Découvrez vos députés de la 14ème législature !

Intervention de Jean-Michel Boucheron

Réunion du 3 novembre 2010 à 11h00
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Michel Boucheron, rapporteur pour avis :

Avec 38,4 milliards d'euros en crédits de paiement pour 2011, le budget de la mission « Défense » annonce une baisse de 3,6 milliards d'euros sur trois ans. En effet, le ministère compte sur des recettes exceptionnelles pour équilibrer le niveau des crédits d'ici 2013. Toutefois, ces ressources, tirées de la vente d'immeubles et de fréquences, n'ont pas été au rendez-vous en 2010, seulement 100 millions d'euros ayant été encaissés par rapport à une prévision de 700 millions d'euros. En l'absence de garanties sur ces recettes exceptionnelles, une baisse du budget est donc à prévoir.

Dès lors, les engagements pris au titre de la loi de programmation militaire pour 2009 – 2014 et du livre blanc sur la sécurité et la défense nationale de 2008 ne seront pas tenus. Par rapport aux promesses du livre blanc, qui s'étendaient jusqu'en 2020, ce sont 25 milliards d'euros qui manqueront.

Une telle évolution n'est pas choquante si on la compare à celles que connaissent nos voisins européens, qui subissent des baisses très significatives de leurs budgets de défense : réduction de 8 % au Royaume-Uni, de 14 % en Allemagne dès l'année prochaine, et de 8,6 milliards d'euros en trois ans, soit quasiment 40 % des dépenses d'investissement qui seront réduites.

Nous assistons donc à un recul de l'Europe en matière d'équipements de défense. Les Etats-Unis se maintiennent, avec un budget de défense représentant environ 50 % des dépenses mondiales. La Chine, quant à elle, fait croître son budget militaire entre 15 % et 30 % par an depuis plusieurs années. A ce rythme, elle aura rattrapé le budget américain dans dix ans. Par ailleurs, le niveau technologique des armées chinoises est également en progression constante. La Chine a ainsi réussi un essai d'arme anti-satellite, et développe des missiles de haute précision capables d'atteindre des porte-avions, ce qui touche directement la suprématie militaire américaine.

Le face-à-face qui se met en place est donc celui de la Chine et des Etats-Unis, et le coeur stratégique du monde est désormais en Asie. L'Europe, elle, baisse la garde sur le plan militaire et technologique.

Pour la France, la réduction des crédits budgétaires consacrés aux armées pose un problème sérieux. En effet, les programmes qui seront le plus affectés sont ceux n'ayant pas encore fait l'objet d'une décision définitive, c'est-à-dire les plus récents, donc les plus adaptés au contexte stratégique contemporain, et la recherche, qui sont, pourtant, des dépenses d'avenir.

Dans cette situation, le réflexe est souvent de compter sur la solution européenne, mais celle-ci est en panne. L'agence européenne de défense est totalement inactive. La coopération structurée permanente ne fonctionne pas, tétanisée par une bureaucratie insidieuse où chacun a le droit de veto sur tout.

Si la coopération européenne est morte, vivent les coopérations en Europe ! Le sommet franco-britannique d'hier est très positif, car il permet de travailler avec ceux qui veulent vraiment travailler avec nous. Portons nos efforts sur le bilatéral, c'est de cette manière que nous ferons avancer la défense de l'Europe.

Concernant les questions industrielles, j'avais alerté la commission l'an dernier sur la situation d'EADS. Le programme A400M devrait se régler dans les prochaines années, mais il faut s'attendre à une baisse des commandes allemandes de cet appareil, ce qui nécessitera de nouvelles négociations. Dans le domaine des hélicoptères, en revanche, la situation est devenue à peu près normale. C'est en matière de drones que la situation industrielle en Europe est la pire.

Dans trois domaines, l'excellence industrielle européenne, et notamment française, permet de rivaliser avec les Etats-Unis : l'espace, le nucléaire et les missiles.

Ne nous y trompons pas : la nouvelle donne stratégique et militaire nous fait entrer dans un nouveau monde. Les principes fondamentaux qui faisaient reposer notre stratégie de défense, depuis De Gaulle et Mitterrand, sur trois éléments – indépendance nationale, Europe, axe franco-allemand – doivent être revisités. En effet, il est désormais totalement impossible de concevoir une indépendance nationale dans le domaine technologique, et même le niveau européen pourrait ne pas suffire. De plus, les institutions européennes ne fonctionnent pas. Enfin, le partenariat franco-allemand ne saurait avancer, en l'absence de volonté de nos alliés allemands.

Concernant l'Alliance Atlantique, suite au départ de l'organisme chargé de la transformation de l'armée américaine, JFCOM, il est nécessaire d'obtenir le transfert du commandement allié à la transformation, en charge de la modernisation à l'OTAN et dirigé par un français, de Norfolk à Washington, afin de le maintenir auprès des instances décisionnelles américaines.

Les 19 et 20 novembre aura lieu un sommet des chefs d'Etats et de gouvernements de l'Alliance Atlantique à Lisbonne. Un débat aura lieu sur l'opportunité de lancer un programme de défense anti-missiles financé par l'OTAN. Les propositions américaines actuelles, si elles sont assez différentes des projets faits en son temps par l'administration Bush, sont critiquées. Un rapport au Pentagone mentionnait ainsi que les missiles d'interception actuellement développés ne fonctionnaient pas, et, même si leur fonctionnement était assuré, ils ne pourraient permettre de défendre un territoire contre des frappes saturantes.

Malgré ces incertitudes, le secrétaire général de l'OTAN Anders Fogh Rasmussen, prétend que le développement d'une défense anti-missiles efficace pour l'Alliance ne coûterait que 110 millions d'euros sur cinq ans. Ce chiffre est manifestement en dessous de la réalité, les coûts de développement des programmes anti-missiles se chiffrant en dizaine de milliards de dollars. Il s'agit, en réalité, du coût de raccordement d'un système OTAN au système américain. Dans ce cas, la décision d'utiliser la défense anti-missiles relèverait des seuls Etats-Unis.

Tout n'est pas à rejeter pour autant dans les projets de défense anti-missiles. Le développement d'un système de protection du territoire reposant sur un système de commandement et des missiles intercepteurs américains doit être refusé. Il va totalement à l'encontre de notre doctrine de dissuasion, et laisse les seuls Américains maîtres du déclenchement de la riposte.

En revanche, la mutualisation des systèmes de reconnaissance par radar afin de couvrir le flanc sud du continent européen me paraît une bonne chose. Cela permettrait de partager les connaissances sur l'origine et la direction d'une éventuelle attaque balistique, ce qui n'est pas contradictoire avec la dissuasion nucléaire, au contraire. La dissuasion implique en effet de savoir précisément qui est l'auteur d'une éventuelle agression.

Ainsi, le sommet de l'OTAN à Lisbonne doit être l'occasion d'approuver le principe d'un programme de détection avancée contre les attaques balistiques, mais de refuser le développement d'un bouclier anti-missiles pour l'OTAN.

L'anti-missiles conduit nécessairement à évoquer la dissuasion. Dans ce domaine, le discours américain sur l'opportunité d'un monde sans armes nucléaires est totalement contradictoire avec la réalité stratégique. Les Etats-Unis peuvent compter sur 5 000 têtes nucléaires, contre 300 pour la France. De plus, les Américains ont réalisé, en septembre de cette année, une explosion sub-critique dans le Nevada, quelques semaines seulement après la conclusion de la conférence sur le traité de non prolifération nucléaire. En matière de dissuasion nucléaire et de désarmement, la France n'a donc de leçon à recevoir de personne.

Concernant les éléments clés du budget de la défense français pour 2011, les moyens de notre outil de renseignement sont renforcés dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, ce qui est nécessaire. 150 nouveaux personnels devraient ainsi rejoindre la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE). Les outils technologiques du renseignement font également l'objet d'efforts bienvenus, notamment le programme d'imagerie spatiale MUSIS, bien que d'autres éléments, comme le programme CERES d'interception électromagnétique depuis l'espace, doivent malheureusement être retardés.

En matière de guerre cybernétique, la France se met enfin en route. L'agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (ANSSI), en charge de ces questions, sera dotée de 150 personnels à court terme. La question de la guerre informatique a pris une grande ampleur ces dernières années. Récemment, une attaque cybernétique paralysante contre l'Iran, ciblant les sites impliqués dans le programme nucléaire, a été menée avec un certain succès. Le cyber-espace s'imposera bientôt, avec la terre, la mer, l'air, l'espace comme une nouvelle dimension de la guerre.

Grâce à l'apport de 3,1 milliards d'euros de crédits, notre outil de dissuasion nucléaire est maintenu à niveau, dans toutes ses composantes : têtes nucléaires, vecteurs aériens et maritimes, appareils de transport (sous-marins nucléaires lanceurs d'engin, Rafale F3, Mirage 2000N rénovés).

Les exportations militaires françaises, hormis quelques échecs spectaculaires, se tiennent dans l'ensemble à un haut niveau, qui pourrait même s'améliorer au vu des prévisions de commandes futures.

Enfin, l'examen du budget de la mission « Défense » pour 2011 ne peut être fait sans prêter une attention particulière à l'événement majeur intervenu hier, 2 novembre, dans ce domaine, lors du sommet franco-britannique de Londres.

En premier lieu, un accord concernant une force expéditionnaire franco-britannique a été signé. Cela permettra de dégager d'importantes économies puisque, sauf en Irak, la France et la Grande-Bretagne sont militairement présentes partout ensemble, et peuvent donc partager entre autres de nombreuses fonctions de soutien.

En matière nucléaire, la modernisation de l'arsenal britannique sera réalisée en France, en Bourgogne précisément, un site relais étant situé en Grande-Bretagne. L'ensemble de la recherche dans ce domaine sera mené en partenariat à partir de 2011.

Dans le domaine aéronaval, les Britanniques se doteront d'un porte-avions conforme aux standards français (catapultes), ce qui va dans le sens d'une meilleure coopération.

Sur le plan industriel, de nombreux accords sont passés, notamment pour les sous-marins et les drones. En matière de drones, les deux coopérations choisies, drone de surveillance moyenne altitude – longue endurance et drones de combat, sont très importantes. Les drones sont un outil fondamental pour les guerres du futur.

En effet, il n'y aura plus de guerre entre Etats à l'avenir, du fait de l'existence de la dissuasion nucléaire et du niveau d'organisation auquel est parvenu la communauté internationale. Nous devons donc nous focaliser sur les outils permettant de combattre des guerres asymétriques et lointaines, qui seront les conflits auxquels nous seront confrontés demain.

Un autre programme commun permettra de faire émerger, à terme, un missilier européen unique, allant dans le sens d'une restructuration efficace.

L'accord franco-britannique du 2 novembre a été rendu nécessaire par la panne de la coopération structurée permanente. Il y a tout lieu de se réjouir du résultat obtenu.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion