L'article 12 vaut la peine qu'on s'y attarde quelques instants, et je remercie M. Muet d'avoir fait état par anticipation de la position qu'a prise la commission des finances.
Les sociétés de personnes sont considérées dans notre droit fiscal comme translucides. Elles ne sont pas totalement transparentes puisque ce sont des entités fiscales à part entière qui peuvent faire apparaître des produits, des charges, un résultat, mais elles sont translucides et donc transparentes au sens où les associés qui les détiennent se voient imposer le résultat de l'entité transparente, au prorata de leur quote-part. S'ils ont par exemple 25 % d'une société en nom collectif, 25 % du résultat remontera et sera imposé entre leurs mains.
Il y a deux catégories d'associés : les associés particuliers, personnes physiques, entrepreneurs individuels, assujettis à l'impôt sur le revenu, et les personnes morales, assujetties à l'impôt sur les sociétés.
Cet article, d'une complexité effroyable, sur lequel l'administration travaille, nous a-t-elle dit, depuis quatre ans, nous a été présenté dans les conditions que vous savez. Je les ai évoquées hier soir ; inutile d'y revenir. Il a fallu travailler d'arrache-pied pour essayer de comprendre.
Notre premier réflexe, comme l'a souligné Pierre-Alain Muet, a été de le rejeter, d'autant qu'il n'était assorti d'aucune étude d'impact. Cependant, en regardant de plus près, nous nous sommes rendu compte qu'il avait deux volets bien distincts : l'un qui améliore le dispositif, concernant les personnes assujetties à l'impôt sur le revenu, c'est-à-dire les particuliers et les entreprises individuelles, qui peuvent déclarer différentes catégories de revenus – bénéfices agricoles, bénéfices industriels et commerciaux, bénéfices non commerciaux ou revenus de capitaux mobiliers ; l'autre relatif aux personnes morales, qui, elles, sont assujetties à l'impôt sur les sociétés.
Dans le premier volet, il n'est pas proposé une réforme de la fiscalité des sociétés de personnes, mais, en fait, une réforme de ce qu'on appelle la théorie du bilan, c'est-à-dire la possibilité, pour un entrepreneur individuel, un artisan par exemple, assujetti aux BIC, d'inscrire à son actif un bien n'ayant aucune relation avec son activité professionnelle. Imaginons qu'il inscrive à son actif un bateau. S'il l'a acheté à crédit et a donc des frais financiers ou s'il l'exploite et que cela génère des pertes, il peut imputer les charges et les pertes directement sur son revenu professionnel.
Depuis une quinzaine d'années, sous les différentes majorités d'ailleurs, avec deux grandes étapes, 1995-1996 puis 1999-2000, nous avons essayé de renforcer le principe de tunnelisation, celui selon lequel on ne peut imputer des déficits ou des bénéfices que sur la même catégorie de revenus. Il n'est ainsi possible d'imputer des déficits fonciers que sur des bénéfices fonciers. Il subsiste toutefois une petite tolérance puisque l'on peut imputer des déficits sur le revenu global, par exemple sur son revenu salarial, à hauteur de 10 700 euros au plus, montant qui n'a d'ailleurs pas bougé depuis très longtemps. C'est la règle de tunnelisation. Si je fais un déficit industriel et commercial dans le cadre d'une activité professionnelle, je ne peux l'imputer que sur le bénéfice industriel et commercial que je réalise dans le cadre d'une autre activité.
Ce n'est pas son volet principal, mais l'article 12 comporte quelques pages qui renforcent le principe de tunnelisation et qui, de ce fait – puisque l'on corrige la théorie du bilan – ont un impact sur les sociétés de personnes parce que, par symétrie ou par miroir, la modification qui va dans le sens de la tunnelisation des revenus de l'entrepreneur individuel assujetti à l'impôt sur le revenu va s'appliquer aussi dès lors qu'il est associé, par exemple, dans une société en nom collectif. C'est une bonne chose et, à la suite d'un long travail et d'un long débat en commission des finances, nous vous proposons de conserver cette partie de l'article.
Sur le second volet, les choses sont beaucoup plus incertaines. Si l'on adoptait les mesures proposées, des personnes morales soumises à l'impôt sur les sociétés pourraient combiner les avantages de la société de personnes avec ceux de régimes favorables, dont je me refuse à dire que ce sont des niches, mais qui sont des régimes dérogatoires, tels le régime mère-fille, le régime d'intégration fiscale ou l'exonération des plus-values de cession des titres de participation.
Dans le cas d'une société de personnes, les personnes morales assujetties à l'impôt sur les sociétés peuvent remonter sur leurs résultats la totalité du déficit. Si je veux remonter un dividende d'une filiale que je détiens à plus de 5 %, je ne serai bien sûr pas imposé sur ce dividende puisque le bénéfice a déjà été imposé au niveau de la filiale, mais j'aurai à payer une quote-part de 5 %. Si je passe par une société de personnes, il n'y a pas de quote-part. Si je veux intégrer un déficit en le consolidant sur un bénéfice, ce n'est possible dans le cas d'un groupe ayant plusieurs filiales, une qui est déficitaire et une qui est bénéficiaire, qu'à condition que je sois en régime d'intégration fiscale et que je détienne ces filiales à 95 % au moins. Ce n'est pas le cas pour les sociétés de personnes.
J'ai donc demandé au ministère de me fournir les études d'impact pour voir ce que pourrait donner la combinaison des avantages liés aux sociétés de personnes avec ceux de ces différents régimes. Le conseil des impôts, qui nous a remis son rapport début octobre, a chiffré le coût du régime mère-fille à une trentaine de milliards d'euros et celui du régime d'intégration fiscale à une vingtaine de milliards. Quant à l'exonération des titres de participation, son coût est chiffré en régime de croisière à 8 milliards d'euros. Ce sont des dispositifs qui représentent à eux seuls des dizaines de milliards. La combinaison avec les avantages de la société de personnes ne risque-t-elle pas de dynamiser ces différentes modalités dérogatoires au calcul de l'impôt ?
On avait mal évalué, il y a quelques années, le coût de l'exonération des titres de participation. Je rappelle, parce que je souhaite que le débat soit le plus serein possible, qu'un tel régime avait été proposé dès 2001. Je ne dis pas qu'il aurait été adopté mais il avait été proposé. C'était l'époque où Renault avait monté une société holding, ainsi qu'EADS, à Amsterdam, parce qu'ils ne pouvaient pas faire autrement pour faire circuler leurs participations. Le problème, c'est que l'on n'avait pas fait d'étude d'impact avant de l'adopter en 2004 et que le coût a été très supérieur à ce qui avait été prévu. Il ne faudrait pas que les choses se reproduisent, d'où la nécessité absolue d'avoir des études d'impact.
L'administration n'a pas été en mesure de nous en fournir et je vous proposerai, dans l'amendement de la commission des finances, d'adopter les mesures permettant de renforcer le principe de tunnelisation, qui vont dans le bon sens, pour les particuliers entrepreneurs individuels et donc, par conséquence, dans les sociétés de personnes, pour les associés entrepreneurs individuels ou particuliers ; et, pour le second volet, qui concerne les personnes morales assujetties à l'impôt sur les sociétés, de demander un rapport au Gouvernement pour fin mars ou début avril qui nous permettra de traiter éventuellement cette question dans le cadre du collectif du mois de juin. Cela me semble être la solution la plus sage et aussi, monsieur le ministre, celle qui correspond le mieux à votre souci de maintenir les recettes au niveau où elles sont aujourd'hui.