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Intervention de Jean-Louis Borloo

Réunion du 9 novembre 2010 à 16h00
Commission des affaires économiques

Jean-Louis Borloo, ministre d'état, ministre de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de la mer, en charge des technologies vertes et des négociations sur le climat :

Nul ne peut contester, comme le rappelait excellemment Serge Poignant dans son rapport, que, pour s'équiper ou changer son bouquet énergétique, le monde se tournera vers des énergies locales. Celles-ci sont extrêmement diverses : biomasse, énergie hydraulique, énergie marine, éolien implanté en mer, énergie solaire, photovoltaïque…L'une des grandes batailles économiques dans le monde porte sur ces filières professionnelles. Pour diverses raisons, ces dernières années, la France a peu développé les équipements de production de ces énergies ou les filières professionnelles destinées à les fabriquer.

L'enjeu est clair : tout en maintenant ses capacités nucléaires, la France est-elle capable, grâce au prix extrêmement bas de l'énergie nucléaire elle-même, de développer des filières pour ces différentes énergies ? Le Parlement a répondu oui. Avec la PPI, il a même établi une programmation extrêmement précise de production et de financement filière par filière.

Le développement des filières thermique, solaire, éolienne et de la biomasse se poursuit, pour l'heure, sans effet perturbateur. Il est même en avance sur la PPI.

Pour développer une filière, pour que des artisans se forment, un pays doit être pourvu d'un marché domestique. Dans le monde occidental, l'instrument essentiel de développement de l'ensemble des filières du secteur photovoltaïque a été l'obligation de rachat par l'opérateur principal à un tarif imposé.

Dans l'ensemble, les nomenclatures adoptées sont assez proches des nôtres, du bâti intégré jusqu'à la ferme solaire au sol en forêt. En revanche, eu égard à l'ampleur de son retard, la France a adopté des tarifs légèrement plus élevés que ceux de l'Espagne ou de l'Allemagne. Des simplifications administratives ont été effectuées : deux autorisations ont remplacé les douze existantes, cinq pages en ont remplacé 50. En revanche, la fixation du tarif reste une question posée.

En France, la filière professionnelle, constituée uniquement d'installateurs, de conseillers, d'assembleurs, est aujourd'hui en train de se qualifier : 32 000 artisans ont été formés par le programme de recherche et d'expérimentations sur l'énergie dans le bâtiment (PREBAT). En revanche, la France ne compte ni concepteurs, ni constructeurs de cellules. Si deux investissements internationaux – seulement – sont en cours, le succès de ces opérations indispensables n'est absolument pas certain.

Nous devons faire face à deux enjeux. Le premier consiste à maintenir le rythme de développement en évitant les effets d'aubaine.

Le deuxième est d'offrir aux opérateurs une lisibilité suffisante. Toutefois, des tarifs élevés longtemps garantis ne sauraient en tenir lieu : chacun, et d'abord les professionnels, sait que cette solution n'est pas durable. Le risque est celui d'un violent « effet de cloche », comme en Allemagne ou en Espagne, où la filière s'est quasiment arrêtée il y a deux mois. Personne ne peut penser qu'un pays peut être massivement équipé pour la plus coûteuse de celles des énergies qu'il produit.

Néanmoins, l'accompagnement du développement de la filière doit être poursuivi. Des taux de croissance de 250 % à 300 % par an offrent en effet par eux-mêmes une vraie visibilité non seulement aux installateurs, aux exploitants et aux assembleurs, mais aussi aux industriels.

Une filière durable doit être construite, sur la base de cellules dont le prix s'effondrera durablement. La France dispose des compétences nécessaires. Autour des équipes du directeur délégué aux énergies renouvelables du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), M. Jean Therme, à Chambéry et à Grenoble, travaillent 650 ingénieurs du CEA, de l'Institut national de l'énergie solaire (INES), du CNRS, du CEA, du BRGM et de l'IFP Énergies nouvelles. Alors qu'une augmentation de 1 % de la performance d'une cellule sur un an produit déjà des résultats considérables, c'est 2 % à 3 % qu'ils essaient de gagner.

L'importation massive de produits chinois est une difficulté que nous partageons avec l'Allemagne et l'Espagne.

Pour nous doter d'un secteur industriel, nous devons de disposer d'un starter et assurer un soutien. Cependant, celui-ci doit être proportionnel à l'effondrement du prix de production du produit ; autrement, il ne créerait qu'un effet d'aubaine, dont le consommateur retrouverait le coût sur les montants de ses factures d'électricité.

La répartition des financements de la CSPE est trompeuse. Certes, aujourd'hui, alors que les énergies renouvelables en représentent 20 %, la part du photovoltaïque n'en est que 2 %, dix fois moins – soit, en valeur absolu 66 millions en 2009. Cependant, le raisonnement doit être tenu sur cinq ans. Cela étant, le rythme actuel d'accroissement de la demande, de 1 000 % ou 1 200 % – le rythme de 200 % à 300 % est celui du développement des installations – conduit, malgré les réductions de tarifs, à un schéma sans rapport avec celui arrêté par le Parlement, c'est-à-dire une filière professionnelle ayant la capacité de produire, à l'horizon 2020, 5 400 mégawatts durant trente ou quarante ans.

Si, à performance équivalente, les prix du photovoltaïque ne baissaient pas, et si ceux de l'électricité traditionnelle, qui inclut le nucléaire, n'augmentaient pas – deux hypothèses peu probables, mais nous ne sommes pas capables de proposer un chiffrage –, le développement du photovoltaïque aboutirait à un surcoût de 2,4 milliards d'euros en 2020. Nous considérons néanmoins cette hypothèse comme peu probable ; pour nous, ce surcoût se limitera à 1 ou 1,5 milliard d'euros, sauf à ce que les prix de l'électricité augmentent beaucoup, hors CSPE.

Chacun argue de son besoin de lisibilité pour demander le maintien des tarifs dans les mois qui viennent. Mais le maintien des tarifs ne créera pas de lisibilité ! L'absence d'adaptation permanente des tarifs au coût réel de production créerait au contraire un accélérateur invraisemblable. Le produit cesserait d'être un produit énergétique pour devenir l'objet d'une bulle financière. Le marché serait alors tué : aucun industriel ne se développera pour appuyer un marché devenu un simple effet spéculatif.

La lisibilité, c'est donc l'adaptation permanente proposée par le rapport Charpin. Au reste, la modification de tarif que nous avons décidée n'a créé un phénomène d'accélération que pendant les deux semaines qui l'ont précédée. Néanmoins, cette baisse, de l'ordre de 12 % – et qui n'a exclu que le seul secteur du bâti intégré, où nous défendons une technologie française spécifique et performante –, n'a pas empêché l'accélération du nombre de demandes de raccordement.

Qu'est-ce que la « file d'attente » ? En même temps qu'il présente un projet et ses spécificités techniques, un opérateur demande le raccordement au réseau de distribution électrique et la mise en oeuvre de l'obligation d'achat par EDF. La file d'attente, c'est celle des projets déposés mais non encore raccordés : c'est en effet au moment du raccordement que l'obligation de rachat est décidée.

Les mêmes qui plaident pour le maintien du tarif, au motif que la file d'attente est « bidon », sont aussi ceux qui la créent !

Les demandes de la file d'attente antérieure ont été presque toutes honorées. Seuls les projets sans consistance, envoyés simplement « au cas où », ou non financés, ne l'ont pas été. Les dossiers non pris en compte sont ceux de personnes qui trichent, parce qu'elles n'ont pas l'accord des propriétaires, agissent pour compte de tiers, ou ont inscrit des projets sans contenu réel simplement pour préempter des baisses de tarifs ; or les personnes qui présentent ces projets ne peuvent pas faire partie de la file d'attente.

Notre raisonnement est fondé sur les projets en demande sérieuse de raccordement auprès d'ERDF : leur progression est de 800 %. La file d'attente correspondant, quant à elle, à la totalité de la puissance installée en 2020, tous les projets qui y sont inscrits n'iront pas, Dieu merci, à leur terme.

En tout état de cause, la question de fond est celle des tarifs de demain. Nous ne pouvons malheureusement pas trouver d'autre procédure.

Nous sommes d'accord pour appliquer, à l'essai, la demande de la commission du développement durable d'une purge plus fréquente de la file d'attente, tous les ans. Nous avions fixé une durée de 24 mois car, pour traiter certains dossiers objectivement sérieux, il faut parfois un délai supérieur à un an. Si la révision annuelle de la liste d'attente n'interdit pas les réinscriptions, nous ne voyons pas d'obstacle à l'expérimentation de ce nouveau délai.

Le rapport Charpin considère que les opérations « au sol », c'est-à-dire les opérations importantes qui à la fois coûtent et aboutissent à de très larges dépassements des objectifs, doivent être conduites par appel d'offres et contrôlées chaque année. Pour le reste, il conseille de ne pas trop bouger sur le bâti, sur le bâti intégré, sur, globalement, tout ce qui est à haute valeur ajoutée.

Nous voulons désormais ajouter une éco-condition aux panneaux photovoltaïques. La vocation de la filière professionnelle n'est pas de subventionner des panneaux venus de pays très amis, mais très lointains. Sous réserve de faisabilité juridique, nous allons donc introduire un dispositif de bonus-malus sur les panneaux, fondé sur leur bilan carbone. Dès lors que nous avons déjà mis en oeuvre un tel dispositif, pourquoi ne pourrions-nous pas recommencer ? Ajouté à la formation, aux travaux et au génie des équipes de Jean Therme, aux deux investissements industriels et à la baisse des prix des panneaux eux-mêmes, ce nouveau dispositif devrait nous permettre de développer la filière.

Les zones propices au développement des éoliennes en mer, que vous avez souhaité voir établir dans le cadre de la PPI, sont à peu près définies. La réalisation du projet global de six gigawatts devrait avancer, prudemment, par tranches de deux. Nous n'allons pas, je crois, au-devant de très fortes difficultés. Le pilotage devra bien entendu être effectué au vu des conséquences pour la CSPE, et en gardant à l'esprit le développement des filières professionnelles. Bien sûr, les élus concernés seront associés très étroitement au préalable.

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