Je vous remercie pour l'accueil que vous voulez bien me réserver. Rencontrer régulièrement les membres de la commission des Lois de l'Assemblée nationale me réjouit et, pour tout dire, me rajeunit.
Le projet de loi relatif à la garde à vue est présenté dans un contexte de foisonnement juridique. Le Conseil constitutionnel a rendu sa décision le 30 juillet, et la chambre criminelle de la Cour de cassation, qui a déjà rendu trois arrêts, siégera demain dans une affaire qui pourrait avoir des conséquences sur la garde à vue. La première chambre civile devrait à son tour statuer au début du mois de janvier 2011. Cette matière, stable durant des années, s'ouvre désormais, en partie grâce à la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, qui, avec la question prioritaire de constitutionnalité, a institué le contrôle de constitutionnalité par voie d'exception.
La réforme de la garde à vue que le Gouvernement veut porter et faire partager à la représentation nationale est ambitieuse. En élaborant ce projet de loi, nous avons veillé à concilier les deux impératifs de toute société démocratique que sont, d'une part, la recherche de la vérité et la poursuite des auteurs d'infractions et, d'autre part, la préservation des libertés constitutionnellement garanties.
La réforme de la garde à vue s'inscrit dans le cadre plus global de la réforme de la procédure pénale, initiée en octobre 2009. Mais la décision du Conseil constitutionnel nous conduit à présenter dès aujourd'hui un projet autonome. Comme vous le savez, la haute juridiction a jugé certaines dispositions existantes contraires à la Constitution, tout en prévoyant un délai de mise en conformité expirant le 1er juillet 2011. Nous avons donc, compte tenu des délais de saisine du Conseil constitutionnel, environ jusqu'au 30 mai pour achever la mise en oeuvre de la réforme de la garde à vue. Mon intention étant d'éviter le recours à la procédure accélérée, je pense que nous serons amenés à nous voir souvent et à passer de longues nuits ensemble.
L'économie de ce texte repose sur un principe fondamental : la liberté est la règle, la mesure de police l'exception. Les personnes entendues dans le cadre d'enquêtes pénales resteront libres, le placement en garde à vue n'étant décidé qu'en cas de stricte nécessité.
Pourquoi, en effet, utiliser plus que de raison la coercition ? Dans un cas sur deux, les personnes aujourd'hui mises en cause sont entendues en dehors du cadre de la garde à vue. Néanmoins, le nombre de gardes à vue, en constante augmentation depuis plusieurs années, demeure trop élevé (790 000 en 2009). Il était essentiel de le limiter en prévoyant un encadrement strict du recours au placement en garde à vue et de renforcer les droits de ceux qui, lorsque cela se révèle nécessaire, y sont soumis.
Il s'agit, en premier lieu, de limiter le nombre de gardes à vue en encadrant le recours à cette procédure.
L'article 1er du projet de loi rappelle donc le principe de liberté de la personne auditionnée. Celle-ci doit être avisée par les enquêteurs de la nature et de la date présumée de l'infraction dont elle est soupçonnée ; elle doit exprimer son consentement à être entendue. Il s'agit là d'une avancée majeure puisque les personnes auditionnées hors garde à vue aujourd'hui n'ont accès ni à ces informations ni à ce droit. De plus, à tout moment, la personne peut mettre un terme à son audition, et son consentement est recueilli à chaque reprise d'audition.
Ce régime a vocation à s'appliquer à tous les cas dans lesquels la personne s'est rendue librement et spontanément dans les locaux de police, à la suite d'une convocation, ainsi que dans ceux où elle a accepté expressément de suivre les enquêteurs après son interpellation.
Ce dispositif est pleinement conforme aux jurisprudences constitutionnelles et conventionnelles, qui n'ont jamais exigé qu'une personne entendue librement au stade de l'enquête soit assistée d'un avocat.
Ce sont ainsi des dizaines de milliers de gardes à vue par an qui pourront être évitées. Que l'on pense, par exemple, aux gardes à vue qui suivaient des contrôles routiers ! Beaucoup d'entre elles n'étaient aucunement justifiées par les nécessités de l'enquête, mais elles étaient décidées par précaution, en l'absence de tout autre cadre juridique sûr.
Ce recours excessif au régime de la garde à vue, par souci légitime d'éviter des annulations de procédure, n'aura plus lieu d'être.
Cette première avancée de la réforme répond très largement au double impératif que j'évoquais : elle réduit le nombre de gardes à vue et permet de recentrer le travail des enquêteurs sur l'essence même de leur métier, à savoir la poursuite des investigations aux fins de la recherche de la vérité, plutôt que de l'alourdir par la gestion des formalités de la garde à vue ; elle préserve la liberté des personnes mises en cause, en évitant des mesures de coercition injustifiées.
En revanche, lorsqu'une mesure de garde à vue s'avérera nécessaire, elle sera encadrée de façon plus stricte. Le texte définit de façon précise la garde à vue et prévoit de limiter son utilisation aux investigations concernant les infractions punies d'une peine d'emprisonnement.
L'enquêteur devra justifier que le placement en garde à vue est l'unique moyen de permettre l'exécution des investigations, ou l'unique moyen d'empêcher la personne de modifier les preuves, de faire pression sur les témoins et les victimes, de se concerter avec ses complices. Ces critères, similaires à ceux fixés en matière de détention provisoire, permettent de concentrer la garde à vue sur son objectif essentiel : être un outil au service de l'enquête. Ces critères seront contrôlés, selon les cas, par un magistrat du parquet ou par le juge d'instruction saisi.
La garde à vue sera donc mieux encadrée et les droits du gardé à vue seront étendus.
Il s'agit, en deuxième lieu, d'introduire des avancées essentielles pour la protection des droits des individus placés en garde à vue.
L'objectif central du projet est l'assistance effective de l'avocat, dont la présence et les moyens d'intervention sont considérablement renforcés. La personne placée en garde à vue pourra être assistée tout au long de la procédure, et l'avocat aura accès au procès-verbal de notification et aux procès-verbaux d'audition. Le texte permet ainsi à la personne d'organiser sa défense et de préparer les auditions devant les services de police.
Par ailleurs, la personne placée en garde à vue doit être informée de son droit à conserver le silence. Cette exigence, rappelée par le Conseil constitutionnel en juillet dernier, est, dans la plupart des pays occidentaux, une norme, parfois même de niveau constitutionnel. Notre législation se devait de prévoir expressément cette disposition.
Le respect de la dignité des personnes est l'un des apports essentiels de la réforme. Les fouilles à corps, particulièrement humiliantes, étaient souvent plus mal vécues que la privation de liberté elle-même et faisaient l'objet de critiques récurrentes. Les fouilles intégrales menées pour des raisons de sécurité seront dorénavant prohibées, tandis que les fouilles effectuées pour les nécessités de l'enquête, assimilées à une perquisition, demeureront autorisées – ce sera le cas pour la recherche de stupéfiants.
Enfin, si le projet introduit des avancées majeures en termes de protection des droits, nous ne devons pas perdre de vue qu'il faut des cadres d'enquête souples et adaptés à toutes les formes de criminalité : des régimes dérogatoires sont indispensables pour répondre à des circonstances exceptionnelles.
Ni le juge constitutionnel, ni la Cour de cassation, ni la Cour européenne des droits de l'Homme n'ont contesté une telle nécessité. En cette matière aussi, tout est affaire de proportionnalité.
Le Conseil constitutionnel reprochait en effet au régime actuel de garde à vue une restriction des droits de la défense de portée générale, sans considération des circonstances particulières de l'espèce. En revanche, dès lors que peuvent être dûment motivées lesdites circonstances particulières, une dérogation est envisageable. Ainsi, le texte prévoit la possibilité, sur autorisation d'un magistrat, de différer de douze heures la participation de l'avocat aux auditions afin de permettre le bon déroulement d'investigations urgentes ou de prévenir une atteinte imminente aux personnes.
De même, la Cour de cassation a admis l'existence de régimes dérogatoires en précisant, dans trois arrêts du 19 octobre 2010, que des « raisons impérieuses tenant aux circonstances particulières de l'espèce » pouvaient justifier le report de l'assistance de l'avocat.
Il nous faut prendre en compte cette jurisprudence postérieure au dépôt du projet de loi. C'est la raison pour laquelle je présenterai un amendement prévoyant qu'en matière d'infractions à la législation sur les stupéfiants, de criminalité organisée et de terrorisme, la présence de l'avocat pourra être différée, sur autorisation du procureur de la République durant les vingt-quatre premières heures, et sur autorisation du juge des libertés et de la détention (JLD) jusqu'à la quarante-huitième, voire jusqu'à la soixante-douzième heure en matière de trafic de stupéfiants et de terrorisme.
En droit commun, l'intervention de l'avocat pourra être différée de douze heures sur autorisation du procureur de la République, puis à nouveau de douze heures sur décision du juge des libertés et de la détention. Dans tous les cas, ce report devra être motivé en fonction des circonstances de l'espèce.
Il s'agit, en troisième lieu, d'améliorer le projet pour tenir compte de toutes les évolutions constitutionnelles et conventionnelles : c'est là un objectif affiché du Gouvernement.
Je présenterai tout d'abord, en accord avec le ministre du budget, un amendement sur la retenue douanière, qui vise à adapter cette forme spécifique de coercition aux exigences fixées par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 22 septembre 2010.
Ce projet est aussi l'occasion de réformer une disposition que la Cour européenne des droits de l'Homme a censurée dans l'arrêt Moulin, le 23 novembre 2010. À ce propos, je voudrais vous mettre en garde contre les tentations de surinterprétation de cet arrêt, auxquelles certains commentateurs se sont parfois livrés.
La position de la Cour européenne des droits de l'Homme n'est pas nouvelle : cet arrêt confirme une jurisprudence de 1988, aux termes de laquelle le parquet ne peut être qualifié d'autorité judiciaire au sens de l'article 5, paragraphe 3, de la Convention européenne des droits de l'Homme, notamment parce qu'il est une partie poursuivante. Modifier le statut du parquet n'aurait aucune incidence puisqu'il resterait partie poursuivante, comme l'est d'ailleurs le juge d'instruction lorsqu'il rend une ordonnance de renvoi.
La Cour européenne des droits de l'Homme prend également soin de souligner qu'il « ne lui appartient pas de prendre position dans le débat concernant le statut du ministère public en France ».
L'arrêt Moulin apporte en revanche deux précisions : la présentation à un juge est nécessaire, même si la privation de liberté intervient sur le fondement d'un mandat délivré par un autre juge, et d'une garde à vue, contrôlée en l'espèce par un juge ; la privation de liberté doit être envisagée de manière globale même si elle a plusieurs fondements successifs (garde à vue, mandat d'amener). Pour toute privation de liberté supérieure à quatre jours, l'intervention d'un magistrat du siège est par conséquent nécessaire.
La Cour n'a cependant jamais condamné le pouvoir confié au procureur de la République de contrôler les gardes à vue pendant un délai de quarante-huit heures. La légitimité de celui-ci à assurer ce contrôle est pleine et entière. Au-delà de ce délai, notre droit prévoit l'intervention du juge des libertés et de la détention.
Ôter au procureur de la République le pouvoir de contrôler la garde à vue reviendrait d'ailleurs à donner au juge des libertés et de la détention le pouvoir de contrôler les politiques de poursuites rapides et de défèrement, actuellement sous le contrôle du parquet. Les conséquences sur la maîtrise des objectifs de politique pénale du Gouvernement seraient loin d'être négligeables.
Pour résoudre la difficulté soulevée par l'arrêt Moulin, je soumettrai à votre Commission un amendement qui tire les conséquences de cette jurisprudence en confiant le contrôle de la mise à exécution des mandats d'arrêt et d'amener au juge des libertés et de la détention.
D'autres amendements, précisant et enrichissant le dispositif envisagé, pourront être adoptés dès lors qu'ils ne remettent pas en cause son équilibre général. Ainsi, il paraît indispensable de prévoir, lors d'une confrontation entre un auteur présumé et sa victime, la possibilité que celle-ci soit également assistée d'un avocat. Il s'agit de garantir l'égalité des armes, dans une phase essentielle de la procédure.
Pour finir, j'insisterai, à ce stade, sur un point : la mise en oeuvre de cette ambitieuse réforme.
Cette mise en oeuvre exige une mobilisation des différents services de l'État, qu'il s'agisse des services de police ou des juridictions, un effort conséquent d'équipement (matériels de visioconférence pour faciliter les prolongations de garde à vue, locaux pour la consultation des dossiers par les avocats) et, surtout, un effort sans précédent en matière d'aide juridictionnelle. Nous avons déjà prévu des mesures en ce sens. Le budget consacré au financement de l'aide juridictionnelle a été augmenté en matière pénale : 80 millions d'euros supplémentaires seront ainsi alloués à la défense par les avocats des personnes placées en garde à vue.
Les barreaux devront participer pleinement à ces efforts. Je ne doute pas qu'ils sauront relever ce défi et assurer la défense effective de tous ceux qui, placés en garde à vue, où qu'ils soient sur le territoire de la République, souhaiteront bénéficier de leurs services.
Cette réforme impliquera aussi des modifications profondes de fonctionnement. Tous devront s'adapter à ces mutations afin que la nouvelle procédure pénale permette plus de respect des libertés publiques mais n'entraîne pas une moindre efficacité dans la recherche des auteurs d'infractions.
La réforme de la garde à vue était nécessaire, et elle est très attendue. La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme, du Conseil constitutionnel et de la Cour de cassation, toujours en évolution, conforte l'ambition initiale du Gouvernement et nous pousse à aller plus loin. Les échanges que nous aurons en Commission puis en séance publique seront, je le sais, fructueux et vigoureux. Le projet répondra ainsi aux meilleurs standards européens.
L'équilibre que nous devons trouver ensemble est délicat : les droits de la défense doivent être protégés sans que la qualité des enquêtes s'en trouve affaiblie. Le législateur a souvent eu en cette matière un mouvement de balancier. Je souhaite adapter notre législation aux normes constitutionnelles et conventionnelles tout en préservant ce fragile équilibre. Pour parvenir à concilier ces différentes exigences, je sais pouvoir compter sur votre compétence.