La proposition de loi, adoptée par le Sénat le 11 février dernier à l'initiative de M. Christian Cambon, n'a pas pour objectif de remettre en chantier la gestion de l'eau, modernisée par la loi du 30 décembre 2006 sur l'eau et les milieux aquatiques (LEMA), mais de mettre en oeuvre le principe, réaffirmé par cette même loi, du droit à accéder à l'eau potable dans des conditions économiquement acceptables pour tous – comme c'est le cas déjà pour l'énergie et le téléphone.
Depuis une vingtaine d'années, la garantie du droit à l'eau repose essentiellement sur un dispositif a posteriori de solvabilisation des ménages rencontrant des difficultés pour le paiement de leur facture d'eau. Le texte adopté par nos collègues sénateurs, fruit d'un travail de réflexion engagé de longue date, vise à améliorer le système et à accroître les moyens mobilisables.
Mais il importe aussi de réfléchir à la mise en place, en amont, d'un mécanisme permettant aux ménages les plus en difficulté de ne pas avoir à arbitrer en défaveur du paiement de leur facture d'eau – même si, selon l'INSEE, cette dernière ne représente en moyenne que 0,8 % du budget moyen des ménages français.
En effet, au-delà de ce dispositif curatif, on pourrait envisager de mettre en place un dispositif préventif, dans le but d'éviter a priori que les familles se trouvent en difficulté pour assumer leurs factures d'eau – des correctifs a posteriori pouvant intervenir ensuite. Le texte qui nous vient du Sénat reste donc perfectible. Je vous proposerai un amendement visant à laisser la main pendant un temps limité au Gouvernement, afin qu'il approfondisse le travail remarquable effectué par le Comité national de l'eau, présidé par notre collègue et ami André Flajolet. Il serait bon que les dispositions de la présente proposition de loi – que nous allons, j'espère, améliorer – et les compléments que proposera le Gouvernement en 2011 forment un ensemble opérationnel et exemplaire garantissant l'accès à l'eau pour tous avant ce grand rendez-vous international que sera le sixième Forum mondial de l'eau, qui se tiendra à Marseille en mars 2012.
La commission des affaires économiques du Sénat a fait évoluer le dispositif de la proposition de loi qui avait été déposée par le sénateur Cambon et plusieurs de ses collègues. Alors qu'à l'origine, il s'agissait d'un texte relatif à la solidarité des communes dans le domaine de l'alimentation en eau et de l'assainissement des particuliers, il traite désormais plutôt de solidarité entre les usagers du service public de l'eau, appelés d'une manière indirecte à financer une contribution destinée, au travers des fonds de solidarité pour le logement (FSL), à assurer une aide aux ménages les plus fragiles.
En effet, des aides peuvent actuellement être accordées par le biais du Fonds de solidarité logement (FSL), dont la création en 1990 a suivi de près celle du revenu minimum d'insertion. L'objectif du FSL était de permettre l'accès au logement et la disponibilité effective du logement, par des aides notamment destinées au paiement des factures d'eau. Le FSL est géré dans chaque département par le conseil général, en liaison avec l'ensemble des centres communaux et intercommunaux d'action sociale (CCAS-CIAS). Si l'aide sociale obligatoire est apportée par le département, via le FSL, nombre de communes participent par le biais de leur CCAS aux actions en faveur de l'accès à l'eau et de la solvabilité des familles ; il n'y a pas lieu de revenir sur ces initiatives.
Cette proposition de loi a pour premier avantage de dégager des moyens substantiels et contractuellement garantis pour assurer le fonctionnement de la solidarité. Initialement destinée à aider les communes et leurs CCAS-CIAS, elle prévoyait une contribution des distributeurs d'eau dans la limite de 1 % de leurs recettes. Le Sénat a préféré un dispositif permettant d'assurer, via les gestionnaires des services de distribution d'eau et les FSL, la solidarité au profit des usagers les plus en difficulté. Le financement de l'aide serait assuré par une contribution volontaire des opérateurs de services publics de fourniture d'eau potable et d'assainissement, plafonnée à 0,5 % du total hors taxes des redevances perçues. Ce total étant évalué à environ 10 milliards d'euros, les contributions volontaires pourraient représenter 50 millions d'euros, somme qui permettrait de couvrir l'ensemble des besoins, y compris ceux actuellement satisfaits par les gestionnaires de l'eau qui acceptent de procéder à des abandons de créances dans le cadre d'une convention.
Comme je vous l'ai déjà indiqué, ce texte pourrait être amélioré par l'ajout d'un volet préventif, afin de donner une traduction juridique complète au droit à l'accès à l'eau « dans des conditions économiquement acceptables pour tous » reconnu par la LEMA. Le Comité national de l'eau a travaillé de manière approfondie sur ce sujet, ce qui a conduit son président, notre collègue André Flajolet, à présenter une proposition de loi qu'un certain nombre d'entre nous ont cosignée et qu'il a pris l'initiative de transformer en deux amendements au présent texte. Un seul va être défendu, car celui qui visait à créer une allocation différentielle a été jugé irrecevable par le président de la commission des finances ; mais le Gouvernement s'est déclaré prêt à étudier la question et à éventuellement proposer des mesures concrètes au cours de l'année 2011.
La proposition de loi d'André Flajolet et l'amendement écarté en vertu de l'article 40 visaient à mettre en place un système d'allocation différentielle afin que la dépense correspondant à la quantité nécessaire d'eau ne représente pas plus de 3 % des revenus nets d'une famille, dans tous les cas. Si le Gouvernement nous permet d'y parvenir, ce sera un dispositif tout à fait novateur, permettant d'atteindre notre objectif de garantie de l'accès à l'eau pour tous.
Aussi, pour bien montrer notre volonté d'ajouter un volet préventif au texte sénatorial, je vous proposerai, lors de la réunion de la commission en application de l'article 88, un amendement prévoyant la mise en place d'une tarification sociale de l'eau – dispositif similaire aux tarifs sociaux existants dans les domaines de l'énergie ou du téléphone.
En résumé, la proposition de loi sénatoriale donne une meilleure assise au dispositif curatif. Je vous invite à la voter, avec les quelques aménagements juridiques de détail que je vais vous présenter. Je vous proposerai également d'adopter l'amendement de notre collègue Flajolet, cosigné par un grand nombre d'entre nous et donnant la main au Gouvernement – qui est d'accord sur le principe – pour adjoindre un dispositif préventif. Celui-ci pourrait être adopté dans le courant de l'année 2011, de sorte qu'en 2012, les avancées que nous appelons tous de nos voeux aient été réalisées.