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Intervention de Patrick Bloche

Réunion du 10 novembre 2010 à 9h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPatrick Bloche, rapporteur :

Le groupe SRC, qui a déposé cette proposition de loi en début d'année, a souhaité qu'elle soit examinée dans la niche qui lui est réservée, le 18 novembre. Ce texte d'intérêt général devrait rallier tous les députés, puisqu'il vise à garantir ce fondement de notre démocratie et de notre République qu'est la liberté des médias, récemment inscrite dans l'article 34 de la Constitution.

La liberté de la presse, garantie dès le début de la IIIe République par la loi emblématique de 1881, souffre de certains déséquilibres causés non seulement par des raisons économiques et sociales, mais aussi par la remise en cause de l'indépendance des journalistes par les actionnaires qui dirigent, souvent de loin, les entreprises de presse. À cet égard, la présente proposition de loi est cohérente avec celle que notre groupe a défendue il y a un an et qui visait à lutter contre la concentration dans les médias. Dans ce cadre, nous avions souligné la particularité très française qui consiste pour de grands groupes industriels et financiers fort éloignés des enjeux de l'information et des médias à acquérir des titres de presse écrite ou audiovisuelle, tout en vivant des marchés publics, c'est-à-dire des commandes de l'État. Le rejet de cette première proposition de loi nous a amenés à déposer un nouveau texte visant à rééquilibrer le rapport entre les rédactions, c'est-à-dire les journalistes, et ceux qui possèdent les médias, à savoir les actionnaires.

À l'appui de notre démarche, je rappellerai certaines affaires qui ont retenu l'attention de tous ceux qui sont attachés à la liberté de la presse. Depuis que Bernard Arnault a pris possession des Échos, en vendant La Tribune, pas moins de soixante-deux journalistes ont fait jouer la clause de conscience et quitté le journal. Le 8 juillet dernier, quand Étienne Mougeotte, directeur du Figaro, a choisi de citer, dans un article non signé et de façon tronquée, un extrait de l'audition de Mme Claire Thibout, ancienne comptable de Mme Bettencourt, la société des journalistes (SDJ) du quotidien s'en est émue. Récemment, des journalistes de ce titre n'ont pu apporter un éclairage complet sur des pays en négociation avec le groupe Dassault pour l'achat d'avions Rafale. L'audiovisuel public n'est pas à l'abri de reproches similaires : à peine élu président de Radio France, Jean-Luc Hees s'est invité en direct sur France Inter pour répondre à Edwy Plenel, dont les propos lui avaient déplu. Enfin, la rédaction du Journal du Dimanche, où les directeurs de rédaction se sont d'ailleurs succédé à un rythme rapide, a été censurée quand elle a révélé que l'ex-épouse du Président de la République n'avait pas voté au second tour de l'élection présidentielle. Autant d'exemples que j'ai rappelés dans mon rapport, afin d'en rendre la lecture plus attrayante…

Notre proposition de loi se justifie d'autant plus que l'indépendance des rédactions est également menacée par la crise de la presse, qu'a analysée Michel Françaix dans son rapport pour avis sur les crédits de ce secteur. On en connaît les effets : précarisation et vieillissement des rédactions, baisse des rémunérations, recours croissant aux pigistes et aux contrats à durée déterminée…

Outre la convention collective nationale qui régit les relations entre les journalistes et leur direction, le rapport mentionne les différentes chartes déontologiques qui ont été publiées. La charte des devoirs professionnels des journalistes français remonte à juillet 1918, mais on cite plus souvent celle de Munich, datant du 24 novembre 1971. Ces documents, qui visent à garantir aux journalistes un droit à l'indépendance, tout en leur créant des devoirs dans la manière de chercher ou de rapporter l'information, offrent toutefois l'inconvénient de n'être pas opposables. Leur absence de portée juridique les condamne à rester purement incantatoires, puisqu'un journaliste en conflit avec un actionnaire ou avec sa direction ne peut s'y référer. C'est ce qui a amené les journalistes à s'organiser, notamment depuis cinq ans. Le Forum des sociétés de journalistes, qui regroupait treize sociétés de journalistes lors de sa création en 2005, et vingt-trois en 2007, en compte trente-trois aujourd'hui. C'est lui qui a alerté la représentation nationale sur l'impérieuse nécessité d'inscrire l'indépendance des rédactions dans le droit.

J'y insiste auprès de nos collègues de la majorité : il ne s'agit pas de contester, dans le secteur de la presse, le pouvoir des chefs d'entreprise ni celui des actionnaires en tant que tels. Mais une entreprise de presse n'est pas une entreprise comme les autres : y sont en jeu la liberté d'informer et celle de communiquer, garanties par la Constitution et qui doivent à ce titre être protégées.

L'article 1er de la proposition de loi vise à ce que chaque entreprise de presse se dote, soit d'une équipe rédactionnelle autonome et permanente, soit d'une société de journalistes. Cette formule souple permet de prendre en compte l'histoire et la réalité de chaque entreprise. Ces deux structures seront dotées de pouvoirs. Les sociétés de journalistes disposeront notamment du droit de s'opposer, à une majorité des trois cinquièmes, à la désignation du directeur de la rédaction. Si les actionnaires, qui conservent malgré tout le pouvoir, ne tenaient pas compte de ce veto et maintenaient la nomination, les journalistes pourraient faire jouer la clause de conscience, prévue dans le code du travail, qui leur permet de négocier leur départ en bénéficiant d'avantages sociaux.

Les articles 2 et 3, qui visent à améliorer la transparence des entreprises de presse, concernent non seulement les journalistes mais tous les citoyens.

Afin de faciliter l'application des dispositions proposées, l'article 4 prévoit des sanctions au cas où elles ne seraient pas respectées. Les représentants de certaines entreprises de presse auditionnés étaient hostiles à ce qu'on joue pour cela sur les aides publiques à la presse, mais d'autres nous ont dit préférer ce système à l'instauration d'amendes.

L'article 5, plus général, rappelle notre intention de préserver les intérêts des journalistes.

J'aimerais que nos collègues de l'UMP ne considèrent pas le texte comme une provocation à leur égard ou à l'adresse du pouvoir exécutif. Certes, il est présenté dans un contexte que nous dénonçons souvent lors des séances de questions au Gouvernement, et au moment où notre groupe rédige une proposition de résolution visant à créer une commission d'enquête sur la manière dont le travail d'investigation des journalistes, sur lequel repose la liberté d'informer, est régulièrement entravé. Mais la proposition de loi traite d'un autre problème : elle vise avant tout à garantir l'indépendance des rédactions vis-à-vis de ceux qui possèdent les entreprises de presse. Notre but est non de retirer le pouvoir aux uns pour le donner aux autres, mais de rééquilibrer un rapport de force qui pâtit actuellement de la concentration des médias aux mains de grands groupes industriels et financiers vivant des commandes de l'État.

Compte tenu de notre attachement à l'histoire de notre pays, patrie des droits de l'homme et des libertés, nous regrettons tous que la France, qui occupait en 2002 la onzième place dans le classement de Reporters sans frontières sur la liberté d'informer dans le monde, ait glissé l'an dernier à la quarante-troisième place pour occuper aujourd'hui la quarante-quatrième. Le vote de la proposition de loi lui permettrait sans doute de faire un grand bond en avant, et de remonter dans ce classement dès 2011.

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