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Intervention de Simon Renucci

Réunion du 30 novembre 2010 à 21h30
Dépistage précoce des troubles de l'audition — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSimon Renucci :

Le concept de dépistage précoce de la surdité, souhaité par les uns mais vécu par les autres comme une intrusion inacceptable, est frappé d'une ambiguïté majeure. Dans le monde du handicap, il faut savoir être accueilli, mais aussi consentir l'effort que cela suppose, par le fait que ceux qui vous accueillent n'ont pas forcément vos références. C'est ce qui explique que la situation, telle qu'elle se présente aujourd'hui, est une situation de conflit émotionnel. N'oublions pas que l'acquisition des outils de communication – le langage des signes, le langage oral, la technologie qui arrive – entre parents et enfants est toujours le fruit d'un effort. C'est un parcours de souffrance dont on cherche à se protéger, et les familles voient la technologie comme un frein à ce que parents et enfants ont vécu ensemble. C'est pourquoi j'appréhende cette question avec beaucoup d'humilité. Ceux de nos collègues qui ont des enfants sourds nous ont d'ailleurs été d'un grand secours ; en les écoutant, on se rend compte que, même en ayant raison, on n'a pas forcément raison… Et au bout du compte, il faut choisir : Camus choisissait sa mère ; nous, nous choisissons les enfants.

Le repérage précoce ne doit pas avoir pour seul objet de hâter l'implantation cochléaire. Il doit permettre de réfléchir à une prise en charge personnalisée, qui offre plusieurs possibilités. Encore une fois, c'est l'intérêt de l'enfant qui doit servir de fil conducteur. La légitimité d'un programme de repérage précoce en France se justifie d'autant plus que l'âge moyen de diagnostic de surdité profonde – seize mois – demeure beaucoup trop tardif, comparé aux autres pays européens. J'ai cru comprendre que nous serions derrière l'Albanie… Je n'ai rien contre les Albanais, mais tout de même !

L'objectif de la proposition de loi est donc louable : en insistant sur le temps gagné pour le développement futur de l'enfant, elle permettra de réduire le coût d'une prise en charge tardive et d'atteindre toutes les familles, y compris les plus éloignées du système de soins. En effet, si le dépistage n'intervient pas dans les maternités, beaucoup d'enfants sourds seront perdus de vue, et pour longtemps.

Par ailleurs, ce repérage recouvre une autre réalité, celle des surdités syndromiques et des surdités unilatérales. Nombre d'enfants sourds souffrent en effet de pathologies associées, que seul le repérage permet de détecter. Ce repérage, qui conduira à un diagnostic plus poussé, doit être considéré comme un atout pour l'enfant. Il permet de repérer un enfant sur cent ; parmi les enfants repérés, un sur dix est dépisté comme sourd.

Rappelons qu'il existe différents types de surdité : la surdité moyenne peut être traitée par l'apprentissage de la langue orale, un appareillage et la langue des signes ; la surdité sévère nécessite un appareillage, l'apprentissage de la langue des signes et de la langue orale – on voit qu'il n'y a pas d'opposition entre les différents modes de communication. La surdité profonde enfin, plus rare, nécessite un implant et l'apprentissage de la langue des signes.

Toutes les possibilités offertes doivent être promues et portées à la connaissance des parents. En tout état de cause, nous devons encourager le bilinguisme : le cortex cérébral est composé de trois parties et, tout comme le bilinguisme français-anglais ou autre, l'apprentissage précoce d'une langue est bénéfique au développement psychomoteur de l'enfant. C'est un élément essentiel du développement cérébral de l'enfant. Enfin, il faut respecter la liberté de choix des parents tout en leur offrant des moyens d'information sur tous les modes de communication possible.

Je me permets de citer un extrait de l'avis 103 du Comité consultatif national d'éthique pour les sciences de la vie et de la santé, que j'interprète comme favorable au repérage : « La question éthique du dépistage néonatal de la surdité dépasse largement la seule dimension fonctionnelle et organique. L'humanité d'une personne s'accomplit dans une diversité d'interactions sociales et d'échanges avec ses semblables, où la langue orale joue évidemment un rôle majeur. Mais il ne faut pas oublier qu'un enfant sourd appareillé n'est pas aussi bien entendant que les autres. » Je serais tenté d'ajouter : et pour cause. La surdité est une barrière et l'appareillage ne la fera jamais tomber complètement. Il faut simplement s'organiser avec les familles afin qu'il soit mieux accueilli ; c'est ce que j'appelle lever les ambiguïtés.

« La richesse de la langue des signes, poursuit le Conseil, restera pour lui un élément essentiel de communication, même après la pose d'un implant – et je rappelle que les implants sont rares. Ainsi, non seulement implant et langue des signes ne sont pas contradictoires, mais ils sont essentiels dans leur conjonction ».

Ce texte sera une première étape, une étape fondatrice, mais qui ne saurait suffire. Rappelons que, neuf mois après l'annonce du plan gouvernemental Handicap auditif 2010-2012, une seule des vingt mesures qui devaient être prises au cours de l'année 2010 l'a été. On a le sentiment que tout cela va très vite. En tout cas, nous avons été surpris, voire débordés, par la levée de boucliers des familles de malentendants, qui ont vécu cela comme une agression. Dans un tel cas, même si l'on a raison, il faut s'interroger.

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