Je ne reprendrai pas par le menu la liste des étapes successives qui ont vu un projet que vous nous aviez vendu – car, avec vous, tout est vendu – comme une réforme phare du quinquennat de Nicolas Sarkozy devenir peu à peu une assez pitoyable opération politicienne dont l'enjeu n'échappe désormais à personne. Défaite régulièrement dans les urnes – j'aurais envie de dire systématiquement – lors des scrutins locaux depuis 2007, votre majorité a décidé de trouver une parade peu glorieuse. Vous avez succombé à la tentation de priver les collectivités territoriales de leur liberté d'administration, d'organiser leur étranglement financier, et de les faire diriger par des conseillers territoriaux élus dans des conditions ahurissantes au regard de l'évolution des modes de scrutin et de la représentation sociale et politique de nos concitoyens. On est bien loin, à la lecture du texte issu de la commission mixte paritaire, des ambitions qui étaient les vôtres au début du processus législatif. Quelle occasion gâchée !
La commission transpartisane dont vous aviez confié la responsabilité à Édouard Balladur aurait bien du mal à retrouver ses petits dans le texte déséquilibré et bien souvent incompréhensible sur lequel nous sommes appelés à voter aujourd'hui.
Vous prétendiez vouloir mettre fin au millefeuille territorial français. Il y avait trop d'échelons politico-administratifs en France, nous disaient en coeur les spécialistes des institutions, les acteurs de terrain et, reconnaissons-le, bien souvent nos concitoyens. Il fallait, nous disiez-vous, mettre fin à cette architecture dans laquelle se superposaient les régions, les départements, les groupements intercommunaux, les communes, en plus de l'État, de ses services et de l'Union européenne.
À l'issue de nos débats, il y a désormais les régions, les départements, les groupements de communes, dont un groupement d'un type nouveau créé par votre réforme, et les communes. Sans doute n'étiez-vous pas prêts à adopter une organisation territoriale répondant à la proposition audacieuse que nous, écologistes, avions formulée devant la commission Balladur, et qui consistait à fusionner réellement départements et régions, en faisant des premiers un échelon de proximité de la politique régionale.
À l'issue de notre audition devant la commission Balladur – M. Perben s'en souvient sans aucun doute –, l'un des membres de celle-ci, et non des moindres, nous avait confié : « Votre proposition a le mérite de la clarté, mais elle heurte tant d'intérêts et de conservatismes qu'elle a peu de chances d'être retenue. » Voilà des propos prémonitoires. Ce sont bien certains conservatismes et la préservation d'intérêts convergents qui l'ont emporté.
À défaut de réduire le millefeuille, vous avez alors prétendu vouloir le simplifier. Le texte qui nous est proposé aujourd'hui – et c'est un comble – le complexifie encore davantage.
Vous nous aviez annoncé la révolution des compétences. Clarifier les échelons administratifs et les rendre lisibles pour le citoyen, assurer une meilleure gestion des deniers publics en limitant les financements croisés, telles étaient vos intentions. Voilà des intentions louables, mais qui se sont heurtées très vite à ce qui, au fond, est le défaut originel de votre politique, que nos concitoyens supportent de moins en moins – ils le montrent à la fois dans les urnes et dans la rue – : l'absence de solidarité effective entre territoires riches et territoires en difficulté, en un mot l'absence de justice qui caractérise tant votre politique depuis trois ans et demi.
Vous avez supprimé les clauses de compétence générale attribuées aux départements et aux régions, sans prévoir de mécanismes de péréquation fiscale efficaces susceptibles de gommer les inégalités territoriales. La commission a certes prévu de reporter la suppression de cette clause du 1er janvier 2012 au 1er janvier 2015, c'est-à-dire comme par hasard après les élections locales prévues en 2014. Mais cet artifice de date demeure une facilité, et le problème de fond reste entier. Comment ne pas voir qu'en l'absence de règles fiscales plus justes, l'encadrement strict des cofinancements, outre qu'il limite la libre administration des collectivités territoriales qui est un objectif constitutionnel, entravera durablement les capacités d'investissement des territoires les plus en difficulté ? Ce sera notamment le cas des communes rurales, des petites villes qui doivent se battre au quotidien pour maintenir sur leur territoire des activités. Mais ce sera également le cas de villes plus importantes, durement touchées par la crise, cette crise que votre projet ne prend pas en compte si ce n'est dans sa dimension étroitement financière, avec la recherche à tout prix d'économies sur les finances publiques.
Il y avait des régions, il y avait des départements. De l'avis général, il convenait d'organiser au mieux l'articulation de ce couple de collectivités en clarifiant leurs compétences, en harmonisant leurs interventions, en gagnant en lisibilité démocratique. Ce texte aboutit exactement au contraire. En effet, il y aura toujours des régions et des départements, mais des régions et des départements affaiblis, touchés de plein fouet par votre décision de gel des dotations aux collectivités pendant trois ans, soumis à une concurrence entre territoires à laquelle votre projet n'apporte aucune réponse sérieuse. Tout cela, les représentants des régions vous l'ont dit, de même que les présidents des conseils généraux de tous bords. Mais vous avez balayé d'un revers de la main leurs mises en garde en choisissant de n'y voir qu'un procès d'intention politique.
Au lieu de cela, il faudrait un dialogue permanent et respectueux des identités de chacun, un dialogue qui devrait caractériser les rapports entre l'État, le Gouvernement et les collectivités dans une démocratie qui a inscrit la décentralisation dans ses principes constitutionnels.
Vous prétendez réussir à réorganiser le couple département-région en imposant, dans le même temps, une réduction drastique de leurs financements. C'est absurde, et vous le savez parfaitement. Vous qui n'avez que le mot entreprise à la bouche, inspirez-vous donc de temps en temps de la réalité de la vie économique : jamais une restructuration ne se fait à coût réduit dans sa phase de réalisation !