Par le passé, nous avons abordé les négociations sur le changement climatique avec l'espoir de forger un instrument juridique complet, de répartir l'effort à consentir globalement entre les différents États. Nous n'y sommes pas parvenus. Nous savons désormais qu'il est très difficile d'élaborer un traité engageant près de deux cents parties pour réorienter l'économie mondiale et substituer aux ressources fossiles de nouvelles sources d'énergie. Il faudra du temps pour que chaque pays adopte une politique climatique et se dote de technologies propres.
En dépit de la désorganisation qui a caractérisé le sommet de Copenhague, les chefs d'État avaient finalement réussi à rédiger une déclaration faisant consensus. Bien qu'il n'ait pas été adopté par la conférence des parties, ce texte a servi de base aux négociations qui ont suivi.
Quelle est, alors, la situation à la veille du sommet de Cancún ? La présidence mexicaine a déployé d'importants efforts pour tempérer les positions les plus extrêmes. Je fais notamment référence aux options défendues par l'ALBA, l'Alliance bolivarienne pour les peuples d'Amérique créée à l'initiative de Cuba et du Venezuela, auxquels se sont joints le Nicaragua, l'Équateur ou encore la Bolivie. Mexico juge qu'un accord minimal est possible, ne serait-ce qu'en raison de la volonté commune de ne pas affaiblir la crédibilité des Nations unies par un nouvel échec.
Certains sujets sont parvenus à maturité : la lutte contre la déforestation, la coopération technique, et – faute de pouvoir stopper le phénomène – l'adaptation au changement climatique. Les États non émetteurs, qui subiront les premiers les conséquences du réchauffement, sont très sensibles à cette dernière problématique.
L'ambition d'un texte général, qui exigerait l'accord de tous sur l'ensemble des mesures, a été abandonnée après Copenhague. Plus pragmatique, la communauté internationale accepte désormais l'idée d'adopter seulement quelques décisions, à la condition que celles-ci soient équilibrées et que chacun y trouve son compte. Cet équilibre hautement politique, qui sera apprécié comme tel par les représentants, constitue le défi de la rencontre de Cancún.
Comme vous le savez, deux instruments juridiques se trouvent en négociation. La convention-cadre des Nations unies sur le changement climatique (CCNUCC), adoptée en 1992 à Rio et ratifiée depuis par 192 pays, a fixé un objectif de concentration des gaz à effet de serre (GES) dans l'atmosphère « à un niveau qui évite toute perturbation anthropique dangereuse du système climatique ». Elle ne donne aucune indication précise sur les moyens à mettre en oeuvre en ce sens, mails elle répartit les nations en deux catégories en fonction de la situation géopolitique de l'époque : les pays industrialisés, dits de l'annexe I, qui subissent des obligations, et les autres auxquels on ne demande que de la bonne volonté. Cette classification est maintenant dépassée. La Chine, l'Inde et le Brésil sont ainsi considérés comme des pays en développement, ce qui est manifestement inexact dans les faits.
Le premier protocole d'application de cette convention, le protocole de Kyoto de 1997, n'impose de mesures contraignantes qu'aux pays industrialisés. Ceux-ci s'engagent à réduire leurs émissions de 5 % par rapport à 1990, au cours d'une première période s'étendant de 2008 à 2012. Toutefois, la Chine et les États-Unis, responsables de 40 % des émissions mondiales, échappent à toute obligation en la matière. Kyoto ne concerne finalement qu'un tiers des volumes de GES libérés dans l'atmosphère.
Nous devrions assister à Cancún à une sorte de marchandage. En échange de l'application par tous des dispositions de l'accord de Copenhague – qu'il faudra sans doute appeler autrement pour ne heurter personne – les États parties à Kyoto pourraient accepter une seconde période d'engagement, au-delà de 2012. La convention et le protocole s'effaceraient alors devant un seul traité historique, dont la conclusion serait reportée vers 2020.
Quels sont les points essentiels de l'accord de Copenhague ? Il y a d'abord les dispositifs MRV – mesurer, rendre compte et vérifier en français – qui permettent de suivre les efforts de chaque pays. Les États-Unis et la Chine se sont montrés attachés à cette transparence de l'information, Washington n'acceptant de s'engager qu'à condition d'une application du même cadre juridique à Pékin.
L'accord prévoit aussi, à partir de 2020, un transfert financier annuel de cent milliards de dollars des pays industrialisés vers les pays en développement. Cette aide sera affectée à la lutte contre le changement climatique. Le secrétaire général des Nations unies, M. Ban Ki-Moon, a confié à un groupe de conseil l'étude des sources possibles de financement innovant. Le rapport remis récemment par MM. Stoltenberg et Zenawi, premiers ministres de Suède et d'Ethiopie, conclut au réalisme d'une telle ambition.
Plusieurs pays se sont engagés après Copenhague à diminuer leurs émissions. L'Union européenne avait déjà adopté, sous présidence française, le paquet climat-énergie et l'objectif de réduction de 20% pour 2020. La discussion de Cancún portera notamment sur la réaffirmation des engagements de la Chine, des États-Unis et des pays en développement. Il faudra les rendre opposables, voire aussi contraignants que ceux du protocole de Kyoto, qui a force juridique bien que son non-respect, par le Canada par exemple, n'entraîne aucune sanction effective. Les pays qui accepteront une seconde période Kyoto exigeront cette formalisation de la participation des grands pollueurs à l'effort collectif. L'accord minimal pourrait se limiter à l'instruction aux négociateurs d'élaborer un accord plus complet en vue du sommet de l'année prochaine, prévu à Durban. En effet, il faut auparavant régler un certain nombre de difficultés liées au protocole de Kyoto de 1997.
Que faire de l'immense surplus de droits à polluer, ou « air chaud », né de l'effondrement industriel du bloc de l'Est ? Les objectifs assignés à l'Union soviétique étaient en rapport avec sa puissance économique. Cette masse équivaut à 70 % des objectifs mondiaux de réduction. Elle découragerait tout effort si elle venait à être vendue.
Comment comptabiliser les émissions et les puits carbone d'origine forestière ? La France souhaite que la mesure soit aussi rigoureuse que pour l'industrie et que 1990 demeure l'année de référence. Elle s'oppose aux grands pays forestiers d'Europe, qui exploitent largement le bois, et qui auraient tout à perdre de cette évolution. En dépit de cette légère tension, on devrait raisonnablement parvenir à un accord.
Enfin, comment améliorer l'efficacité du mécanisme de développement propre (MDP) ? Cet instrument permet à un pays industrialisé de recevoir des crédits d'émission s'il investit dans un territoire en développement afin d'y éviter des émissions de gaz à effet de serre. Mais les procédures sont longues car chaque projet fait l'objet d'une validation. Peut-être faudrait-il appliquer le MDP à des secteurs d'activités entiers – le transport urbain en Chine par exemple – afin de renforcer son impact.
Il faudra aussi préciser un certain nombre de points de l'accord de Copenhague. Comment organiser les visites et présenter les rapports d'experts afin que les MRV ne soient pas considérées, surtout par la Chine, comme une atteinte à la souveraineté nationale ?
Où trouver les cent milliards de dollars annuels destinés aux pays en développement ? La France a défendu le principe d'une taxe sur les transactions financières. On pourrait instaurer également une contribution sur le carburant des navires et des avions. La difficulté est de nature politique car il s'agit de créer des impôts mondiaux. En outre, le transfert ne répondra pas seulement aux besoins des pays pauvres liés au changement climatique, mais aussi à des politiques de développement. Des arbitrages rendus au plus haut niveau procèderont à la répartition de la manne.
Le Mexique promeut l'idée d'un « fonds vert ». La France, ainsi que les États-Unis, le conçoivent comme un complément aux tours de table ou un moyen de bonifier les prêts. Les flux financiers, bilatéraux ou multilatéraux, sont déjà assez nombreux. Faudrait-il le placer sous l'égide de la conférence des parties ? Certains pays n'hésitent pas à réclamer un comité central pour gérer les crédits, ce qui est totalement utopique.
Comment présenter et organiser le suivi des financements précoces ? En gage de bonne volonté, certains mobilisent des ressources nouvelles entre 2010 et 2012 au profit des pays pauvres. La France a annoncé vouloir contribuer à hauteur de 420 millions d'euros par an. Mais la mise en oeuvre et la distribution de ces financements diffèrent d'un État à l'autre. Il est pourtant essentiel de savoir à quoi seront affectés les fonds.
Il faut aussi en finir avec le double langage et l'ambiguïté. Le scénario retenu pour la négociation prévoit une hausse de la température globale limitée à 2 °C à la fin du siècle, ce qui suppose une concentration atmosphérique de GES inférieure à 450 parties par million (ppm). Mais pendant que nous négocions, les émissions continuent et nous atteignons déjà 379 ppm. L'opinion publique peut légitimement se demander à quoi servent les négociations, et ce que valent les promesses. Nous sommes sur une pente dangereuse qui pourrait se traduire par 5 °C supplémentaires en 2100. La Chine, qui a déclaré réduire son intensité énergétique par unité de PIB plutôt qu'en pourcentage, verra ses émissions augmenter de 60 % d'ici à 2020. Une banque multilatérale, qui prétend lutter contre l'effet de serre, accorde des prêts pour la construction de centrales à charbon !
Parviendra-t-on à un accord à Cancún ? Un groupe de travail, dit du Dialogue de Carthagène, rassemble une quarantaine de pays – européens, Australie et certains pays en développement – soucieux de faciliter les négociations.
Qui est susceptible de compliquer les discussions ? Il y a l'ALBA : Hugo Chávez et Evo Morales n'ont pas été invités à la table des chefs d'État à Copenhague, il faudra compter avec leur vif mécontentement. L'Arabie saoudite et d'autres producteurs de pétrole pensent, à tort, qu'un accord porterait atteinte à leurs exportations. Riyad exige une aide pour convertir ses puits épuisés en lieux de stockage de carbone.
Enfin, les deux plus grands pays émetteurs, les États-Unis et la Chine, pourraient se satisfaire d'un statu quo. Toutefois, Pékin exprime sa volonté de devenir une locomotive de l'économie verte. Si ses innombrables centrales à charbon en font le premier pollueur du monde, la Chine lance de gigantesques programmes de production d'énergie décarbonée. Les éoliennes s'érigent en si grand nombre que le temps manque pour les raccorder au réseau. Une quarantaine de centrales nucléaires sont en construction ou en projet. La production photovoltaïque domine le marché international. La Chine envisage de créer un marché interne de quotas d'émissions de CO2, ce qui pourrait d'ailleurs la conduire à un accord avec l'Europe. Cela ne signifie pas que le gouvernement chinois est prêt à admettre des mesures contraignantes ; il estime, comme l'Inde, agir mieux de son propre chef.
La situation est plus préoccupante du côté américain, où les croyances religieuses l'emportent quelquefois sur les constats scientifiques. Beaucoup, y compris parmi les élus, rejettent l'idée du changement climatique parce que la Bible n'en fait pas mention après l'épisode du Déluge. L'administration Obama croit à la nécessité de réduire les émissions, mais l'opposition républicaine l'empêche d'avancer. La découverte de gisements de gaz laisse toutefois espérer un remplacement progressif des usines à charbon par des centrales à gaz.
Les négociations climatiques mettent en lumière une nouvelle donne géopolitique. Les îles, premières victimes du réchauffement et de la montée des eaux, ont de vives discussions avec les pays émetteurs. Le continent africain joue un rôle grandissant et parle désormais d'une seule voix. Le G77 a disparu avec la création, à la suite de Copenhague, du BASIC rassemblant le Brésil, l'Afrique du Sud, l'Inde et la Chine. La question du développement se pose avec acuité et la critique sous-jacente demeure : les pays industrialisés ont une responsabilité historique dans le changement climatique ; ils ne doivent pas entraver aujourd'hui le développement des pays du Sud en les empêchant de polluer, mais au contraire réduire leurs propres émissions en deçà du seuil fatal à la planète.
Il semble donc qu'au lieu d'un traité contraignant, opposable à tous les pays, tel que l'aurait souhaité l'Union européenne, nous nous acheminions vers un système pragmatique où chacun s'engage à hauteur de ses capacités. Les efforts consisteront à formaliser ces engagements, pour aller au-delà à l'avenir. Les obstacles technologiques sont nombreux, mais nous continuons à rechercher la voie d'un développement propre.