Il est vrai que les décisions récentes de la Cour européenne des droits de l'Homme, du Conseil constitutionnel et de la Cour de cassation donnent un tour particulièrement contraint au contexte juridique de cette réforme. Sans doute aurait-il été souhaitable d'engager une réforme globale de la procédure pénale, mais le calendrier nous impose d'examiner de façon autonome, tout autant que sereine, la question de la garde à vue.
L'équilibre que nous devons trouver est, certes, délicat. On ne doit ni décourager les forces de l'ordre ni donner le sentiment d'une moindre vigilance ou d'une quelconque impunité. Il nous faut par ailleurs nous préoccuper des victimes tout en respectant les droits de la défense.
Dire que la liberté est le principe, et la contrainte l'exception, est une approche séduisante. Pourtant, un certain nombre de difficultés se posent. Il ressort des auditions de juristes, d'experts et de praticiens que j'ai pu mener en tant que rapporteur, ou de celles organisées par la Commission, que, selon les jurisprudences, notamment celle de la Cour européenne des droits de l'Homme, la présence d'un avocat est nécessaire dès le début de l'audition libre. Dans ce cas, le dispositif prévu par le projet de loi ne tient plus.
La définition de la garde à vue, beaucoup plus stricte qu'actuellement, me paraît pertinente. Un certain nombre de questions méritent cependant encore d'être soulevées s'agissant de la protection des droits de la personne placée en garde à vue : comment se traduit l'effectivité de l'assistance de l'avocat ? À quel moment débute son intervention ? Faut-il prévoir un délai de carence ? À quels éléments du dossier a-t-il accès ? S'agit-il ou non d'un avocat « taisant » ?
Le droit au silence devait être instauré. C'est désormais un principe inscrit dans les mentalités, et, de fait, aujourd'hui, les personnes mises en cause qui ne veulent pas parler ne parlent pas.
Le respect de la dignité est essentiel. Avec la suppression des fouilles à corps disparaîtront les traumatismes psychologiques et le sentiment de déshumanisation qu'elles pouvaient provoquer.
Je partage votre approche des régimes dérogatoires. Le système français en matière de terrorisme, que nous envient les autres pays, est pertinent et efficace. Il serait fâcheux de le mettre à mal dans une période où les menaces sont particulièrement prégnantes. En matière de stupéfiants et de bande organisée, il convient de maintenir un régime spécifique. Hormis certaines adaptations nécessaires, le dispositif que vient de présenter M. le garde des Sceaux n'appelle pas de commentaires à ce stade.
En revanche, permettre au parquet de contrôler la prolongation des gardes à vue est une source de difficultés, pour ne pas dire une erreur. Même si l'interprétation des arrêts de la Cour européenne des droits de l'Homme, en particulier de l'arrêt Moulin, ne doit pas être trop extensive, il me semble que cette question doit être réexaminée, sans pour autant que soit rouvert le débat sur l'indépendance et le rôle du parquet.
Enfin, des moyens importants devront être mis en oeuvre pour appliquer cette réforme, en termes tant de budget que d'organisation. Les barreaux des grandes villes pourront s'adapter facilement, mais je m'interroge sur la façon dont les « petits barreaux » pourront se mettre au diapason des nouvelles mesures.