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Intervention de Philippe Houillon

Réunion du 9 décembre 2010 à 10h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilippe Houillon :

Merci de cette réponse, qui nous satisfait tous.

Sur le fond, nous avons la chance d'aborder une matière clairement balisée. Les décisions de la Cour européenne des droits de l'Homme sont claires, comme celle du Conseil constitutionnel et les trois arrêts rendus par la Cour de cassation. Ces juridictions considèrent que toute garde à vue appelle un contrôle prompt et automatique par un juge. J'entends dire que, dès lors qu'un arrêt juge trop long un délai de quatre jours et six heures, on peut en déduire qu'un délai inférieur conviendrait. À mon sens, cette déduction résulte d'une interprétation trop rapide de la jurisprudence. N'oublions pas que la CEDH emploie le terme « aussitôt ».

Par ailleurs, le contrôle de la garde à vue doit être effectué par un magistrat qui n'appartient pas au parquet. Les décisions ont été réitérées dans des termes clairs. Si l'on n'en tient pas compte, nous nous ferons sérieusement taper sur les doigts par la Cour européenne, ce qui a déjà commencé avec l'arrêt Moulin. C'est si vrai que, le 26 octobre, la Cour suprême du Royaume-Uni, saisie à peu près des mêmes questions sur le régime de la garde à vue en Écosse, a repris la jurisprudence de la CEDH en considérant qu'elle devait s'appliquer sans moratoire, quelque bouleversement qu'elle introduise dans la procédure.

Un autre principe concerne l'assistance effective de l'avocat et le fait qu'une personne soupçonnée ou mise en cause ne doit pas avoir à s'incriminer et puisse garder le silence.

Enfin, le Conseil constitutionnel et la Cour de cassation se sont exprimés sur les régimes dérogatoires.

Le chemin étant clairement balisé, soit on applique la jurisprudence, soit on s'en tient à des demi-mesures qui nous exposeront à de nouvelles condamnations de la Cour européenne ou de la Cour de cassation. Veut-on, oui ou non, tenir compte de leur avis ? Certains répètent que la garde à vue est une phase non pas juridictionnelle mais policière. Là n'est pas le problème ; le fait est que la garde à vue constitue une privation de liberté, qui déclenche les garanties, et peu importe sa nature.

Pour le reste, il ne me semble pas possible, comme le prévoit le texte, de placer la garde à vue sous le contrôle du procureur. Celui du JLD poserait un autre problème : il n'existe pas partout de JLD, alors que les gardes à vue auront lieu dans tous les ressorts des tribunaux de grande instance. Il faut donc trouver une solution plus précise.

Quant à l'audition libre, le texte parle d'une « personne soupçonnée », ce qui exclut que l'on ne prévoie aucune garantie. Soit la personne entendue en audition libre dira ce que les policiers ont envie d'entendre, et l'audition prendra fin, soit l'on recourra à la passerelle vers la garde à vue prévue par le projet de loi. Il restera cependant un vide juridique. Certes, en prévoyant la garde à vue pour toutes les infractions donnant lieu à un emprisonnement, on balaie pratiquement tous les cas. Mais, en théorie, il faut bien qu'une personne mise en cause soit entendue à un moment ou un autre de l'enquête. Comment faire si la garde à vue n'est pas possible, et que la personne refuse d'être entendue en audition libre ? La meilleure solution serait sans doute d'instaurer une audition assistée, ce qui impliquerait de déplacer le curseur déclenchant la garde à vue. Pour aider à la réflexion, je rappelle que la détention provisoire – que l'on ne peut confondre avec la garde à vue – n'est possible que lorsqu'une peine de trois ans est encourue.

Je pense également qu'il faut réécrire les articles 5 à 7 du projet de loi, puisque la jurisprudence mentionne l'assistance effective de l'avocat, ce qui suppose défense et organisation de la défense, présence immédiate, présence aux interrogatoires et, le cas échéant, faculté d'effectuer des demandes d'actes, de façon que la procédure soit contradictoire. Ces mesures sont celles que nous avions préconisées dans le cadre de la Commission d'enquête sur l'affaire d'Outreau, qui les avait votées à l'unanimité. Il ne s'agit pas de repousser la menace de l'accusatoire, qui n'est plus à l'ordre de jour. D'ailleurs, les expériences menées ailleurs – par exemple en Italie – n'ont pas été concluantes dès lors qu'elles n'allaient pas dans le sens de la culture du pays. En revanche, il faut aller vers le contradictoire. Cette modification de nos habitudes n'a rien d'un bouleversement révolutionnaire : il s'agit simplement d'adapter la manière pour le moins archaïque dont le pays des droits de l'Homme traite la privation de liberté.

Enfin, pour ce qui concerne les régimes dérogatoires, les arrêts de la Cour de cassation laissent la porte ouverte à la mise en place d'un système compatible avec la jurisprudence européenne et celle de la Cour de cassation. Il suffit que la décision soit liée, non à la nature de l'infraction, mais aux circonstances de l'affaire, ce qui ouvre le champ à la rédaction de textes qui permettent de protéger et les droits applicables et les circonstances, dans des affaires particulières.

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