entendre, en marge des discussions sur cette banalisation de la surveillance et du fichage, des membres du Gouvernement affirmer que seuls ceux qui ont quelque chose à se reprocher ont quelque chose à craindre. Un tel discours, qui supprime la distance entre l'autorité de l'État et la conscience individuelle, est particulièrement dangereux et malsain. Nous pensons, à l'inverse, que nous avons toutes et tous à craindre de cette extension du contrôle social, car elle contribuera, demain, à réduire encore les droits et les libertés.
Le projet comporte aussi, bien sûr, un imposant volet répressif.
Ainsi, en guise de réponse aux difficultés de certaines familles, les rédacteurs ont imaginé un couvre-feu pour les mineurs de moins de treize ans, qui ne manquera pas d'entraîner des contrôles abusifs, et un nouveau « contrat de responsabilité parentale » qui aggravera la marginalisation de certains parents et avec lequel le Gouvernement entend instrumentaliser l'action sociale en courant le risque majeur de brouiller l'image du travailleur social qui tente de gagner la confiance des parents et des enfants. Enfin, il ne faut pas oublier la procédure proche de la comparution immédiate devant le tribunal pour enfants, qui achèvera d'aligner la justice des mineurs sur celle des majeurs, devançant ainsi le débat public sur la réforme prévue de l'ordonnance de 1945.
Le texte prévoit également la pénalisation et l'expulsion expéditive et arbitraire des squatters, des occupants de bidonvilles ou d'un habitat choisi, une expulsion en quarante-huit heures des occupants d'habitations hors normes. Mieux, l'article en question prévoit une amende de 3 750 euros pour le propriétaire du terrain, public ou privé, qui s'opposerait à ces procédures arbitraires.
Il faut aussi relever la demande de placement sous surveillance électronique mobile des étrangers condamnés à une obligation de quitter le territoire français, alors que les migrants ne sauraient être considérés comme des délinquants criminels, et je ne parle pas du coût exorbitant d'une telle mesure. Une fois encore, ce sont des personnes de droit privé qui vont assurer la mise en oeuvre de ce dispositif qui relève d'une mission régalienne de l'État.
L'article 32 quinquies vise à donner la possibilité aux policiers municipaux de procéder à des contrôles d'identité et d'alcoolémie. Actuellement, ils ne peuvent faire que des recueils d'identité ou des relevés d'identité. Ce projet de loi adopté, ils pourront procéder à de véritables contrôles d'identité. De surcroît, les policiers municipaux pourront effectuer des dépistages d'alcoolémie sur l'initiative de l'officier de police judiciaire ou sur réquisition du procureur de la République, en l'absence même d'infraction préalable ou d'accident.
La création d'un délit de vente à la sauvette passible de six mois d'emprisonnement et de 3 750 euros d'amende, alors que la vente à la sauvette ne constituait, jusqu'à présent, qu'une contravention ; le sur-durcissement des peines encourues par les auteurs d'agression ou de cambriolage dont les victimes seraient des personnes âgées ; l'introduction de confiscations automatiques en matière routière ; l'invention de peines plancher encourues dès la première infraction ; l'élargissement du champ de la peine de sûreté de trente ans de réclusion à des crimes commis en bande organisée ou avec guet-apens sur une personne dépositaire de l'autorité publique ; l'extension des possibilités de placement sous surveillance électronique après l'exécution de la peine ; le renforcement de la visioconférence en matière judiciaire pour juger un prévenu en audience correctionnelle lorsque celui-ci est détenu : voilà qui complète le sombre tableau d'un droit pénal transformé en outil de communication politique au péril de nos principes, de nos libertés et du simple sens de la réalité.
L'État abandonne aussi, de manière manifeste, certaines de ses missions régaliennes avec l'accroissement des pouvoirs de la police municipale, la création d'une milice policière baptisée réserve civile, l'instauration d'un vague Conseil national des activités privées de sécurité, qui entérine et annonce la privatisation croissante de la sécurité, et la possibilité pour les agents des transports en commun d'expulser des voyageurs par la force.
L'idéologie dangereuse qui a présidé à l'élaboration de ce texte n'est pas nouvelle. Elle s'inscrit dans la logique des lois Perben, de la loi sur la sécurité intérieure, de la loi sur la prévention de la délinquance, de la loi sur la récidive, de la loi sur les peines plancher, de la loi sur la rétention de sûreté, de la loi sur la récidive criminelle et de la loi sur les bandes. Chaque fois, l'objectif affiché est de lutter contre la criminalité, de protéger les citoyens, de créer les conditions du bien-être général. Or la réalité est tout autre : le sentiment d'insécurité augmente avec l'insécurité sociale, et nos principes démocratiques se réduisent comme peau de chagrin. Comme les précédents, ce texte s'annonce inefficace du point de vue des fins qu'il prétend atteindre mais très efficace au regard de ses fins réelles : il nous prépare une société du contrôle, fondée sur une stratégie de la tension particulièrement nette dans le discours prononcé le 30 juillet dernier par le chef de l'État à Grenoble.
Depuis 2008, ce gouvernement impose une vision essentiellement répressive des problèmes de société en optant pour un amoncellement sans précédent de textes visant à durcir la législation pénale ou les modes de surveillance. Les problèmes sont-ils résolus pour autant? Loin s'en faut ! La revue de presse des émissions matinales suffirait à nous en convaincre, si nous n'étions déjà convaincus.
Au lieu d'apporter une réponse aux problèmes rencontrés par les citoyens, les politiques prônées par ce gouvernement se soldent plutôt par un échec. Au lieu de prendre acte de l'inefficacité de cette inflation législative pénale en cherchant, par exemple, à recréer une confiance citoyenne, notamment dans les quartiers populaires, le Gouvernement propose un texte qui accroît la séparation sociale. À cet égard, l'exposé des motifs du projet de loi d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, en dressant la liste exhaustive des prétendues menaces intérieures et extérieures, révèle une conception de la société à la limite de la paranoïa.
Il en résulte un amalgame de mesures sans lien particulier entre elles, visant tantôt à créer de nouvelles incriminations ou à aggraver les anciennes, tantôt à permettre à l'État d'instituer un régime d'impunité pour ses agents de renseignement ou de mieux avoir à l'oeil des populations ciblées. Avec ce projet qui limite les libertés publiques et individuelles, le droit est de plus en plus utilisé comme un instrument de répression politico-idéologique et de remise en cause des droits politiques et civils. Nous ne sommes pas loin de la légitimation de l'état d'exception mis en place par le Gouvernement contre les citoyens.
Ce n'est certainement pas ainsi que seront réglées la pauvreté, la montée du chômage, les délocalisations incessantes dont sont victimes les salariés de ce pays, pas plus d'ailleurs que ne seront réglées la dérégulation et la déstructuration de l'ensemble des services publics. Ce n'est pas ainsi, non plus, que sera mis fin à la montée inquiétante de la xénophobie favorisée par les politiques honteuses du Gouvernement ou que le terrorisme, conséquence du désespoir que l'ordre international de misère et de violence déverse et impose aux peuples, cessera. Non, ce n'est pas ainsi.
Pour cette raison et parce qu'un tel texte n'est pas sans danger, notre groupe demande à ce qu'il soit renvoyé en commission. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)