Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, nous examinons aujourd'hui de manière conjointe l'article 46 du projet de loi de finances pour 2011 et l'ordre du jour du Conseil européen des 28 et 29 octobre. Si les convergences entre ces deux sujets sont évidentes, je regrette toutefois cette confusion.
L'actualité européenne est pourtant empreinte d'une certaine gravité. La déflagration sociale de la crise n'est aucunement terminée puisque le nombre de chômeurs a bondi d'un million en un an, atteignant le terrible chiffre de 23 millions de personnes exclues du marché du travail en Europe. Les plans d'austérité s'imposent de l'Irlande à la Grèce, au risque évident d'aggraver la souffrance sociale et les injustices. L'Union européenne s'entête dans l'orthodoxie néolibérale, en proposant la mise sous tutelle inacceptable des budgets nationaux.
Dans un premier temps, j'évoquerai brièvement le prélèvement communautaire et le budget de l'Union européenne, qui appellent à peu de choses près les mêmes critiques, hélas, que celles que j'avais formulées lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2010.
Puis je m'attarderai sur le nouveau tournant néolibéral qu'entend prendre l'Union européenne en imposant l'austérité budgétaire sur l'ensemble du continent et en sacrifiant les intérêts des peuples européens sur l'autel des marchés financiers.
La mère des critiques est celle qui dénonce la faiblesse du budget européen, lequel, en atteignant péniblement 141 milliards, est en deçà même des plafonds fixés par le cadre financier 2007-2013. Quant au prélèvement communautaire français, qui est en baisse par rapport à 2009 et s'établit à 18,2 milliards d'euros, il traduit le même renoncement. On ne répétera jamais assez l'absurdité économique d'un budget étriqué représentant 1 % de la richesse créée dans l'UE. Dans une zone économique intégrée, se doter d'un tel budget revient à se priver totalement de l'arme budgétaire pour dynamiser l'activité. D'autant que la rigidité du cadre financier 2007-2013, comme celle du pacte de stabilité, supprime toute marge de manoeuvre politique. Comment prétendre intégrer ainsi les nouveaux pays entrants de l'Europe de l'Est ?
Je n'ignore pas que la contribution française augmente chaque année, mais j'estime que ce coût est inévitable si l'on souhaite avancer vers un espace européen solidaire et pacifié. La France se targue d'ailleurs d'avoir « plaidé pour que le budget européen participe aux efforts d'assainissement des États membres » dans le cadre du Conseil européen. Ce que vous appelez « assainissement » des finances publiques, je le nommerai pour ma part « effacement de l'État providence » face aux diktats des marchés.
Ma deuxième critique porte sur la faiblesse du budget en faveur de l'emploi et de la cohésion sociale. Alors que les États européens ont facilement trouvé 1 700 milliards pour sauvegarder les banques, les cinq modestes milliards dédiés à la relance l'an passé disparaissent purement et simplement en 2011. L'inventaire des programmes budgétaires dédiés à la politique sociale est consternant. Outre que son intitulé traduit le renoncement à lutter contre les dégâts de la mondialisation pour seulement les atténuer, le Fonds européen d'ajustement à la mondialisation est une coquille vide. Sur 500 millions d'euros mobilisables, à peine 53 millions ont été engagés en 2009, et il en sera de même en 2010. Pourtant les salariés de l'industrie, de l'automobile et du textile subissent les délocalisations de plein fouet.
La troisième critique que j'adresserai à ce projet de budget européen porte sur le déséquilibre indécent entre les sommes allouées à la protection des libertés fondamentales et celles destinées à lutter contre l'immigration. Parmi les dépenses européennes en France, la gestion des flux migratoires absorbe plus de la moitié des crédits dédiés à la liberté, à la sécurité et à la justice. Pour un euro dépensé en faveur des droits fondamentaux, dix-sept euros vont à la lutte contre l'immigration. Au total, en Europe, quatre milliards sont destinés au renforcement de l'Europe forteresse. Ces sommes financent le retour forcé des immigrés, ainsi que les centres de rétention et de contrôle dans des pays extra-européens, que le réseau Migreurop dénonce à juste titre comme une externalisation des politiques migratoires.
Ces quatre milliards sont, de surcroît, gaspillés. Comment peut-on en effet imaginer que la construction de murs autour de l'Europe nous préservera des conséquences sociales que provoquent nos politiques économiques sur l'ensemble de la planète ? Ces quatre milliards sont d'autant plus indécents que les pays industrialisés ne tiennent pas leurs engagements en matière d'aide publique au développement. Comment accepter que, partout en Europe, progressent les politiques de rejet de l'autre ? Après l'affaire des Roms, l'Allemagne d'Angela Merkel plaide pour l'assimilationisme et la négation de la différence. Ces choix irresponsables sapent l'idéal du vivre ensemble en Europe et nourrissent un terreau de haine, de populisme et d'intégrisme, ainsi qu'en témoignent les récents succès électoraux de l'extrême droite.
Au regard de l'idée européenne, que je défends, l'expulsion de 300 000 clandestins chaque année n'a rien de glorieux et le fait que les crédits disponibles pour l'intégration des Roms ne soient pas mobilisés, notamment dans les pays les plus concernés, ne peut être satisfaisant. Les migrations économiques, politiques, climatiques, font partie de l'histoire de l'humanité et, singulièrement, de celle de l'Europe. Les efforts et les sacrifices des populations qui l'ont rejointe forment le socle du développement économique et culturel de notre continent. Une politique migratoire répressive conduit ainsi l'Europe à renier ses valeurs fondamentales et à hypothéquer son avenir, car ce continent vieillissant, qui abrite seulement 7 % de la population mondiale, est condamné à un déclin inexorable sans le dynamisme des apports migratoires.
J'en viens au tournant néolibéral qu'emprunte l'Union européenne, emboîtant ainsi le pas aux politiques d'austérité promues par le FMI. Qui se rappelle qu'en 2009, lors des sommets du G 20, les dirigeants européens et américains promettaient de mettre au pas la finance, ses agences de notation, ses spéculateurs ? Il y a tout juste un an, ils ne juraient que par la relance, y compris le directeur général du FMI ; le keynésianisme revenait à la mode. Depuis, nous en sommes revenus. Les gouvernements français et européens sont passés sous les fourches caudines des marchés financiers pour ne pas voir leur notation se dégrader. Sur les cendres encore chaudes de la crise, ils préparent depuis plusieurs mois le retour à l'orthodoxie néolibérale : baisse des coûts salariaux, baisse des dépenses publiques, lutte contre l'inflation.
Partout, sur le continent européen, un mot d'ordre s'impose : faire payer aux salariés les conséquences de la crise et sacrifier leur pouvoir d'achat pour que les marchés financiers retrouvent leurs taux de profit faramineux. En Irlande, une baisse générale des allocations et une réduction de 5 % à 15 % des salaires des fonctionnaires ont été décidées ; au Royaume-Uni, la TVA est augmentée, les salaires gelés et le budget des ministères subit une coupe de 25 % ; quant à la France, elle a décidé l'injuste relèvement de l'âge du départ à la retraite. Et je pourrais multiplier les exemples. C'est l'État « Weight Watcher » des néolibéraux qui prend forme sous nos yeux, une société dans laquelle les solidarités s'effacent, la propriété collective recule et la marchandisation de pans entiers de la vie humaine progresse.
Quand aurons-nous le courage de reconnaître que l'échec économique actuel est celui de ce néolibéralisme, promu par l'Union européenne ? L'Union européenne est sans emplois ni croissance. Au reste, la BCE n'écarte pas une baisse de celle-ci en 2011, avec seulement 0,5 % de croissance. Cette Europe fabrique du chômage, avec 6 millions de chômeurs supplémentaires depuis 2007 ; elle réduit les fiches de paie et accentue la pauvreté. Ainsi, depuis 1995, la part de la richesse créée revenant aux salariés a chuté de quatre points. « Il faut le reconnaître : la stratégie de Lisbonne a été un échec », déclarait Bernard Kouchner en juin dernier. Le lancement du programme « Europe 2020 » retombe pourtant dans les mêmes travers éculés.
Les libéraux, les sociaux-démocrates et les écologistes ont adopté la semaine dernière le rapport Berès, du nom de l'eurodéputée socialiste française, qui va dans le même sens, puisqu'il préconise clairement la flexibilisation du marché du travail, l'approfondissement de la concurrence au sein du marché intérieur, le retour des sanctions pour asseoir l'austérité et le développement des régimes privés de retraite. C'est, en clair, le retour de l'Europe du commissaire Bolkestein.
Qu'en est-il de l'espace de coopération économique européen ? Il s'est réduit à un espace de dumping fiscal et social dans lequel la dérégulation effrénée menace notre modèle social. Plus on parle de gouvernance économique et plus les égoïsmes nationaux progressent contre les intérêts des peuples. Le Royaume-Uni vient ainsi de décider de baisser de quatre points le taux de son impôt sur les sociétés, qui devient le plus faible du G20. L'Allemagne joue la carte de la déflation salariale et entraîne l'Europe à sa suite. Le ministre des affaires étrangères évoquait, en juin dernier, le caractère « suicidaire » du manque de coordination économique actuel ; le terme ne me paraît pas trop fort.
Le mot de solidarité communautaire a-t-il encore un sens depuis la tragédie grecque ? Il a en effet fallu attendre mai 2010 pour que les États membres volent au secours de la Grèce et créent dans l'urgence un fonds de stabilisation doté de 750 milliards contre la spéculation financière. Un secours qui n'a rien de charitable, puisque les taux d'intérêts exorbitants des prêts consentis à la Grèce enrichissent les banques européennes sur le dos des salariés grecs.
Enfin, depuis le G 20 de Pittsburgh, quels progrès ont été accomplis dans la lutte contre la financiarisation de l'économie ? La directive « Épargne » est au point mort. Quant au compromis passé sur la directive « Hedge funds », il ouvre grand la porte du continent européen aux fonds de pensions, alors qu'il faudrait purement et simplement bannir ces entités, qui ne créent aucune richesse mais seulement de l'instabilité par la spéculation. Le projet de taxation des transactions financières est renvoyé aux calendes grecques, alors que cette taxe est plus que jamais nécessaire non seulement pour dégager de nouvelles ressources en faveur de la protection sociale et des services publics, mais aussi pour désintoxiquer l'économie de la financiarisation à outrance.
Monsieur le secrétaire d'État, pouvez-vous nous expliquer le paradoxe suivant ? À l'ONU ou dans le cadre du G 20, le président français est un avocat déterminé de la taxation des transactions financières, mais sa détermination reste à la porte de l'Union européenne : jamais cette question n'y a été mise sérieusement à l'ordre du jour. Une telle mesure permettrait pourtant de trouver de nouvelles recettes en faveur du développement des politiques sociales.
Dernier point de mon intervention : la mise sous tutelle des budgets nationaux à travers la mise en oeuvre du « semestre européen » et de sanctions automatiques contre les États ne limitant pas leurs déficits.
Le pacte de stabilité et de croissance a implosé face à l'ampleur de la crise et étalé son inutilité. Pourtant, vous nous proposez la même recette à travers ce qui s'apparente à un droit de veto sur les budgets nationaux. Plutôt que d'opter pour la mise au pas de la finance, l'Union européenne s'attaque aux dépenses publiques. Or analyser la crise des déficits comme la résultante de dépenses inconsidérées est une contre-vérité absolue. Je me contenterai de rappeler qu'avant la crise le déficit moyen de la zone européenne était de 0,6 % du PIB. Il n'a bondi à 7 % qu'en raison des aides faramineuses attribuées au secteur bancaire, de la baisse des rentrées fiscales et sociales due à la crise et de la contre-révolution fiscale menée depuis vingt ans.
La mise en place de ce nouveau carcan libéral serait économiquement contreproductif et politiquement inacceptable. Il constitue une nouvelle attaque contre la souveraineté du peuple, ainsi que le souligne ma collègue Martine Billard dans sa proposition de loi. Nous refusons donc avec force ce projet de gouvernance économique, comme nous refusons le cadre du traité de Lisbonne, qui grave dans le marbre le néolibéralisme. Son adoption demeure un crime originel par lequel la souveraineté du peuple fut foulée aux pieds. Vous trouverez que je répète une antienne, et sans doute ce rappel dérange-t-il, sur certains bancs. Mais les députés communistes n'accepteront jamais la forfaiture du Congrès de Versailles de février 2008. Notre position a le mérite de la clarté et de la constance. Le traité de Lisbonne a été désavoué, et à maintes reprises, par les peuples d'Europe et par la crise. Notre composante parlementaire persiste à le considérer comme caduc.
Devant ce nouveau coup de force antidémocratique et antisocial, les citoyens européens ne sont ni dupes ni atones. Vous voudriez faire croire que les Français sont les seuls à descendre dans la rue pour refuser la régression sociale, que nous serions un village de résistants gaulois au sein d'une mondialisation implacable. C'est un mensonge ! La mobilisation unitaire européenne du 29 septembre à Bruxelles a réuni un nombre de manifestants inédit et marqué le lancement d'une mobilisation puissante des salariés sur l'ensemble du continent.
Ainsi, que faites-vous des salariés polonais qui ont défilé à Varsovie contre les coupes salariales et la hausse des taxes injustes ? Oubliez-vous les grèves qui paralysent la Grèce depuis plusieurs mois ? Que faites-vous de la grève générale en Espagne, suivie à 100 % dans les secteurs de la sidérurgie, de l'automobile et de l'énergie, dont les salariés partent pourtant à la retraite à soixante-sept ans ? Que faites-vous de l'appel à la grève générale, le 24 novembre, au Portugal, après le succès des mobilisations de mai dernier, jamais vues depuis la révolution des Œillets ? À qui ferez-vous croire que nous sommes des dizaines de millions d'Européens à avoir tort ?
Contre la régression sociale qu'imposent les marchés financiers avec la complicité des États, les peuples se sont levés et sont déterminés à poursuivre leur mobilisation. Les parlementaires communistes, républicains et du parti de gauche continueront à réclamer une Europe du progrès social, des droits humains et de la coopération avec les peuples. Ils continueront à réclamer la mise au pas de la finance, la suppression véritable des paradis fiscaux et des fonds de pension.
Nous voterons donc contre le projet de prélèvement communautaire et nous demandons instamment au gouvernement français de s'opposer au projet de mise sous tutelle des budgets nationaux.