Nombre de notions me semblent devoir être précisées dans cette réforme d'importance, qui répond à la nécessité de maîtriser le nombre de gardes à vue. Mais comment s'étonner de l'augmentation de ces dernières, dès lors que leur nombre est devenu un indicateur de performance ? J'ajoute qu'elles permettent souvent une élucidation de l'enquête et que le recours à la garde à vue correspond à l'interprétation jurisprudentielle, notamment par la Cour de cassation, de la loi Guigou. Le texte obéit aussi au souci de garantir les droits du gardé à vue, tout en dotant les enquêteurs d'outils procéduraux adaptés à l'élucidation des faits les plus graves, notamment ceux punis d'emprisonnement.
Tout a évolué du fait des décisions de la Cour européenne des droits de l'Homme, sans doute influencée par le droit anglo-saxon. Peut-être avons-nous eu tort de ne pas faire valoir les principes de notre droit au sein des instances internationales. Nous voilà contraints de plaquer sur la procédure inquisitoire qui s'applique en France des mécanismes de protection des libertés adaptés à une procédure accusatoire, ce qui soulève de grandes difficultés.
C'est une réforme globale qu'il aurait fallu faire, quitte à changer de système ! La décision du Conseil constitutionnel, qui nous impose de procéder à la réforme de la garde à vue avant le 1er juillet 2011, ne nous facilite pas la tâche.
Nous sommes tous des défenseurs des libertés individuelles, mais comment ne pas insister, dans le contexte actuel, sur la nécessité absolue de ne pas entraver le travail des policiers ? La garde à vue est un moment décisif de l'enquête. Il y a d'ailleurs une corrélation frappante entre l'augmentation du nombre de gardes à vue et celle du taux d'élucidation. Entre 2002 et 2009, le nombre de gardes à vue a augmenté de 45 % dans l'agglomération parisienne, et le taux d'élucidation des faits de violence aux personnes, de 51 %.
À mon sens, tant que l'on ne change pas de système, la nature de la garde à vue ne doit pas être modifiée. Elle doit rester une phase policière et non devenir une étape quasi juridictionnelle, ce qui a plusieurs conséquences. L'une d'elles concerne l'arrivée de l'avocat, l'autre, le droit de garder le silence.
En outre, l'accès de l'avocat aux pièces du dossier doit être limité. En effet, soit la garde à vue intervient aussitôt après les faits, auquel cas le dossier est vide, soit elle résulte de l'enquête, et les PV ne constituent pas un dossier proprement dit : ce sont des documents épars, qui ne pourront être qualifiés de dossier qu'une fois mis en forme et transmis à l'autorité judiciaire. D'ailleurs, compte tenu du temps restreint de la garde à vue, l'accès à l'ensemble des PV semble matériellement impossible, puisque, dans les affaires très lourdes, ils représentent des centaines de pages.
Enfin, sans remettre en cause sa déontologie, il faut éviter qu'un avocat ait connaissance, avant même le magistrat, d'informations qui pourraient mettre en cause d'autres personnes que son client.
Je pense comme M. Perben que le délai de carence doit être précisé. Un délai de deux heures, peut-être un peu court en zone rurale, paraît raisonnable, mais demandera une réorganisation des barreaux. Observons qu'à Paris, dans les deux tiers des cas, les avocats ne se déplacent pas pour une garde à vue.
Aux termes de la réforme, l'entretien avec l'avocat changera de nature. Actuellement, lors de la garde à vue, l'avocat joue seulement un rôle d'information du gardé à vue, alors qu'il interviendra désormais pour organiser la défense et préparer les interrogatoires. En contrepartie, il ne devra intervenir qu'en fin d'audition, peut-être seulement sur des points de droit et non sur le fond.
On peut imaginer aussi que le gardé à vue dispose d'une quinzaine de minutes pour préparer chaque audition et qu'au terme de chacune d'elles l'avocat puisse émettre des observations écrites. Afin d'éviter d'éventuelles manoeuvres dilatoires, la police de l'audition doit être effectuée par l'OPJ, sous le contrôle du procureur.
L'audition, moment privilégié dans la conduite de l'enquête, n'est pas et ne doit pas devenir un débat contradictoire. Lors d'une confrontation, la victime doit elle aussi, pour des raisons d'équilibre, être assistée d'un avocat. Reste à savoir quel doit être le statut des témoins. L'enregistrement doit devenir systématique et être considéré comme une pièce de procédure. Quant à savoir s'il faut continuer à disposer de pièces écrites, attention à ne pas imposer aux enquêteurs une surcharge de travail qui les empêcherait de mener l'enquête ! Évitons que l'alourdissement de la procédure ne leur impose de consacrer deux tiers de leur temps à des tâches matérielles !
Je me réjouis que le problème de la fouille soit réglé, dans le respect de la dignité de chacun, mais, en contrepartie, il faut exonérer la police de toute responsabilité qui découlerait de cette situation.
Si, dans certains cas particuliers, l'OPJ peut demander au parquet de prolonger la garde à vue pendant douze heures, un renouvellement supplémentaire de douze heures me semble à prévoir, notamment en cas de menace d'attentat ou quand il faut recueillir des preuves.
Pour ce qui concerne les régimes dérogatoires, je partage l'avis de M. Perben. En ce qui concerne l'arrêt Moulin, l'amendement sur le mandat d'amener me semble intéressant, mais le placement et le renouvellement sont à la charge du parquet. Peut-être le contentieux de la garde à vue pourrait-il relever du JLD, ce qui supposerait cependant une réorganisation des magistrats du siège.
L'audition libre, qui ne doit pas être un substitut de la garde à vue, doit être plus simple qu'elle n'est aujourd'hui prévue par le projet de loi. Si on la rend complexe et contraignante, la garde à vue restera le recours principal des enquêteurs. Aujourd'hui, le système semble fonctionner. On compte 1,6 million de personnes mises en cause, soit deux fois plus que de personnes gardées à vue. Il n'est donc pas certain qu'il faille créer le dispositif de l'audition libre, dispositif que la Cour européenne des droits de l'Homme peut récuser, au motif qu'il se déroule sans la présence d'un avocat, et auquel les enquêteurs reprocheront peut-être d'être plus lourd sur le plan administratif qu'une simple convocation.