Le comité économique, éthique et social est une instance atypique par sa mission, mais aussi par sa composition puisqu'il comprend des parties prenantes : FNSEA, Confédération paysanne, semenciers, associations de protection de l'environnement et de la santé, telles que Greenpeace ou Les Amis de la Terre, par exemple.
Contrairement au travail du comité scientifique, dont la « feuille de route » est précisée par les textes, celui du comité économique, éthique et social est assez peu encadré. Il nous a donc fallu tout construire, excepté un point fixé par la loi : nous travaillons, comme le comité scientifique, au cas par cas, c'est-à-dire que chaque dossier de demande de mise en culture, d'essai ou d'importation est examiné dans sa singularité. Certains membres du CEES en sont très frustrés, car cela rend très difficile le travail sur les questions transversales, comme la coexistence ou les brevets, qui sont cruciales et dont nous nous sommes autosaisis. Il n'en reste pas moins que ce travail au cas par cas – premier pilier de notre démarche – est légitime car les questions posées par la thérapie génique, par exemple, sont différentes de celles posées par les plantes transgéniques, et les questions posées par les plantes transgéniques ne sont pas les mêmes selon que nous avons affaire à une plante produisant son propre insecticide ou à une plante tolérante à un herbicide.
Le deuxième pilier de notre démarche, initié par nous-mêmes, consiste à mettre en place une grille d'analyse par grandes catégories de dossiers, c'est-à-dire à préciser les questions que nous jugeons importantes et qui méritent d'être posées au titre de la réflexion qui nous est demandée. Je tiens à votre disposition nos grilles d'analyse sur les dossiers relatifs à l'importation, à la thérapie génique, à la mise en culture d'OGM, notamment, et suis prête à en discuter avec vous. L'enjeu est que les pétitionnaires soient traités de la même manière, mais aussi de savoir ce que nous entendons rechercher.
Le troisième pilier, sur lequel je porte tous mes efforts, consiste à faire en sorte que ce comité de parties prenantes soit également un comité d'analyse. Quand on nous demande de nous prononcer sur un soja ou sur un maïs transgénique, nous devons nous demander ce que nous en savons, s'ils ont déjà été plantés ailleurs, ce qu'ils représentent en termes de gain économique pour l'agriculteur et de moindre utilisation de pesticides. L'idée est d'objectiver les choses autant que possible.
En dix-huit mois, le comité économique, éthique et social a travaillé d'arrache-pied, puisque nous avons rendu 26 recommandations, dont une série sur des questions très difficiles. Treize recommandations portent sur des plantes génétiquement modifiées, une sur un essai – celui de Colmar –, le reste sur des mises en culture ou des importations, en particulier la variété de maïs Monsanto 810. Nous avons rendu 11 recommandations sur des dossiers de thérapie génique et deux recommandations transversales, dont celle sur la définition du « sans OGM » – la loi prévoyant la liberté de produire et de consommer « sans OGM », mais sans définir cette notion.
Pour l'avenir, notre « feuille de route » comportera tous les dossiers des pétitionnaires, mais aussi les textes d'application de la loi sur les OGM : le décret « sans OGM », les arrêtés sur la coexistence, et le fameux décret visant à faire en sorte que celui qui met en culture des OGM doit en informer l'administration et les exploitations avoisinantes. Trois sujets difficiles auxquels nous allons nous atteler dans les semaines à venir.
Pour finir, je voudrais m'interroger sur le bilan que nous pouvons tirer de notre travail.
Dans leur rapport rendu il y a quelques semaines sur l'application de la loi OGM, vos collègues Antoine Herth et Germinal Peiro se montrent très satisfaits sur certains points du HCB, mais déçus par le comité économique, éthique et social, notamment parce que les débats y prendraient une allure de « guerre de tranchées » et que le consensus y serait impossible, mais aussi parce que les recommandations émises sont rarement aptes à guider le décideur.
Premièrement, il est vrai que la discussion est dure et qu'elle l'est devenue plus encore depuis l'arrachage des vignes transgéniques. Cependant, qui pouvait honnêtement penser que la discussion pouvait être aisée dans ce comité et que des gens qui s'affrontent très durement depuis des années pouvaient se réconcilier en dix-huit mois ? Les membres viennent, participent, débattent entre eux, en direct, de façon transparente, de questions qui l'ont rarement été contradictoirement jusqu'ici, ce qui me paraît fort utile. En outre, le débat n'a pas lieu seulement au sein du comité économique, éthique et social : il existe aussi avec le comité scientifique, que nous interrogeons sans relâche et qui nous répond sans tabou. Ainsi, en jetant des ponts entre la société et la science, ce débat me semble très constructif et salutaire.
Deuxièmement, nos recommandations ne seraient pas directement utilisables par le décideur. C'est vrai, nous n'avons jamais abouti au consensus, il y a toujours des opinions divergentes et nous ne devons pas proposer au décideur de solution « clés en main ». Je comprends que cela puisse être décevant, mais c'est au politique qu'il appartient de prendre ces décisions : nous n'avons pas à nous substituer à lui, nous pouvons simplement l'éclairer en lui restituant les points de vue des uns et des autres, en lui présentant les données existantes sur les sujets précis sur lesquels il nous interroge, et en mettant en perspective ce qui peut donner lieu à convergence et ce qui fait l'objet d'une divergence – en l'état, donc totalement dépassable. Jusqu'ici, nous n'avons pas réussi à aller plus loin.
Le comité économique, éthique et social est une instance jeune, qui se heurte à des difficultés, dont deux sont de nature très différente.
Première difficulté : le CEES n'est pas doté de personnalités qualifiées en nombre suffisant. Pour l'instant, elles ne sont que trois : un juriste, un sociologue et un économiste – pas d'agronome. Or si ce comité doit éclairer le décideur, il faut le renforcer en modifiant sa composition. Je ne prétends pas qu'une vérité experte existe sur les questions dont nous discutons, qu'il faut confisquer cette tribune aux parties prenantes : je dis que nous devons pouvoir faire notre travail d'éclairage.
La deuxième difficulté est plus fondamentale : elle tient au fait que l'on peut se demander ce que va devenir ce comité après l'arrachage des vignes cet été et, surtout, le choix d'un certain nombre de membres, à tort ou à raison, de ne pas condamner cet arrachage. Ces membres font partie du comité, ils y ont été nommés en connaissance de cause et cela ne me semble pas discutable. En revanche, en ayant radicalisé les positions des uns et des autres, cette situation menace l'avenir du comité, non seulement dans l'immédiat – car elle rend la discussion très difficile – mais aussi à long terme, en donnant à certains le sentiment que le contrat implicite sur lequel repose le comité – la mise en oeuvre d'un système de coexistence entre ceux qui veulent des OGM et ceux qui n'en veulent pas – semble avoir perdu de sa vigueur. Cette coexistence est-elle moribonde ? Je ne le sais pas. Les parties prenantes veulent-elles continuer à débattre ? Je l'ignore. En tout cas, s'il y a une difficulté, elle est là plus qu'ailleurs.