Ce n'est pas à cela que je pense. On s'interroge beaucoup sur la taille critique des banques ; je considère pour ma part que les grandes entreprises européennes ont besoin de banques européennes d'une certaine taille pour les accompagner : si, paradoxalement, l'Europe décidait de fragmenter son système bancaire, face aux banques américaines qui sont désormais gigantesques, aux banques chinoises qui sont numéro un dans le monde, aux banques brésiliennes qui sont elles aussi très grandes, l'industrie bancaire européenne risquerait de ne plus être compétitive. Un exemple : nous accompagnons Sanofi dans son acquisition de Genzyme ; le pool est composé de trois banques, une américaine et deux françaises, pour 5 milliards de dollars chacune. Pour s'engager, il faut avoir une certaine taille ; si aucune banque européenne ne pouvait le faire, je ne suis pas sûr que Sanofi trouverait trois banques américaines. Il y a donc là un enjeu de compétitivité très fort pour l'économie européenne.
Quand je parle de transformations, je pense plutôt à la discipline financière, aux contraintes qui vont s'imposer à nous dans le futur, notamment en matière de liquidités. La collecte de dépôts est, durablement, un enjeu essentiel.
Mais les systèmes financiers ne se résument pas aux banques, et il faut continuer à avancer sur les autres sujets : les plates-formes de compensation, la transparence. Il faut avoir au moins une sorte d'entrepôts de données sur les transactions – ce que l'on appelle en anglais des repositories – auxquels le régulateur ait accès. Dans ce domaine, on a plutôt moins avancé que dans celui de la régulation bancaire. S'agissant des CDS, l'un des enjeux est de créer une plate-forme dans la zone euro – car s'il est bien de concentrer un risque sur une plate-forme, il faut aussi que celle-ci soit suffisamment robuste ; le garant en dernier ressort de la liquidité de cette plate-forme serait, pour les produits en euros, la Banque centrale européenne. Encore faut-il être en mesure de proposer ce type de services, et certains enjeux industriels ne sont pas réglés.
Qui se livre à des attaques sur les marchés ? Ne disposant pas d'informations statistiques permettant de vous répondre, je ne peux que vous livrer mon témoignage de praticien.
En juin, à un moment de turbulence pour la zone euro, nous étions aux États-Unis pour présenter notre stratégie à nos actionnaires. Ce ne sont pas des hedge funds, mais de grands fonds de pension français, anglais, américains, qui gèrent les retraites des épargnants. De réelles inquiétudes se sont manifestées quant à la capacité de certains États à rembourser leur dette, et les craintes étaient encore plus fortes aux États-Unis car les mécanismes qui ont permis de sauver le système ont été un peu longs à mettre en place ; pour les Américains, qui ont une monnaie unifiée, la problématique de construction de l'euro est un peu difficile à comprendre. Comme me l'a dit un investisseur, « on a toujours davantage peur de ce qui est loin et on est souvent trop confiant dans ce qui est proche ». De fait, au vu des interrogations sur les statistiques budgétaires de la Grèce et du temps mis à régler la crise, les fonds américains – qui ont des devoirs fiduciaires envers leurs clients – se sont demandé quel crédit ils pouvaient accorder à la dette grecque. Au cours de l'été, le phénomène s'est inversé : les craintes se sont focalisées sur l'économie américaine et le dollar ; les craintes concernant l'Europe se sont estompées dès lors que les mécanismes ont été mis en place. Les réactions de ce genre vont et viennent, elles sont difficiles à canaliser mais elles découlent d'interrogations fondamentales.
En ce qui concerne la zone euro, je pense que la situation n'est plus ce qu'elle était auparavant : désormais, la question de la solvabilité des États va demeurer dans la tête des investisseurs. Si la Grèce a été particulièrement affectée, c'est parce que sa dette est pour l'essentiel dans la main de non-résidents, l'épargne domestique étant faible – à l'inverse du cas du Japon, par exemple ; les étrangers qui ont le choix entre plusieurs dettes souveraines passent de l'une à l'autre selon les circonstances. La question de la solvabilité des États sera désormais omniprésente.
Quant aux hedge funds, il y en a de toutes sortes, du plus gros – probablement autour de 30 milliards de dollars sous gestion –, aux plus petits, qui ne dépassent pas 500 millions. Vous trouvez là des gérants ou d'anciens traders qui ont créé leur entreprise. Leurs stratégies sont extrêmement variées : à court ou à long terme, fondées sur des arbitrages, ou n'intervenant que sur une classe d'actifs. Je n'ai pas non plus de statistiques sur le sujet. Beaucoup ont disparu avec la crise, dont, j'y insiste, ils ne sont en rien responsables. D'autres se créent à nouveau. Le hedge fund peut avoir un fonctionnement risqué en raison de l'effet de levier : il peut investir dans un marché non pas seulement avec du capital, mais aussi en empruntant. Mais cet effet de levier s'est réduit : les pratiques sont devenues plus rigoureuses, l'endettement est moins utilisé pour financer les investissements – mais là encore, il est difficile d'avoir des statistiques. La nouvelle réglementation européenne devrait améliorer l'information dans ce domaine.
Pour notre part, nous n'avons pas d'activité de hedge fund, mais nous avons des hedge funds pour clients : comme tout gestionnaire d'actifs, ils peuvent acheter et vendre des actions par notre intermédiaire ; à certains d'entre eux, nous accordons des crédits, mais c'est une activité modeste chez nous ; enfin, nous avons une plate-forme de managed account. En effet, le principal inconvénient d'un hedge fund, pour un investisseur, est le manque de liquidité : l'investisseur n'a pas beaucoup de visibilité sur la performance, le hedge fund donnant une indication trimestrielle ; et il n'est pas sûr de pouvoir sortir à tout moment. Nous passons donc des contrats avec des hedge funds, en leur demandant de nous exposer leur stratégie, dont nous vérifions ensuite qu'elle est bien appliquée. Nous leur offrons une plate-forme technique, et dès lors que nous contrôlons, nous apportons aux investisseurs une plus grande visibilité ; si, au vu de l'information hebdomadaire, un investisseur veut sortir, nous offrons la liquidité – que nous trouvions ou non un autre investisseur.
J'en viens au trading haute fréquence (HFT).
Il présente des avantages et des inconvénients. On a mesuré les seconds, le 6 mai, sur le marché américain, mais je doute que l'erreur d'un seul gestionnaire de fonds ait pu avoir de telles conséquences ; d'autres paramètres ont nécessairement joué. Par ailleurs, le HFT apporte de la liquidité, ce qui est fondamental sur un marché : un investisseur ne va acheter un actif que s'il est assuré de pouvoir le vendre à tout moment. C'est d'ailleurs un problème pour les obligations d'État, dont on a pu se rendre compte qu'elles ne restaient pas toujours liquides. Sans doute le HFT pourrait-il être plus contrôlé, peut-être faudrait-il assurer plus de transparence sur les volumes, mais je n'ai pas de proposition technique à vous faire. On peut imaginer des règles de capital, ou des limitations à l'engagement des banques ou d'autres acteurs, mais je n'ai pas connaissance de dispositions en ce domaine, en particulier du côté des États-Unis.
Autre sujet sur lequel vous m'interrogez : la fragmentation des marchés d'actions.
Depuis quelques années, on a vu la création de différentes places de marché : il n'y a plus de monopoles boursiers, mais une concurrence entre les institutions traditionnelles et d'autres acteurs qui offrent de la liquidité – c'est la conséquence de la directive MIF. Les banques peuvent rapprocher les offres de vente et les offres d'achat formulées par leurs clients ; mais en la matière, la Société Générale n'est pas un très gros acteur dans le monde, notamment du fait qu'elle n'est pas présente aux États-Unis, où 50 à 60 % des volumes mondiaux d'actions sont échangés. Je ne crois pas que l'on puisse revenir à un monopole, à une place unique où convergeraient tous les ordres. En revanche, je pense nécessaire d'éviter une fragmentation trop forte. Des réglementations exigeant un certain niveau de capital et un certain niveau de technologie paraissent souhaitables ; de plus, il convient d'obtenir de ces plates-formes plus de transparence sur les ordres.
J'en arrive aux agences de notation.
Chez nous, leurs appréciations servent à notre département des risques : les dispositifs Bâle II et Bâle III nous imposant de noter nos contreparties, nous avons notre propre système de notation, mais nous confrontons nos résultats à ceux des agences ; c'est en quelque sorte un contrôle de qualité de notre propre système. Il me semble tout à fait nécessaire de ne pas nous reposer exclusivement sur notre appréciation interne. Il reste que plusieurs questions se posent au sujet des agences de notation.
En ce qui concerne les instruments subprime, les agences, en se fondant sur des modèles de perte, ont manifestement failli dans l'appréciation du risque. Elles n'ont pas été les seules, et je n'en suis pas surpris : étant mathématicien de formation, je n'oublie pas qu'un modèle repose sur des hypothèses ; dès lors que les hypothèses de corrélation des pertes sur différents actifs n'étaient pas les bonnes, fatalement le modèle a produit des informations erronées, lesquelles ont conduit les agences de notation à se tromper sur la résistance des outils en question. Peut-être y a-t-il eu par ailleurs des problèmes de conflits d'intérêt, mais ceux qui ont enquêté sont plus capables que moi d'en juger.
S'agissant de la dette des États, les agences de notation, d'une certaine manière, sont arrivées après la bataille : celle-ci était perdue dès lors que les chiffres du déficit public n'étaient pas les bons et que les mécanismes de solidarité de la Zone euro mettaient du temps à se mettre en place. Le scepticisme qui s'est manifesté aux États-Unis tient à cette double cause – et il demeure : un certain nombre d'acteurs de marché ont des doutes sur la capacité de la Zone euro à poursuivre son développement ; ils s'interrogent sur la possibilité d'avoir des taux de croissance différents et une politique monétaire commune, ainsi que sur le degré de solidarité entre les pays les plus solides et ceux en difficulté. Au total, donc, je ne pense pas que les agences de notation soient la cause des problèmes ; elles peuvent tout au plus accroître ponctuellement le stress, en dégradant une note.
Venons-en aux stock-options, sujet fort différent puisqu'il s'agit de la rémunération des dirigeants des banques.