Comme les dealers de drogue, les marchands de sommeil agissent dans l'ombre. Ils choisissent leur proie et finissent par se rendre indispensables car les uns créent la dépendance, tandis que les autres montrent la porte et poussent la cruauté jusqu'à rappeler à leurs locataires qu'ils ont de la chance d'avoir un toit et qu'ils ne devraient pas se plaindre. Voilà pourquoi on ne dénonce pas les marchands de sommeil.
Il faut donc intervenir en amont plutôt qu'en aval pour lutter contre ces exploitants du malheur. Il faut les empêcher de louer leurs taudis plutôt que de les contraindre à réaliser des travaux après coup. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Ni l'ordonnance du 15 décembre 2005 relative à la lutte contre l'habitat insalubre, ni la loi portant engagement national pour le logement, qui a renforcé la prise en compte de la lutte contre l'habitat indigne dans les documents de la politique locale de l'habitat, ni l'ordonnance du 11 janvier 2007, qui apporte de meilleures garanties pour le recouvrement des créances des collectivités locales, ni la loi de mobilisation pour le logement et la lutte contre l'exclusion du 25 mars 2009, qui vise à une meilleure protection du droit des occupants, n'empêcheront les marchands de sommeil de poursuivre leurs affaires juteuses. Aucun de ces outils, bien que solides, je vous l'accorde, ne parvient à endiguer le phénomène.
On estime entre 500 000 et 600 000 le nombre de logements indignes et à environ un million le nombre de personnes qui y vivent. Rappelons que ces logements sont souvent occupés par des familles, ce qui veut dire que des enfants sont exposés à des risques mortels immédiats ou à retardement.
Les risques mortels immédiats proviennent d'installations électriques si vétustes qu'elles peuvent provoquer des incendies à n'importe quel moment – depuis deux ans, les incendies de logements sont de plus en plus nombreux, et ils concernent souvent des logements dégradés.
Les risques mortels à retardement sont notamment dus au saturnisme, dont « le traitement est en perte de vitesse » comme le souligne l'ANAH dans son dernier rapport sur le mal-logement.
Le dispositif que vous proposez sera certes un outil de plus mais lui non plus n'enrayera pas le phénomène. Pourquoi ? Parce qu'il agit bien trop tard. Je m'explique : vous préconisez que les services communaux d'hygiène ou, à défaut, les services préfectoraux repèrent les logements insalubres et prescrivent par arrêté les mesures que le propriétaire doit prendre, mais comment ces services feront-ils pour repérer les logements indignes ? Je ne parle pas, naturellement, des hôtels meublés qui, eux, sont répertoriés. S'il existe un marché parallèle des logements indignes, c'est bien parce que les autorités n'ont pas la capacité de les détecter. La raison est simple : les occupants d'un logement indigne ne dénoncent que très rarement leurs conditions de vie ainsi que le propriétaire de leur logement. C'est reconnu, les ménages en situation de précarité préfèrent quitter un logement indécent, voire insalubre, plutôt que de devoir engager et soutenir une action judiciaire souvent longue et coûteuse.
Malgré la loi MOLLE du 25 mars 2009, les tribunaux d'instance sont très peu saisis. Dans la mesure où les locataires ne se plaignent pas ouvertement auprès d'associations de leurs conditions de logement par peur de se retrouver à la rue, comment l'information va-t-elle remonter jusqu'aux services communaux ou préfectoraux ?
Pour neutraliser les marchands de sommeil, il faut instaurer un permis de louer. Celui-ci ne serait pas forcément lourd à gérer s'il ne concernait pas la totalité des 8 millions de locations du secteur privé. Pour éviter la bureaucratie que vous redoutez, il suffirait par exemple de cibler les logements anciens de plus de vingt-cinq ou trente ans d'âge. Tous les propriétaires ne sont pas des charlatans. Les marchands de sommeil sévissent essentiellement dans les logements collectifs, ou bien les tout petits logements individuels, ou encore dans des locaux, combles ou caves, convertis en logements.
C'est pourquoi je pense que la proposition de notre collègue Jean-Yves Le Bouillonnec tendant à instituer un permis de louer est une des bonnes solutions. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)