Cette proposition de loi constitutionnelle vise notamment à répondre à la décision prise par la Commission européenne de proposer cinq règlements et une directive dont les conséquences seront importantes pour notre budget national. Plus précisément, quatre textes constituent le pilier « surveillance et assainissement des budgets nationaux » dont une proposition de directive sur les exigences applicables au cadre budgétaire des États membres. On prend prétexte de la crise financière pour justifier des mesures tendant à contrôler a priori l'élaboration des budgets nationaux.
Nous proposons de réaffirmer, dans le titre de la Constitution consacré à l'Union européenne, le fait que les transferts de compétence consentis au profit de l'Union ne doivent pas remettre en cause l'exercice de la souveraineté budgétaire par le Parlement français. La souveraineté du peuple en matière budgétaire, liée aux origines de la Révolution, constitue en effet un principe fondamental de notre République. La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen dispose en son article XIV que « Tous les citoyens ont le droit de constater par eux-mêmes ou par leurs représentants la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d'en suivre l'emploi et d'en déterminer la quotité, l'assiette, le recouvrement et la durée. » La Constitution de 1791 reconnaissait au Corps législatif le pouvoir de fixer les dépenses publiques et d'établir les contributions publiques en en déterminant la nature, la quotité, la durée et le mode de perception ; elle exonérait du mécanisme de veto royal les lois concernant les contributions publiques. Les Constitutions de nos Républiques successives n'ont jamais remis en cause le vote du budget par le Parlement. C'est une prérogative dont il ne saurait aujourd'hui se laisser déposséder.
Les projets de loi de finances sont, avec les projets de loi organique et les projets de loi de financement de la sécurité sociale, les seuls qui ne peuvent être adoptés par voie d'ordonnance, sur le fondement d'une habilitation accordée au Gouvernement en vertu de l'article 38 de la Constitution : il ne peut, en cette matière, y avoir de délégation.
Or notre souveraineté budgétaire est menacée par la mise en place du « semestre européen » à partir du 1er janvier 2011.
Aujourd'hui, dans le cadre de la surveillance multilatérale prévue par le pacte de stabilité et de croissance – article 121 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne –, les États membres de l'Union soumettent à la Commission et au Conseil chaque année, avant le 1er décembre, un programme de stabilité établissant notamment les objectifs budgétaires et les perspectives économiques de l'État pour l'année en cours et, au moins, les trois années suivantes. Le Conseil examine chaque programme et donne une opinion, en tenant compte des considérations formulées par la Commission ainsi que par le Comité économique et financier.
Dans sa communication du 12 mai 2010, la Commission a proposé, au titre du volet préventif, la mise en place d'un « semestre européen » « afin que les États membres mettent en oeuvre une coordination [des politiques économiques] en amont au niveau européen lors de la préparation de leurs programmes nationaux de stabilité et de convergence, y compris leurs budgets et leurs programmes nationaux de réforme ».
La Commission argue que la prévention est préférable à la correction. Dès l'année 2011, le calendrier de surveillance devrait être le suivant : en début d'année, sans doute fin février ou début mars, le Conseil Ecofin émettrait, sur la base d'un rapport de la Commission, des recommandations horizontales par groupe de pays concernant les grandes orientations de politique budgétaire, destinées à être suivies par les États membres dans la confection de leurs programmes de stabilité ; à la mi-avril ou au plus tard fin avril, les États enverraient aux institutions communautaires leurs programmes de stabilité ainsi que les programmes nationaux de réforme ; dans la première quinzaine de juin, la Commission rendrait un avis public sur les programmes de stabilité nationaux, sur la base duquel des négociations informelles seraient menées entre États pour préparer l'avis du Conseil ; au plus tard fin juillet, ce dernier rendrait son avis sur les programmes de stabilité.
Il faudrait donc finaliser l'élaboration des budgets nationaux au cours du second semestre en tenant compte des observations et recommandations émises par les institutions européennes.
Si les dispositions du pacte de stabilité et de croissance constituaient déjà une forme de subordination des États membres à des exigences et contraintes extérieures, le renforcement proposé à travers le « semestre européen » vise clairement, en prenant prétexte de la crise économique et financière, à opérer une mise sous tutelle budgétaire et économique des États membres. C'est d'autant moins acceptable à nos yeux que l'Union mène une politique que nous désapprouvons totalement, libérale et marquée par le démantèlement des services publics.
En vertu de l'article 3 de la Constitution, « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants et par la voie du référendum. Aucune section du peuple ni aucun individu ne peut s'en attribuer l'exercice. » Ces dispositions constitutionnelles nous paraissent poser un principe absolu, auquel des dérogations ont néanmoins été apportées en raison de la participation de la France aux Communautés européennes et à l'Union européenne.
En 2008, le constituant a agrégé au sein de l'article 88-1 de la Constitution l'autorisation de participer à l'Union européenne dans les conditions prévues par le traité et de l'autorisation de consentir aux transferts de compétences nécessaires. Ce nouvel article 88-1 est donc ainsi rédigé : « La République participe à l'Union européenne constituée d'États qui ont choisi librement d'exercer en commun certaines de leurs compétences en vertu du traité sur l'Union européenne et du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, tels qu'ils résultent du traité signé à Lisbonne le 13 décembre 2007 ».
Notre proposition de loi constitutionnelle a pour but d'éviter que par le biais de règles nouvelles, en apparence relativement anodines, l'élaboration du budget annuel de la France soit soumise à une supervision trop étroite ainsi qu'à des orientations contraignantes déterminées par Bruxelles. Dans un rapport d'information de la commission des affaires européennes sur le gouvernement économique européen, nos collègues Christophe Caresche et Michel Herbillon appelaient eux-mêmes « les institutions européennes et les gouvernements nationaux à prévoir et mettre en oeuvre un ensemble de mesures d'information des citoyens, afin de renforcer la légitimité démocratique du nouveau système et d'empêcher qu'il soit perçu comme une ingérence excessive de l'Europe dans les budgets nationaux ou comme une contrainte supplémentaire exercée au nom de celle-ci. ». Ils pensent sans doute comme nous que le peuple français n'accepterait pas la mise sous tutelle du budget de la nation.