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Intervention de Christiane Taubira

Réunion du 3 novembre 2010 à 21h30
Projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2011 à 2014 projet de loi de finances pour 2011 — Outre-mer

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaChristiane Taubira :

Madame la ministre, j'interviens pratiquement à la fin de la discussion générale. Vous avez donc entendu les trois rapporteurs et la quasi-totalité des orateurs inscrits. L'essentiel est dit, vous le connaissez par coeur, et je ne vous le répéterai pas.

Nous vous avons récemment auditionné en commission des affaires économiques et en commission des lois. Nous savons donc comment vous répondez aux observations et aux questions, quelles questions vous éludez, quelles réponses dilatoires vous faites. Nous avons également eu avec vous une séance de travail dans le cadre de la préparation des projets de loi ordinaire et organique tendant à instaurer une collectivité unique, dont le principe a été approuvé lors de la consultation du 24 janvier 2010, par laquelle les électeurs devaient répondre à une question inventée de toutes pièces par le Président de la République et formulée par lui-même.

Vous connaissez et reconnaissez les anomalies qui affectent les finances locales ; simplement, vous vous en lavez les mains. « Je ne réglerai pas tout ce que mes prédécesseurs n'ont pas réglé », nous avez-vous dit en substance. Cela dénote un esprit de corps.

Lors de la présentation en commission des finances des amendements que j'ai déposés en vue de la compensation de la part d'octroi de mer qui est détournée des budgets de communes fortement endettées au bénéfice, pour l'instant, du conseil général et, prochainement, de la collectivité unique, le rapporteur général du budget a déclaré que cela durait depuis trente-six ans. Qu'on se le dise : il suffit de laisser vieillir une injustice, elle devient une norme ! Et vogue la galère !

Tout est à l'avenant. Le Gouvernement crée des tensions entre les outre-mer en attribuant aux différents territoires des dotations par habitant très inégales, et il joue avec la dotation de péréquation en recourant à des critères qui pénalisent systématiquement les outre-mer, particulièrement les villes de plus de 10 000 habitants. En outre, vous ne semblez pas particulièrement choquée par l'injustice et l'arbitraire du plafonnement de la dotation superficielle dans le seul cas de la Guyane, c'est-à-dire le plafonnement de la dotation calculée sur la base de la superficie. C'est que nous commettons la faute, en Guyane, d'avoir un trop grand territoire.

En réalité, contrairement à ce que prétend le Gouvernement, les dérogations outre-mer sont des dérogations au droit, des dérogations à la justice sociale, des dérogations à l'égalité, des dérogations à la solidarité, des dérogations à la citoyenneté.

Vous savez pourtant qu'il est possible de faire autrement, et vous connaissez nos propositions en matière de stratégie de développement. Elles reposent sur : les ressources du secteur primaire et leur transformation à destination, en priorité, du marché domestique, une politique agricole et une politique d'installation des jeunes agriculteurs ; un artisanat de métiers divers à sédentariser sur l'ensemble du territoire autour d'une économie sociale et solidaire à l'échelle de notre démographie ; des services qui intègrent l'intelligence économique, des complémentarités à impulser avec les économies des pays voisins.

Las, vous n'en avez cure, car vous ne semblez pas comprendre que votre mission est de rendre intelligible au Gouvernement les défis lancés aux outre-mer, d'expliciter les enjeux, de montrer les atouts considérables de ces territoires et, même, de dire au Gouvernement que, malgré la crise, nous avons de bonnes raisons d'être enthousiastes. Nous détenons en effet un potentiel qui peut nous permettre de passer à l'économie du XXIe siècle, une économie qui repose sur le savoir, les connaissances scientifiques, la préservation des écosystèmes terrestres et marins, l'exploitation des ressources naturelles, dont les ressources génétiques, grâce à la science mais aussi à la valorisation des savoirs traditionnels, et, engagement majeur du sommet de Nagoya de la semaine dernière, le partage avec les populations locales du bénéfice de cette exploitation.

Je ne vous reparlerai pas de la biodiversité et de notre bilan carbone. Vous avez manifestement choisi de favoriser les énergies fossiles, de maintenir les déséquilibres qui protègent les situations de rente et de conforter le Gouvernement dans sa vision caricaturale des outre-mer.

En Guyane, nous disons « oui pa ka gaté zanmi », ce qui veut dire « le oui permet de ne se fâcher avec personne ». Vous êtes, madame la ministre, la reine du « oui » dans ce gouvernement, et vous ne veillez même pas au respect des engagements que le Président de la République prend pompeusement en public. Vous laissez mettre en friche les décisions du comité interministériel de l'outre-mer de l'année dernière et vous semblez avoir vécu sans douleur le parjure gouvernemental sur les engagements de quinze ans inscrits dans la loi de programmation de l'outre-mer.

Vous ne prenez pas le temps d'expliquer à vos collègues que, si, à force de batailles, nous avons moralisé la défiscalisation en transformant une aubaine en un instrument économique, l'État, tant qu'il n'assumera pas ses responsabilités en matière de développement, ne disposera pas de l'autorité morale nécessaire pour exiger et imposer des sacrifices. Or, comme vous l'a rappelé tout à l'heure le rapporteur spécial de la commission des finances, vous laissez appliquer les mesures les plus pénalisantes de la LODEOM tandis que l'application des mesures les plus favorables prend du retard.

À l'instar de vos prédécesseurs, vous nous ressassez que les priorités de l'État sont le logement social et l'emploi. Faute de développement économique, il n'est pas possible de donner corps à l'objectif d'assurer l'emploi, les indicateurs économiques et sociaux le montrent bien, et le taux de chômage des jeunes est effectivement de 55 %.

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