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Intervention de Martine Billard

Réunion du 2 décembre 2010 à 9h30
Souveraineté du peuple en matière budgétaire — Discussion d'une proposition de loi constitutionnelle

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMartine Billard, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État chargé de la fonction publique, mes chers et peu nombreux mais convaincus collègues, le 12 mai 2010, la Commission européenne a proposé, dans un document intitulé Renforcer la coordination des politiques économiques, la mise en place de ce qu'elle a appelé « le semestre européen de coordination des politiques économiques ».

Pour votre rapporteur, ce document ainsi que les événements et les choix relatifs qui ont suivi, doivent être étudiés avec la plus grande attention, car ils nous semblent relever d'une procédure en opposition avec les principes de souveraineté du peuple en matière budgétaire.

Les propositions avancées par la Commission le 12 mai dernier ont été adoptées le 29 octobre par le Conseil européen. Une partie de ces conclusions a d'ores et déjà amené à une modification du code de conduite régissant la mise en oeuvre du pacte de stabilité.

Selon les signataires de la proposition de loi que je rapporte, cela enclenche un processus qui conduit à soumettre a priori les procédures budgétaires nationales à une surveillance communautaire injustifiable. Pour nous, ce procédé cherche à imposer aux peuples européens des politiques libérales, celles-là mêmes qui ont conduit à la crise que nous sommes en train de vivre.

La Commission européenne a ainsi proposé, au titre du volet préventif, la mise en place de ce semestre européen, « afin que les États membres mettent en oeuvre une coordination en amont au niveau européen lors de la préparation de leurs programmes nationaux de stabilité et de convergence, y compris leurs budgets et leurs programmes nationaux de réforme ».

Pour faire valoir cette solution, la Commission a avancé l'argument selon lequel « une surveillance budgétaire et économique en amont, qui fait défaut pour le moment, permettrait de formuler de véritables orientations qui tiennent compte de la dimension européenne et qui se traduiraient par des décisions politiques nationales ». La Commission affirmait par là même, sans s'en cacher, qu'il est souhaitable d'exercer une influence directe sur les choix budgétaires nationaux.

Dès le 1er janvier 2011, le calendrier de surveillance sera le suivant : en début d'année – a priori fin février ou début mars –, sur la base d'un rapport de la Commission, le Conseil Écofin émettra des recommandations « horizontales » – par groupes de pays – sur de grandes orientations de politique budgétaire, qui devront être suivies par les États membres dans la confection de leurs programmes de stabilité.

De préférence à la mi-avril et dans tous les cas au plus tard à la fin avril, les États devront envoyer aux institutions communautaires les programmes de stabilité ainsi que les programmes nationaux de réforme.

Dans la première quinzaine de juin, la Commission rendra un avis public sur les programmes de stabilité nationaux. Sur la base de cet avis, des négociations informelles seront menées entre États pour préparer l'avis du Conseil.

Au plus tard fin juillet, le Conseil rendra son avis sur les programmes budgétaires nationaux.

La finalisation de l'élaboration des budgets nationaux interviendrait au cours du second semestre et serait donc forcée de prendre en compte les injonctions émises par les institutions européennes.

« Le rendez-vous est d'abord aux parlements nationaux », disait M. Baroin lors de la publication des préconisations de la Commission européenne. Force est de constater qu'il s'est trompé. L'agenda prévu est très clair : le premier semestre de chaque année donnera la priorité à la Commission pour juger les orientations budgétaires des pays européens selon des critères plus que discutables et éminemment idéologiques tels que le coût du travail, la réforme systémique des régimes de retraites, etc.

Par ailleurs, étant donné la date de transmission des recommandations du Conseil Écofin – en mars – et l'obligation pour les États de rendre leurs programmes de stabilité au plus tard fin avril, il sera de fait quasiment impossible d'avoir ne serait-ce qu'un débat au parlement français - comme d'ailleurs dans tous les parlements nationaux - sur la base du dépôt d'une proposition de résolution au titre de l'article 88-4 de la Constitution.

Outre cette instauration du semestre européen, c'est un paquet législatif complet qui a été proposé pour réformer la gouvernance économique européenne. Le semestre européen n'est donc pas un acte isolé mais bien un dispositif au sein d'une dynamique idéologique libérale.

Il est d'ores et déjà prévu de poursuivre cette dynamique par l'adoption d'une série d'actes communautaires de droit dérivé : la modification des règlements du Conseil pour renforcer les volets préventif et correctif du pacte de stabilité et de croissance ; l'adoption de règlements du Parlement européen sur la mise en oeuvre de la prévention et de la correction des déséquilibres macro-économiques dans la zone euro, avec son corollaire de sanctions ; l'adoption d'une directive du Conseil sur les exigences applicables aux cadres budgétaires des États membres.

Enfin, le Conseil européen des 28 et 29 octobre 2010 a engagé des consultations pour modifier le traité de Lisbonne en vue d'instaurer un mécanisme permanent de gestion de crise.

Le président du Conseil, M. Herman Van Rompuy, affirme d'un côté qu'il s'agit « de la plus grande innovation », et de l'autre qualifie le processus de modification de « limité ». En réalité, ce processus a été choisi pour éviter d'avoir à soumettre la modification à la ratification démocratique, qui aurait démontré une nouvelle fois l'opposition des peuples aux politiques libérales.

En prenant prétexte de la crise économique et financière, la modification à l'oeuvre vise clairement à une mise sous tutelle budgétaire des États membres, puisqu'il s'agit de passer d'orientations générales pour l'ensemble des pays de l'Union européenne à un contrôle pays par pays. Or, si la participation française aux Communautés européennes et à l'Union a eu pour conséquence le transfert à l'échelon communautaire de certaines compétences qui relevaient à l'origine de l'exercice de la souveraineté nationale, de tels transferts ont dû, chaque fois, être expressément autorisés par la Constitution. Ce fut le cas, par exemple, pour la ratification du traité de Maastricht du 7 février 1992, pour la ratification du traité d'Amsterdam en 1997, pour la participation française au mécanisme du mandat d'arrêt européen en 1999, pour la ratification du traité établissant une Constitution pour l'Europe en 2004.

En l'état actuel, la rédaction de l'article 88-1 de la Constitution autorise les transferts de compétences prévus par le traité de Lisbonne ou par les traités antérieurs. Mais elle ne permet pas les éventuels transferts de compétences ultérieurs qui porteraient atteinte aux conditions essentielles d'exercice de notre souveraineté. Et c'est pourtant ce qui est à l'oeuvre, en catimini, sous l'impulsion de la Commission européenne et du Conseil européen.

Bien avant la crise, la grande majorité des États membres de l'Union européenne, y compris l'Allemagne et la France, ne respectaient pas les critères de stabilité. Or, tant que les pays appliquaient la baisse des impôts recommandée par la Commission, le Conseil européen et la Commission européenne fermaient les yeux. L'Irlande était alors citée en exemple pour sa politique de dumping fiscal. À l'occasion de l'examen de la proposition de loi présentée par notre collègue Jean-Claude Sandrier, nous venons d'avoir un débat sur ces politiques fiscales et leurs conséquences. Vous voudriez maintenant instaurer un contrôle budgétaire alors qu'il n'y a aucune volonté politique de convergence fiscale. Nicolas Sarkozy l'a bien démontré ce week-end dans la gestion de la crise irlandaise. Le Premier ministre irlandais l'a même vivement remercié en déclarant : « Je suis très heureux que le président français Sarkozy ait indiqué qu'il n'était pas question de faire du taux d'imposition des sociétés irlandaises un élément de ces discussions ou négociations. »

Baisse des salaires des fonctionnaires, baisse des pensions de retraite : tant qu'il s'agit d'étrangler les peuples, pas de problème. Le projet que nous dénonçons consacrerait aujourd'hui l'austérité comme système qui prend aux citoyens pour refinancer les banques victimes de leur propre spéculation. Les établissements français sont parmi les plus exposés en Europe : ils possèdent 60 milliards de la dette espagnole, 55 milliards de la dette grecque, 33 milliards de la dette portugaise.

Pour nous, il ne peut y avoir de débat budgétaire sans débat sur la fiscalité. Or, dans tous les pays, les politiques fiscales menées depuis la mise en place du marché européen ont eu pour objectif de réduire les taux nominaux sur les sociétés – baisse de 37,5 % en Irlande, de 30 % en Allemagne. Nous déplorons les dangers que représente cette politique de dumping fiscal et, qui plus est, son inscription dans le marbre comme une orientation à suivre pour tous les pays européens.

Effectivement, les États engagés dans cette concurrence fiscale, plutôt que dans une coopération, en sont réduits à accélérer les baisses d'impôts, ce qui aggrave encore plus les déficits publics et, par contrecoup, le problème que l'on cherchait à résoudre.

De plus, en réduisant les recettes publiques, les États devront diminuer les dépenses, ce qui renforcera d'autant le creusement des inégalités et organisera partout l'austérité.

Enfin, par le renforcement du pouvoir d'institutions non démocratiques au détriment des parlements nationaux et du Parlement européen, c'est le principe même du consentement à l'impôt qui est fragilisé. Contrairement à ce que disait Mme la ministre Christine Lagarde, ce n'est pas la solidarité européenne qui est en train de s'organiser, mais bien la concurrence libre et non faussée au détriment d'un droit constitutionnel et historique des peuples. Le consentement à l'impôt est un principe inaliénable issu de la Révolution française et qui a été l'un des principaux catalyseurs des systèmes parlementaires des États démocratiques. En France, la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, adoptée le 26 août 1789, comporte un article XIV en vertu duquel « tous les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d'en suivre l'emploi et d'en déterminer la quotité, l'assiette, le recouvrement et la durée ». Or vous faites aujourd'hui des parlements nationaux des chambres d'enregistrement budgétaire de choix européens guidés par l'omniprésence des politiques libérales.

Puisque l'esprit de la Constitution n'est plus respecté, nous voulons en renforcer la lettre : aussi la présente proposition de loi constitutionnelle propose-t-elle d'y affirmer explicitement que les transferts de compétences acceptés par la France ne doivent pas avoir pour conséquence de priver le Parlement de sa souveraineté en matière budgétaire, et d'y introduire une disposition garantissant que les assemblées parlementaires aient délibéré sur le budget avant que les institutions européennes ne puissent se prononcer.

Voici, mes chers collègues, le contenu et le sens de la proposition de loi déposée par les députés communistes, républicains, citoyens et du Parti de gauche, que je vous demande d'adopter. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)

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