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Intervention de Bernard Derosier

Réunion du 16 novembre 2010 à 15h00
Réforme des collectivités territoriales — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBernard Derosier :

À mes yeux, la qualité des décisions prises au sein des assemblées délibérantes des départements et des régions ne peut que gravement en pâtir. Le conseiller territorial serait, si vous persistiez dans votre volonté de le créer, un être hybride, mal identifié, chargé d'une mission impossible. Car, messieurs les ministres, je vous invite à regarder toutes les dispositions qui, découlant de la loi et du règlement, prévoient que dans telle ou telle instance, il doit y avoir soit un conseiller général, soit un conseiller régional. Il sera impossible pour la même personne d'être présente partout.

Par ailleurs, l'éloignement des élus des réalités locales n'est pas la seule difficulté que la création de ces conseillers territoriaux engendre. Une difficulté non moins importante réside dans les insupportables disparités que crée la répartition de ces nouveaux élus par région et département.

Prenons l'exemple de l'Auvergne, monsieur le ministre, non pas celle que vous connaissez un peu, celle de Neuilly, mais la véritable Auvergne : 1,38 million d'habitants, 146 conseillers territoriaux. Le Nord-Pas-de-Calais : 4 millions d'habitants, une densité de population exceptionnelle, 138 élus. Ce n'est qu'un exemple parmi d'autres illustrant les profondes inégalités engendrées par la répartition des conseillers territoriaux telle que fixée par ce projet de loi.

D'autres disparités peuvent encore être observées entre des départements appartenant à une même région. Pour les atténuer, les parlementaires vous ont proposé, tout au long de cette procédure législative, des améliorations de ce texte. Elles tendaient à ce que la détermination du nombre de conseillers territoriaux prenne en compte la spécificité des territoires, et notamment leur grande diversité démographique. Ces propositions relevaient du bons sens, et pourtant, votre gouvernement et sa majorité ont choisi de ne pas en tenir compte.

Par ailleurs, ce projet de loi accroît encore des inégalités d'une toute autre nature : celles qui existent entre les hommes et les femmes qui souhaitent accéder aux mandats électoraux et aux fonctions électives. Le principe de parité est pourtant protégé par l'article 1er de la Constitution. Là encore, cette disposition est inacceptable.

Pour vous donner bonne conscience, vous vous abritez derrière la proposition de la commission mixte paritaire qui renforce les sanctions applicables aux partis et groupements politiques qui ne respectent pas la parité. Pour autant, cette concession est insuffisante pour assurer le respect de ce principe constitutionnel. Elle ne suffira pas à atténuer les conséquences de la création des conseillers territoriaux sur la représentation des femmes au sein des assemblées délibérantes locales.

Le sort réservé à la libre administration des collectivités territoriales n'est pas plus heureux. L'un des attributs les plus symboliques de cette libre administration des collectivités territoriales disparaît avec cette réforme, puisque le texte de la commission mixte paritaire propose de supprimer la clause générale de compétence des départements et des régions, certes, à compter du 1er janvier 2015 : on se donne le temps, avec le secret espoir que 2012 viendra balayer ces dispositions iniques.

Les débats ont permis d'atténuer les effets les plus regrettables de cette suppression, mais on peut légitimement s'interroger sur l'intérêt de substituer à cette clause générale des dispositions aussi complexes et aussi confuses que celles qui ont été reprises par la commission mixte paritaire. Là encore : bonjour la simplification !

À la place de cette clause générale de compétence, le texte de la commission mixte paritaire consacre de grands principes d'organisation, mais les assortit aussitôt d'importantes exceptions. Ainsi, le principe de la spécialisation des compétences des départements et des régions est affirmé, mais une capacité d'auto-saisine leur serait néanmoins reconnue.

De même, le principe de l'exercice des compétences à titre exclusif est affirmé, mais l'existence de domaines de compétences partagées entre toutes les collectivités est immédiatement consacrée.

Il ressort de tout cela un texte d'une grande complexité qui ne clarifie en rien la répartition actuelle des compétences. Vous en conviendrez : on peut sérieusement douter du bien-fondé de cette réforme des collectivités qui n'améliore en rien ce qui méritait de l'être, et qui complique à l'envie la lisibilité et la compréhension des institutions décentralisées par nos concitoyens.

À l'issue de débats presque toujours infructueux, il reste devant nous un texte sans portée, sans ligne directrice, sans volontarisme politique, à une exception près toutefois : la volonté de créer un mode de scrutin imaginé par l'UMP pour l'UMP. Bonjour les centristes, dans cette affaire !

C'était le principal objectif de départ de cette réforme, et vous pouvez tous remarquer que c'est le seul aspect qui n'a pas été modifié. Jamais le Président de la République, le Gouvernement et sa majorité n'ont eu de véritable ambition pour une réforme de la décentralisation. Seuls des échecs répétés à des élections locales les ont poussés à souhaiter changer la règle du jeu plutôt que de répondre aux attentes exprimées par les élus locaux.

Notre opposition à votre projet a pour base notre indéfectible attachement à la démocratie locale et à la décentralisation ainsi que notre indéfectible attachement à la République, en l'occurrence ses institutions locales. Tout au long du débat, nous avons marqué notre différence par des propositions que vous avez rejetées. M. Piron ne les a sans doute pas écoutées.

Oui, vingt-huit ans après, il faut une réforme, une actualisation. Il faut maintenir les départements et les régions avec deux assemblées distinctes ; il faut défendre la parité ; il faut maintenir le scrutin de liste pour les régions ; il est nécessaire de clarifier la répartition des compétences en consacrant l'idée du chef de file, en institutionnalisant le partenariat entre départements et communes, régions, État, et Europe. Il faut mettre fin à l'étranglement financier, et la loi de finances en cours d'examen a montré les limites de l'exercice pour le Gouvernement.

Cette prétendue réforme des collectivités territoriales est en réalité une régression pour notre pays, une régression pour la décentralisation, une régression pour la démocratie. C'est non pas à une simplification, mais bien à une complexification que vous nous invitez. Ce n'est pas une clarification ; c'est une confusion des genres.

Pour toutes ces raisons, il est évident que nous ne pouvons que rejeter ce texte. Si par malheur il passait, nous attendrons patiemment 2012 pour le changer. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et sur plusieurs bancs du groupe GDR.)

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