Découvrez vos députés de la 14ème législature !

Intervention de Roland Muzeau

Réunion du 30 novembre 2010 à 21h30
Dépistage précoce des troubles de l'audition — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaRoland Muzeau :

…a néanmoins suscité de nombreuses réactions, beaucoup d'incompréhension, voire une certaine opposition de membres de la communauté sourde, mais aussi du corps médical. Et pour cause !

La surdité est un handicap très singulier, un handicap de communication qui prive la personne de sa capacité de parler avec la majorité de ses semblables. N'oublions pas que le regard collectif de notre société sur la population sourde a longtemps été marqué par le lien entre parole et intelligence : on considérait les enfants sourds comme déficients et incapables d'accéder à un niveau intellectuel normal. Ce n'est que très laborieusement et très récemment qu'il a évolué, non sans laisser des traces douloureuses, grâce notamment à la reconnaissance officielle en 2005 de la langue des signes comme une langue à part entière.

Votre volonté de systématiser le dépistage néonatal hyper-précoce, à l'âge de trois jours, afin d'accélérer la prise en charge de la surdité, a fait ressurgir un fort sentiment de fragilisation de la situation de l'enfant né sourd et, par ricochet, de celle de ses parents.

La multitude de courriels que nous avons reçus de parents sourds ou même non sourds, caricaturés parfois par certains de nos collègues de droite comme « faisant la promotion exclusive de la langue des signes », comme « paraissant souhaiter une sorte de culture de la surdité », n'avait d'autre sens que d'appeler chacun de nous au respect de la liberté de choix de ces personnes, de leur liberté d'user de formes de communications non orales et de manières différentes d'être au monde.

Ces parents ne refusent pas l'oralité à leurs enfants : ils craignent simplement que la généralisation du diagnostic trop précoce ne serve à orienter quasi exclusivement les familles vers de la prise en charge médicale par appareillage pour normaliser le langage et la parole de l'enfant. Ils craignent que cette approche médico-technique réparatrice de la surdité ne se fasse au détriment de l'apprentissage de la langue signée. Si, aujourd'hui, le bilinguisme est un droit pour ces enfants, n'oublions pas que, malheureusement, tous n'ont pas la chance d'y accéder. Faute de structures spécialisées, la langue des signes, dont l'apprentissage est pourtant déterminant pour le développement cognitif et psychosocial de l'enfant, reste quasiment absente de son environnement jusqu'à ses trois ans.

Bien au-delà donc d'un enjeu étroit de santé, ce texte touche à l'éthique.

Appelé en 2007 à donner son avis sur la généralisation du dépistage néonatal de la surdité, le Conseil consultatif national d'éthique nous mettait en garde : « Les évolutions technologiques portées par la louable ambition de favoriser l'intégration de l'enfant dans l'univers des entendants en développant ses capacités d'audition et d'oralisation s'accompagnent d'une interrogation éthique que notre société ne peut se permettre de négliger. Il serait notamment regrettable que les avancées accomplies en matière de dépistage précoce et d'audiophonologie contribuent indirectement à réactiver d'anciens préjugés sur la surdité longtemps perçue comme un handicap mental. De tels préjugés [peuvent] être propagés involontairement par le choix de politiques de dépistage et de suivi trop contraignantes pour les parents et les enfants sourds, avec le risque que les progrès réalisés dans la sophistication des techniques de dépistage et de l'aide acoustique donnent lieu à une politique sanitaire standardisée, trop médicalisée et indifférente aux aspects humains des déficits auditifs. »

Cette dimension essentielle était absente de l'exposé des motifs de la proposition de loi. Nous avons été très peu nombreux à insister sur cet aspect en commission. Les arguments invoqués par Comité consultatif national d'éthique à l'appui de son avis négatif auront été déterminants dans notre décision de nous abstenir, en commission des affaires sociales, sur un texte dont l'ambition est de généraliser le dépistage de la surdité profonde dès le troisième jour après la naissance.

Désormais, après une rencontre avec le président du Comité consultatif national d'éthique, dont nous n'avons pas encore de compte rendu à ce jour, ce que je regrette profondément, le rapporteur écrit avoir « le sentiment […] que […] le dispositif de la proposition de loi pourrait répondre aux exigences de ce comité ». Je ne suis cependant pas persuadé que, s'agissant de la dimension humaine, psychologique et sociale de la prise en charge de la surdité, essentielle et tout aussi importante que la dimension médicale, les conditions qui, hier, faisaient obstacle à la généralisation du dépistage néonatal aient réellement changé. La prise en charge des coûts correspondants demeure elle aussi largement hypothétique, voire franchement compromise par le contexte de restriction budgétaire que nous connaissons. Au final, l'impréparation des conditions effectives – pédagogiques, culturelles et psychologiques – de ce dépistage systématique chez les différents acteurs risque fort, comme le redoutait en 2007 le Comité national consultatif d'éthique, de conduire aujourd'hui encore à « une médicalisation excessive de la surdité qui la réduirait à sa seule dimension fonctionnelle et organique, polarisant du même coup la prise en charge sur l'appareillage technologique ».

Avec ma collègue Jacqueline Fraysse, sans remettre en cause la légitimité d'un programme de dépistage en France de la surdité, nous avions également tenu à rappeler, le 17 novembre dernier, que le problème de la surdité ne pouvait se résumer au seul dépistage précoce. Relayant les craintes exprimées notamment par la Fédération française des sourds vis-à-vis, non du principe même d'un dépistage, mais de son caractère trop précoce et du risque de voir les enfants systématiquement aiguillés vers le seul traitement par le son, nous vous avions invité à la prudence et au respect de la liberté de choix des familles.

Nous avions développé un autre argument, avancé par les psychiatres, qui tient à la violence de l'annonce à une mère de la surdité profonde de son enfant, au lendemain de la naissance de ce dernier, au moment même où doit se tisser entre elle et lui un étroit lien psychique nécessaire au bon développement de l'enfant. On devine des conséquences pathologiques qui peuvent en découler, aussi bien pour la mère que pour l'enfant, et ce d'autant que, globalement, l'accueil de la femme au moment de l'accouchement se déshumanise de plus en plus par la faiblesse des moyens en personnels.

Nous étions seuls alors à oser exprimer nos doutes sur le moment initialement retenu pour ce dépistage, à savoir dès la naissance et non pas aux trois mois, ou aux six mois, de l'enfant, sur la finalité même du dépistage au regard de l'intérêt exclusif de l'enfant – celui-ci risque bien sûr de perdre une chance si sa surdité n'est pas dépistée le plus tôt possible, mais il risque tout autant de souffrir et de se couper de son environnement à la suite d'un appareillage hâtif par implant cochléaire –, sur les conditions enfin dans lesquelles le diagnostic serait réalisé, à savoir par des médecins ORL hospitaliers, libéraux, en présence de psychologues spécialisés dans la petite enfance.

Sur ce point, nous déplorons qu'aucun bilan précis des expérimentations en cours, dont vous avez parlé à l'instant, madame la secrétaire d'État, n'ait été communiqué préalablement à la généralisation du dépistage sur l'ensemble du territoire. Il est tout aussi préjudiciable qu'aucune leçon n'ait été tirée des remontées d'éléments défaillants dans l'organisation et la prise en charge actuelle des bébés suspectés de surdité à la naissance ainsi que de leur famille. Les tests de repérage en maternité seront-ils demain effectués par des personnels non spécialisés, comme les puéricultrices et sages-femmes, ou par des pédiatres ? En cas de suspicion de surdité, le bébé et ses parents seront-ils effectivement reçus dans un délai maximal de trois mois après la sortie de la maternité par une équipe pluridisciplinaire de professionnels dans une structure spécialisée dans le diagnostic et non rattachée au centre ORL d'implantation cochléaire, à la différence des centres de diagnostic et d'orientation de la surdité actuels ?

Quant à la levée du gage par le Gouvernement, dont vous vous félicitez, si elle permet effectivement de garantir que cet acte de dépistage ne sera pas à la charge des familles – c'est tout de même un minimum –, elle ne garantit en rien que les maternités, ou désormais les maisons de naissance démédicalisées, et les centres spécialisés dans le dépistage pourront mener à bien leur nouvelle mission sans craindre le manque de moyens humains et financiers. Vous tentez de nous faire croire qu'il sera possible demain, à crédits constants redéployés, de faire plus et mieux qu'aujourd'hui, de remplir cette nouvelle obligation, d'équiper les maternités des matériels les plus fiables possibles afin d'éviter les faux positifs et de former des équipes pluridisciplinaires au diagnostic et à l'accompagnement des familles.

Ouvertement questionnés sur la pertinence, y compris médicale, d'un acte systématique de dépistage de la surdité à trois jours de la naissance, vous avez ignoré le message de la trentaine de médecins responsables de pôles de santé, d'accueil en langue des signes française pour les personnes sourdes et malentendantes, qui rappelaient l'absence de consensus de la communauté scientifique et médicale sur le dépistage néonatal, de même que l'inexistence d'études rigoureuses prouvant que la découverte de la surdité dès les premiers jours apporte une amélioration à la qualité de vie de l'enfant.

Les auteurs de cette proposition de loi et son rapporteur ont dû toutefois consentir à organiser des auditions supplémentaires et accepter un certain nombre de modifications : il est désormais question de repérage à la maternité et de diagnostic de la surdité avant la fin du troisième mois de l'enfant. Par ailleurs, il a été précisé que ce diagnostic ne préjugeait en rien de la solution thérapeutique, et une mention spéciale a été réservée à la langue des signes.

Si nous apprécions positivement – nous n'y sommes d'ailleurs pas pour rien – l'affichage des trois mois tant celui des trois jours était vécu comme une provocation, nous ne sommes pas pour autant totalement convaincus par la sincérité de la démarche.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion