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Intervention de Jean-Marc Nesme

Réunion du 1er décembre 2010 à 9h30
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Marc Nesme, rapporteur 6 :

M. le Président, mes chers collègues, lorsque vous m'avez confié l'analyse de l'accord de coopération militaire avec le Liban, la première pensée qui m'est venue à l'esprit, s'agissant d'un pays que je connais bien, était d'analyser si ce texte, signé par M. Hervé Morin le 20 novembre 2008 à Beyrouth, présentait un risque pour la France.

Vous connaissez tous le contexte particulier qui est celui du Liban. L'autorité de l'Etat sur son territoire et sa population n'est pas pleine et entière. L'armée est sous-équipée pour assumer ses missions en raison de budgets d'investissement très faibles et ne peut espérer en cas de conflit réduire les milices, notamment celle du Hezbollah. Des troupes françaises sont enfin présentes sous le mandat de la FINUL au Sud Liban, dont l'espace aérien est quotidiennement violé par l'armée de l'air israélienne. Je l'ai personnellement constaté en accompagnant le Président de l'Assemblée nationale, M. Bernard Accoyer, lors d'une visite à la frontière libano-israélienne.

Il importe en conséquence d'analyser l'objectif que poursuit la diplomatie française avec la signature de cet accord, l'intérêt qu'elle espère en retirer et les risques éventuels qu'il peut faire courir pour nos forces au Sud Liban

Cet accord est une conséquence du conflit de l'été 2006 au Sud Liban. Nos deux pays ont convenu, sur demande française, de rénover le cadre juridique de leur coopération, qui était régie par un accord de juillet 1975 relatif aux coopérants techniques militaires. Le ministère de la Défense, en France, a considéré qu'il fallait rédiger un nouveau texte dans la mesure où d'une part le conflit avait révélé les lacunes de l'armée libanaise et où d'autre part des troupes françaises allaient être présentes sur le sol libanais, sous l'égide des Nations Unies. Le renforcement de l'armée libanaise, condition de la restauration de l'autorité de l'Etat, est en effet la condition d'un désengagement futur de la France au Sud Liban, notre pays ne souhaitant pas y pérenniser sa présence. Ce point est important pour comprendre la portée de cet accord.

Engagée en janvier 2007, la négociation s'est achevée en juillet 2008 et n'a pas présenté de difficulté majeure, les seuls points délicats étant d'ordre fiscal et douanier. A ce jour, le Parlement libanais n'a pas encore autorisé la ratification de cet accord mais il devrait y procéder prochainement.

D'emblée, je souligne qu'il ne s'agit pas d'un accord de défense qui contiendrait des clauses d'engagement de nos forces au Liban, mais que ce texte se limite à organiser une coopération dont l'objet est de renforcer les capacités humaines et techniques de l'armée libanaise, en tant que de besoin, à la demande de son Gouvernement. Cette nuance est importante car elle limite le risque lié à toute assistance à un pays où la tension entre partis politiques, représentatifs des différentes communautés religieuses, est largement palpable. Sur place, les tensions sont très fortes, à l'approche de la décision du tribunal spécial international sur l'assassinat de Rafic Hariri.

Le contenu de l'accord, très général, présente moins d'importance que le principe même de sa signature. Il témoigne de la volonté de la France de rester aux côtés d'un pays où elle entretient une présence séculaire. Le volet politique de l'accord prime, avec comme objectif central le renforcement de l'Etat libanais.

Très brièvement, l'accord se divise en trois parties. Les articles 1er à 5 précisent le cadre général de la coopération entre les deux pays ; les articles 6 à 13 prévoient le statut des forces françaises présentes au Liban dans le cadre de cet accord ; enfin, les articles 14 à 17 contiennent les dispositions finales de l'accord.

Techniquement, l'accord permet à la France de former les militaires libanais à tous les niveaux et donne une base juridique qui permet à notre pays d'y vendre du matériel. Il ne faut toutefois pas trop attendre de cette clause car le budget annuel de l'armée libanaise est très faible, moins de 500 millions de dollars, la part dévolue aux investissement étant réduite : 21 millions de dollars annuellement.

D'où la question que je pose dans mon rapport : cet accord, au même titre que l'aide quinquennale américaine, vise à renforcer l'Etat libanais, mais tous les Libanais veulent-ils le renforcement de leur armée ?

En posant cette question, j'entre évidemment dans le débat sur l'unité du pays et le poids des milices, notamment celle du Hezbollah.

L'armée libanaise est clairement le symbole de l'unité nationale à laquelle la plupart des Libanais aspirent. En des circonstances précises, comme les accrochages au camp palestinien de Nahr el Bared ou lors d'accrochages avec l'armée israélienne l'été dernier, l'armée reçoit le soutien massif de la population. Elle bénéficie de ce soutien chaque fois qu'elle est aux prises avec des éléments étrangers.

Mais dès lors qu'elle doit faire régner l'ordre à l'intérieur du pays, toute l'ambiguïté de la situation libanaise se révèle. L'armée libanaise a beau être unitaire dans la composition de ses unités comme de son commandement, il semble bien qu'elle soit fragilisée par le communautarisme. En outre, la faiblesse de ses armements l'empêche d'être efficace en opération. Dans un contexte interconfessionnel encore fragile, elle se garde bien d'intervenir contre les milices, notamment celle du Hezbollah, qui est le véritable maître du terrain au Sud Liban. Quelques autres secteurs, très délimités, échappent également à son contrôle à l'intérieur du pays.

Dans ces conditions, nous devons analyser l'accord militaire signé par la France comme un acte politique dont l'objet est, sur le long terme, de renforcer l'Etat libanais. Si nous ne le faisons pas, si la France se détourne du Liban, d'autres partenaires occidentaux prendront notre place, mais surtout, Beyrouth n'aura d'autre choix que de se tourner vers Téhéran pour assurer sa défense. Le Président Ahmadinejad a fait des offres précises au gouvernement libanais lors de sa visite en octobre dernier. On mesure les conséquences stratégiques d'un accord militaire irano-libanais s'il voyait le jour…

L'accord de coopération militaire signé par la France doit être apprécié à sa juste valeur. Il ne donnera pas d'impulsion décisive à notre coopération avec le Liban. Trop d'obstacles politiques et budgétaires empêchent la modernisation de l'armée libanaise. Mais il est le cadre par lequel notre pays peut appuyer la restauration d'un Etat encore fragile. Il s'agit avant tout d'un objectif politique de long terme, qu'il convient de soutenir.

En définitive, cet accord de coopération militaire n'emporte pas de risque particulier pour notre pays :

- Il n'a pas pour objet de régir l'emploi de nos forces présentes au sein de la FINUL, au Sud Liban, qui relèvent d'une autre problématique.

- Il ne constitue pas non plus un accord de défense avec des clauses d'engagement. De telles clauses auraient été très dangereuses dans une région du monde aussi instable.

- Il est en revanche un outil très utile pour affirmer notre présence aux côtés de l'Etat libanais. La coopération militaire ne revêt qu'un aspect technique au service d'un objectif politique plus large.

Restaurer l'Etat libanais permet de satisfaire les aspirations à la paix et à la sécurité de l'écrasante majorité des Libanais tout en cherchant à apaiser les tensions au Proche-Orient. Cet objectif de long terme nécessite des outils – cette convention en est un – ainsi qu'une volonté politique qui, jusqu'à présent, a été une constante de la diplomatie française.

Je vous invite en conséquence à adopter cet accord de coopération militaire.

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