Je vais pratiquer devant vous un exercice de polyphonie dont je vous assure qu'il ne débouchera pas sur une cacophonie. Sans reprendre les propos de M. Xavier Breton, que je partage totalement, je souhaiterais les prolonger de quelques commentaires qui constitueront quelques-uns des sujets que nous devrons aborder la semaine prochaine lors de notre réunion avec le Comité de pilotage de la Conférence sur les rythmes scolaires.
Nous présentons ce rapport dans le contexte particulier de la parution de la dernière enquête du Programme international pour le suivi des acquis des élèves (PISA), dont les résultats nous interpellent tous quelles que soient les remarques que nous pouvons formuler sur cette enquête ou les conséquences que nous en déduisons.
Nous pouvons en dégager un premier constat : en dépit des moyens que nous lui consacrons et de l'implication du corps enseignant, notre système éducatif ne marche pas bien puisqu'il creuse les inégalités, alors qu'une des missions confiée à l'École républicaine est de compenser ces inégalités. Par conséquent, le problème des rythmes scolaires se pose à un moment où nous devons nous interroger sur la nature et l'efficacité de notre système éducatif. Toutes nos auditions ont démontré combien le traitement d'un tel sujet était difficile puisque nous avons entendu nombre d'avis divergents, voire même contradictoires : ainsi les points de vue respectifs et extrêmement antagonistes des professionnels du tourisme, que vient d'évoquer le corapporteur, et des chronobiolologistes. La synthèse est difficile à faire, même si nous sommes rompus à ce genre d'exercice.
Pourtant, le problème se pose depuis vingt-cinq ans sans qu'aucune préconisation ni aucune solution n'ait jamais été trouvée. Compte tenu des difficultés d'application, quelle concertation peut-on envisager, quels voies et moyens permettraient-ils de parvenir à un consensus ?
C'est une évidence, les rythmes de l'enfant diffèrent des rythmes de la vie scolaire, laquelle n'est pas adaptée à sa réussite. Il faut donc les changer.
Une deuxième évidence concerne la trop grande durée de la journée scolaire. Comme l'a rappelé M. Xavier Breton, nous avons la journée scolaire la plus longue de tous les pays développés, tandis que l'année scolaire est très courte. La concentration des heures d'enseignement qui en résulte est inefficace. Nous avons donc souhaité « enterrer » la semaine de quatre jours, en regrettant les conditions dans lesquelles elle a été adoptée. Nous pensons par ailleurs qu'il convient de revoir l'alternance des périodes de vacances et d'activité sur le principe dit du « 72 », comme l'ont recommandé les chronobiologistes. Il y a pratiquement un consensus sur le sujet, même si cette organisation est susceptible de poser des difficultés aux professionnels du tourisme.
Je souhaiterais également insister sur le cheminement de nos travaux au cours de la mission. Si nous nous sommes tout d'abord intéressés à l'aspect technique de l'aménagement des rythmes scolaires, nous nous sommes rapidement aperçus qu'en abordant ce sujet, nous devions traiter de problèmes les dépassant et touchant à l'évolution du système éducatif.
En effet, poser le problème de la journée scolaire, c'est poser le problème des emplois du temps. Le maintien de ces derniers est-il compatible avec une évolution des rythmes scolaires ? À l'évidence, non. Si l'on veut faire évoluer les rythmes scolaires dans la journée, si l'on veut personnaliser et individualiser la pédagogie, on est obligé de concevoir différemment les emplois du temps et de revoir les champs disciplinaires. Quel avantage y a-t-il en effet à maintenir les enseignements « spécialisés » par champ disciplinaire tels que nous les connaissons aujourd'hui ?
La réflexion sur le métier d'enseignant aujourd'hui s'impose. Dans d'autres pays, en Allemagne et en Finlande, et dans certaines villes de France – comme à Épinal, dont je salue le député-maire, M. Michel Heinrich, qui continue à appliquer, avec volonté et talent, le dispositif d'aménagement du temps de l'enfant initié, il y a fort longtemps, par son prédécesseur –, on a pu voir combien était importante la présence des adultes dans le cadre scolaire, en dehors des heures de cours. De même, la présence des élèves dans un cadre scolaire, dont les activités peuvent être variables, est un gage de réussite scolaire, notamment pour ceux issus de milieux sociaux défavorisés.
Tout ceci nous conduit donc à mener une réflexion sur le métier d'enseignant et la formation et induit une autre question : à qui doit revenir la fixation des rythmes scolaires ? Ceux-ci doivent-ils être identiques à Lille, Marseille, Strasbourg et Brest ? Tout le monde s'accorde à dire que non. Dès lors, doit-on faire « éclater » le cadre national, comme cela est le cas en Allemagne ? La plupart de nos interlocuteurs ont souhaité son maintien tout en l'assortissant d'une certaine souplesse d'application, par la prise en compte des caractéristiques régionales, du climat ou d'autres éléments. Mais alors, à quel niveau doit-on déterminer les modalités de cette souplesse : celui de l'établissement d'enseignement, ou, en son sein, de l'équipe éducative, celui de la commune, ou bien celui du « bassin de vie éducative », constitué par un réseau d'écoles primaires, de collèges et d'un ou plusieurs lycées ?
Le traitement de ces questions implique une transformation de fond de notre système éducatif et suppose d'aborder d'autres points, en particulier la nature – est-elle administrative ou pédagogique ? – et le périmètre de l'autonomie des établissements.
La question des rapports qu'entretiennent ces établissements avec leur environnement est aussi centrale, de même que celle qui concerne la place et le rôle des collectivités territoriales en matière éducative. Les projets éducatifs globaux doivent-ils être institutionnalisés et consacrés par la loi, ou bien doit-on laisser toute latitude aux communes en la matière, au risque que s'instaurent des inégalités ? Comme vous le constatez, en « tirant le fil » de la question des rythmes scolaires, nous avons « défait la pelote ».
En conclusion, j'indique que nous avons eu pour parti pris de ne pas achever notre rapport par une liste de propositions précises, non par manque de courage, mais parce que nous souhaitions avant tout présenter les enjeux de la question. Nous avons toutefois émis un certain nombre de préconisations : nous avons proposé d'écarter la semaine de quatre jours et de supprimer le redoublement, en mettant en oeuvre les cycles d'apprentissage de l'école élémentaire jusqu'au collège. La continuité éducative tout au long de la scolarité obligatoire, comme l'a souligné M. Jacques Grosperrin dans son rapport sur la mise en oeuvre du socle commun de connaissances et de compétences au collège, est une nécessité.
Nous livrerons bien entendu nos réflexions à la Conférence nationale sur les rythmes scolaires dont nous rencontrerons, la semaine prochaine, le comité de pilotage. Ce sera alors au pouvoir exécutif de prendre ses responsabilités. Il faudra alors distinguer les mesures d'urgence de celles qui exigeront inévitablement une concertation plus longue. Je place dans cette dernière catégorie la redéfinition des missions du métier d'enseignant. Sur ce dernier sujet, on ne pourra avancer en quinze jours. En revanche, je pense qu'il serait possible de procéder à une nouvelle répartition de la semaine scolaire dans les mois qui viennent.