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Intervention de Dominique Raimbourg

Réunion du 9 décembre 2010 à 10h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDominique Raimbourg :

La réforme que vous nous présentez, monsieur le garde des Sceaux, est difficile et compliquée. D'abord, elle intervient après que les juridictions nous ont adressé de nombreux avertissements, dont nous n'avons pas su tenir compte. La situation s'est même aggravée : les dispositions de la loi du 15 juin 2000 concernant la garde à vue, dont le législateur ne pensait pas qu'elle serait utilisée comme une mesure de protection dont la mise en oeuvre était nécessaire, ont fait l'objet d'interprétations jurisprudentielles. Par ailleurs, le Président de la République a malencontreusement choisi de faire de la garde à vue un indicateur de l'efficacité policière.

Notre procédure pénale, est aujourd'hui déséquilibrée. Autrefois, une phase judiciaire succédait à une phase policière. Mais aujourd'hui, les juges d'instruction traitent 30 000 dossiers quand, dans le même temps, les tribunaux correctionnels prononcent 580 000 décisions, la plupart d'entre elles ne faisant donc l'objet d'aucune enquête contradictoire. Le paradoxe de cette réforme est le suivant : en isolant le temps de la garde à vue du reste de la procédure pénale, cette réforme nous amène à rendre l'enquête partiellement contradictoire, alors que toutes les opérations qui suivront ne le seront plus.

En outre, la difficulté de cette réforme tient au fait que la garde à vue n'est pas seulement une mesure d'enquête, mais remplit aussi deux autres fonctions. En permettant une rétention limitée dans le temps, elle prévient le renouvellement de l'infraction. Par ailleurs, elle permet d'adapter les moyens de la police et de la justice au traitement des dossiers. C'est précisément là que se pose le problème de la nuit. Selon des sondages réalisés par le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, seules une heure et demie ou deux heures sur les treize heures que dure en moyenne une garde à vue sont consacrées à l'audition du mis en cause. Le service de quart, notamment la nuit, n'a pas les moyens de prendre immédiatement une décision sur les enquêtes et place les personnes en garde à vue dans l'attente du retour du service enquêteur. Par ailleurs, il n'est pas prévu de récupération des permanences de nuit pour les procureurs, ce qui fait que le fax de notification de garde à vue arrive souvent, la nuit, dans un bureau vide.

La question de l'audition libre est extrêmement complexe. Beaucoup d'affaires, selon la police, ne méritent pas une garde à vue. Mais si la garde à vue est considérée comme une mesure de protection, comment échapper à un tel dispositif ? Pour autant, pourquoi l'OPJ mettrait-il en oeuvre une mesure aussi compliquée en se privant d'un certain nombre de moyens ? Cette difficulté est centrale, et je crains que nous n'ayons pas trouvé à ce jour de solution satisfaisante.

L'instauration d'un délai de carence, qui donne à l'avocat le temps d'arriver, est nécessaire. Mais sitôt ce délai expiré, l'enquête doit pouvoir commencer. Doit-on, pour définir le rôle de l'avocat en garde à vue, s'inspirer de son rôle dans la phase de l'instruction – avocat taisant pendant l'interrogatoire, puis posant un certain nombre de questions à son issue ? Enfin, qui arbitre le conflit entre l'OPJ et l'avocat ? À l'instruction, le juge clôt l'interrogatoire et saisit le bâtonnier. Qu'en est-il dans le temps contraint d'une garde à vue ?

Monsieur le garde des Sceaux, je partage votre avis selon lequel le procureur est la partie poursuivante. Dans un droit pensé de partie à partie, je ne vois pas comment le procureur pourrait porter atteinte aux droits de l'autre partie en différant l'intervention de l'avocat. Pour autant, je suis partisan de la protection du secret de l'enquête pendant un certain temps, surtout lorsqu'il y a pluralité d'auteurs et que leurs dépositions doivent demeurer secrètes tant que tous ne se sont pas expliqués sur leur rôle respectif.

La prolongation de la garde à vue ne peut pas non plus être du ressort de la partie poursuivante, mais forcément du juge des libertés et de la détention. Je suis bien conscient des difficultés que recouvre une telle proposition, dans la mesure où les juges des libertés et de la détention sont encore moins nombreux que les procureurs. Ces difficultés d'ordre démographique se poseront aussi pour la présence effective de l'avocat ; il sera difficile de mettre en oeuvre la réforme sur l'ensemble du territoire, puisque l'on dénombre en France 52 000 avocats, dont 23 000 exercent à Paris.

Enfin, je partage les observations de M. Garraud sur la défense de la victime. Il n'est pas question que celle-ci se retrouve seule face à l'auteur présumé de l'infraction, assisté, quant à lui, d'un avocat.

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