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Intervention de Marie-George Buffet

Réunion du 1er décembre 2010 à 15h00
Solidarité dans le domaine de l'alimentation en eau — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarie-George Buffet :

Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, près d'un milliard de personnes n'ont pas accès à l'eau potable et plus de 2 millions d'hommes et de femmes meurent chaque année de maladies liées à l'absence ou à la mauvaise qualité de l'eau. Autant dire que le sixième forum mondial de l'eau, qui se tiendra à Marseille en 2012, devra être marqué par des engagements concrets des États pour garantir le droit à l'eau.

Comme je le constate dans mes permanences, de plus en plus de familles éprouvent des difficultés pour payer leur facture d'eau. Une récente étude de l'Observatoire des usagers de l'assainissement en Île-de-France l'a montré, chiffres à l'appui. Certaines familles doivent consacrer plus de 5 % de leurs ressources pour accéder à l'eau alors que l'ONU a estimé qu'au-delà de 3 %, le droit à l'eau n'était plus garanti. De plus, l'injustice règne quand on sait que d'un territoire à l'autre, le prix de l'eau au mètre cube peut varier du simple au double.

Pendant ce temps, les deux multinationales qui se partagent en France l'essentiel des marchés font des profits faramineux. En 2008, qui fut pourtant une année de crise, elles ont réalisé chacune plus de cinq milliards de chiffre d'affaires.

Plusieurs associations nationales, l'UNAF, la Confédération nationale du logement, la Fondation Abbé Pierre, la CLCV se sont battues avec l'Observatoire des usagers de l'assainissement en Île-de-France pour dénoncer cette situation. Elles ont élaboré des propositions que j'ai voulu relayer en déposant une proposition de loi, à l'instar de M. Flajolet.

Ces associations ont obtenu des engagements de la part du Gouvernement. Au congrès de l'Association des maires de France de 2009, Mme la secrétaire d'État à l'écologie de l'époque, Chantal Jouanno, s'était engagée à déposer un texte rapidement, sous réserve d'un avis favorable du Comité national de l'eau. Cet avis a été rendu ; il était favorable, mais le Gouvernement ne s'en est pas emparé pour déposer un projet de loi. Aujourd'hui, nous en sommes réduits à examiner la proposition de loi de M. Cambon, qui reste à mi-chemin des recommandations du Comité national de l'eau.

Comment parler de droit si en lieu et place d'un mécanisme préventif et automatique fondé sur des critères définis par la loi, on instaure un système d'aide a posteriori, qui plus est au bon vouloir des collectivités ?

Nous savons tous qu'à l'origine des dettes d'eau se trouvent les bas salaires, l'extension de la misère. Le rapport n° 626 sur l'application de la LEMA soulignait que, dans le cadre du débat actuel sur le pouvoir d'achat où il apparaissait clairement que tout devait être fait pour améliorer le quotidien des familles les plus modestes, la question de la facture de l'eau devait être intégrée. Il faut donc garantir le droit à l'eau, comme tous les autres droits, en instaurant un mécanisme préventif et non suspensif. Il faut tout faire pour éviter la formation des dettes d'eau.

À l'initiative de M. Flajolet, l'adoption d'un rapport a été retenue en commission. Comme les députés communistes, il demande la mise en place d'une allocation de solidarité pour l'eau. Je m'en félicite. Mais pourquoi ne pas aller plus loin en proposant d'inscrire dans la loi le seuil de 3 % recommandé par l'ONU ? En prévoyant des mécanismes de contrôle démocratiques du droit à l'eau ? C'est souvent là que le bât blesse. Si nous avions un service public géré avec les usagers et les élus, le droit à l'eau serait garanti depuis longtemps. Pourquoi ne pas proposer encore de financer l'allocation par les entreprises de l'eau dont les profits résultent indûment de la marchandisation d'un bien commun de l'humanité. Ces entreprises captent une rente sur les usagers, qui n'ont pas d'autre choix que de passer par elles pour accéder à l'eau. C'est une part de ces profits qu'il faut mettre au service de la solidarité nationale.

Un amendement a été déposé par M. le rapporteur, proposant une tarification sociale de l'eau. Cela pourrait être une bonne nouvelle si la tarification sociale remplissait ses objectifs dans d'autres domaines. Les associations qui sont en train d'évaluer le dispositif dans le cadre des débats sur la précarité énergétique sont formelles : cela ne fonctionne pas bien. En raison du caractère très restrictif de ses critères d'attribution, 65 % des ayants droit potentiels ne sont pas bénéficiaires du tarif social de l'électricité. Pour en bénéficier, il faut gagner moins de 604 euros par mois !

Ce ne sont pas les seuls inconvénients de la tarification sociale de l'eau. En dehors du fait qu'elle est difficilement applicable au domaine de l'eau compte tenu du nombre des opérateurs, cette tarification ne peut pas être mise en oeuvre dans les logements collectifs. Enfin, et surtout, une tarification sociale ne permet pas de garantir de manière automatique que le seuil de 3 % recommandé par l'ONU, au-delà duquel le droit à l'eau n'existe pas, sera effectif. Voilà pourquoi je défendrai des amendements reprenant les propositions des associations et du Comité national de l'eau.

Pour répondre aux attentes de ces associations, je vous propose de mettre en place une allocation de solidarité plafonnant la charge d'eau des ménages à 3 % de leurs ressources. Elle serait versée sous conditions de ressources par les caisses d'allocations familiales, comme les APL, et gérée démocratiquement au niveau régional par les usagers, les élus et des représentants de l'État et des services publics de l'eau et de l'assainissement. Enfin, elle serait financée à titre principal sur le chiffre d'affaires des entreprises du secteur, au taux modique de 1 %. En 2008, cette taxe aurait rapporté plus de 110 millions d'euros, de quoi financer le droit à l'eau et des programmes de préservation de la ressource eau sans compromettre les nécessaires investissements que ces entreprises doivent réaliser. Le mécanisme que nous proposons est juste, simple et financé de manière pérenne.

Chers collègues, l'eau est un droit, pas une marchandise. Proclamer ce droit dans la LEMA n'est pas suffisant. En proposant une allocation de solidarité pour l'eau, financée par les profits des multinationales de l'eau et gérée démocratiquement, nous voulons poser les fondements d'un grand service public national de l'eau, seul à même de garantir un tarif unique sur tout le territoire, comme pour l'électricité. Cette allocation serait une grande avancée pour des centaines de milliers d'hommes et de femmes dans ce pays.

C'est la raison pour laquelle je vous invite à faire le choix, défendu par les associations et les plus hautes instances dans le domaine de l'eau, d'une allocation eau. C'est ce choix innovant que nous souhaitons voir porter par la France lors du prochain sommet mondial.

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