Le 9 juin dernier, plusieurs collègues et moi-même avons déposé une proposition de loi visant à lutter contre les marchands de sommeil. Pourquoi ?
Ainsi que nous le rappelons dans l'exposé des motifs, près de 600 000 logements en France sont considérés comme indignes. La moitié environ appartient à des propriétaires bailleurs. Certains de ceux-ci sont de véritables « marchands de sommeil » qui louent des logements insalubres à des ménages vulnérables. On dénombre aussi 3 000 hôtels meublés habités par des occupants permanents. Or, beaucoup de ces hôtels meublés n'offrent pas un niveau de qualité acceptable – nous avons tous en mémoire des faits divers dramatiques.
Dans ce contexte, le Gouvernement a fait de la lutte contre l'habitat indigne une priorité de son action.
Tout d'abord, il a constitué au fil des années un arsenal juridique. Celui-ci est désormais très opérationnel.
L'ordonnance n° 2005-1566 du 15 décembre 2005 relative à la lutte contre l'habitat insalubre ou dangereux a simplifié les régimes de police administrative en matière de salubrité – procédure prévue par le code de la santé publique – et de sécurité – procédure de péril prévue par le code de la construction et de l'habitation.
La loi ENL a renforcé la prise en compte de la lutte contre l'habitat indigne dans les documents de politique locale de l'habitat.
L'ordonnance n° 2007-42 du 11 janvier 2007 apporte de meilleures garanties pour le recouvrement des créances des collectivités locales.
La loi de mobilisation pour le logement et la lutte contre l'exclusion du 25 mars 2009 vise à une meilleure protection du droit des occupants et à une meilleure articulation du dispositif avec la loi instituant le droit au logement opposable. Elle confère aussi un rôle prépondérant à l'Agence nationale de l'habitat (ANAH) dans la lutte contre l'habitat indigne.
Le Gouvernement a également mis en place un pôle national de lutte contre l'habitat indigne, désormais sous la responsabilité du préfet Alain Régnier, pour coordonner l'action des différents ministères concernés. Le 8 juillet 2010, le préfet Régnier a adressé aux préfets de région une circulaire dans laquelle il annonçait ses trois axes d'intervention : la constitution de pôles départementaux de lutte contre l'habitat indigne, la poursuite de l'effort visant à augmenter le nombre d'arrêtés et à mener à leur terme les dossiers anciens et, enfin, l'accompagnement des communes dans la lutte contre l'habitat indigne. Cette politique volontariste peut donc être saluée.
Afin de bien faire comprendre les enjeux du dispositif que nous proposons, je rappellerai brièvement les procédures existantes.
En matière de lutte contre l'insalubrité, je m'en tiendrai, si vous le voulez bien, à l'habitat insalubre remédiable, visé par notre proposition de loi. Le dispositif est simple : sous la responsabilité du préfet, les services communaux d'hygiène ou, à défaut, les services préfectoraux (agences régionales de santé), repèrent les logements insalubres et prescrivent par arrêté les mesures que le propriétaire doit prendre, dans un délai déterminé – de trois à neuf mois –, pour remédier à l'insalubrité. Au terme du délai fixé par l'arrêté, l'autorité administrative peut, au bout de trente jours, mettre en demeure le propriétaire de réaliser les travaux et même, éventuellement, les réaliser d'office aux frais de celui-ci. Comme nous l'ont indiqué les personnes que nous avons auditionnées, la procédure des travaux d'office est toutefois lourde pour l'autorité administrative : le délai de mise en oeuvre semble être de trois ans.
Les procédures de péril relèvent, quant à elles, de la police spéciale du maire. Elles s'appliquent aux cas où les désordres constatés touchent à la solidité de l'édifice ou d'une partie de ses éléments et sont susceptibles de porter atteinte à la sécurité physique des occupants ou de leurs voisins. Le maire peut prescrire la réparation ou la démolition des murs, bâtiments ou édifices quelconques menaçant ruine et pouvant, par leur effondrement, compromettre la sécurité, ou, d'une façon générale, n'offrant pas les garanties de solidité nécessaires au maintien de la sécurité publique.
Enfin, des procédures spécifiques existent pour les hôtels meublés, sous la responsabilité du maire et, à Paris, du préfet de police.
Venons-en à présent au contenu même de la proposition de loi. Je vais d'abord vous présenter le texte initial. J'opérerai ensuite une synthèse de mes amendements.
Le droit positif est désormais très complet en matière de lutte contre l'insalubrité et le péril. Notre proposition de loi, texte très court, vise à apporter un complément.
La question que nous nous sommes posée est la suivante : comment toucher de la manière la plus sensible les personnes que l'on vise dans la lutte contre l'habitat indigne ? Il nous semble que c'est en les frappant au porte-monnaie que nous réussirons à atteindre les propriétaires de mauvaise foi.
L'objectif que nous poursuivons est bien l'accélération des procédures de réalisation des travaux, pour éviter le recours à la procédure extrêmement longue des travaux d'office. Notre objectif n'est donc pas financier, mais incitatif, au bénéfice des personnes mal-logées.
Le texte initial prévoit une faculté pour l'autorité administrative d'instaurer une astreinte journalière au terme de l'arrêté d'insalubrité, de l'arrêté de péril ou de l'arrêté portant sur un hôtel meublé. Cette astreinte viendra compléter la mise en demeure d'effectuer les travaux. Son montant sera compris entre 50 et 500 euros par jour ; il reviendra à l'autorité administrative compétente de le fixer.
Le propriétaire disposera néanmoins de quinze jours pour présenter ses observations avant le déclenchement de l'astreinte.
Le texte conserve une certaine souplesse ; il prévoit la possibilité pour l'autorité administrative de consentir une remise ou un reversement partiel du produit de l'astreinte quand les travaux prescrits par l'arrêté ont été exécutés et que le redevable établit qu'il n'a pu observer le délai imposé pour l'exécution totale de ses obligations en raison de circonstances indépendantes de sa volonté. Cette souplesse nous semble indispensable afin de tenir compte de la situation réelle sur le terrain. Elle garantit que ne seront touchés que les véritables marchands de sommeil – d'ailleurs souvent bien connus de l'autorité administrative – et non des propriétaires bailleurs très modestes qui n'auraient pu réaliser les travaux du fait de leur situation financière et qui ne sont pas, quant à eux, connus des services municipaux ou préfectoraux. De même, dans le cas, certes exceptionnel mais possible, où c'est le locataire qui est de mauvaise foi, le propriétaire aura aussi la possibilité de démontrer sa bonne foi et de se voir accorder une remise.
Si le dispositif vise principalement les marchands de sommeil, il nous paraît également de nature à accélérer les travaux dans le cas des successions où des indivisaires – qui, rappelons-le, ne sont pas des marchands de sommeil – ne sont pas d'accord entre eux pour effectuer les travaux. La menace pécuniaire de l'astreinte sera en effet de nature à les inciter à trouver rapidement un accord entre eux.
Il convient de noter que, si le dispositif fonctionne bien, l'astreinte, à l'instar de toute sanction, est bien vouée à ne pas être liquidée. Remarquez aussi que son montant est plafonné à 50 000 euros. Il nous paraît en effet cohérent que le montant de l'astreinte administrative ne puisse être supérieur au montant de l'amende correspondante.
Les amendements de fond que nous vous proposons d'adopter sur chacun des articles visent à renforcer l'incitation du propriétaire à réaliser les travaux.
Ils prévoient ainsi que l'autorité administrative compétente (maire ou préfet) pourra directement assortir l'arrêté (d'insalubrité, de péril, ou concernant les hôtels meublés) de l'astreinte journalière. Il s'agit ainsi de gagner du temps sur la procédure administrative, sans attendre le déclenchement de la procédure de mise en demeure. En outre, le propriétaire du logement, de l'immeuble ou de l'hôtel meublé en sera informé dès notification de l'arrêté.
Si le préfet ou le maire n'a pas fait usage de cette faculté au moment de l'édiction de l'arrêté, il conservera la possibilité de le faire au moment de la mise en demeure, comme le prévoit initialement la proposition de loi. Dans un souci d'harmonisation, nous proposons de porter de quinze à trente jours le délai dont dispose le propriétaire pour s'expliquer.
Toujours afin d'inciter le propriétaire à réaliser rapidement les travaux, les amendements prévoient également que le montant de l'astreinte peut être progressif dans le temps.
Par ailleurs, nous vous proposons d'affecter le produit de l'astreinte à l'ANAH, principal acteur de la lutte contre l'habitat indigne.
Enfin, nos auditions nous ont permis de constater que le cas des parties communes dans les copropriétés n'est pas réglé par notre proposition de loi. Pour les copropriétés, deux cas de figure sont possibles. Si les propriétaires défaillants sont minoritaires au sein de la copropriété, on peut penser que l'astreinte constituera un moyen de pression supplémentaire pour que la copropriété vote les travaux. Si les propriétaires défaillants sont majoritaires dans la copropriété, on peut penser qu'ils s'opposeront au vote des travaux. Dans cette hypothèse, l'astreinte pourrait alors constituer une « double peine », en quelque sorte, puisqu'elle va peser indifféremment sur les bons et les mauvais payeurs, tout en risquant d'aggraver la situation financière de la copropriété.
En tout état de cause, la question des copropriétés est complexe. Pour cette raison, nous ne disposons pas encore d'amendement à vous proposer sur ce point. Cependant, étant donné l'importance du problème, nous allons essayer d'en élaborer un à votre intention d'ici à l'examen de la proposition de loi en séance publique, le 30 novembre.
Moyennant ces modifications, je vous propose d'adopter la proposition de loi.