Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, une semaine après que le Parlement européen a pour la première fois examiné un projet de budget communautaire sous l'empire des dispositions du traité de Lisbonne, et à la veille d'un Conseil européen sans doute historique pour l'avenir de la zone euro, le débat que nous avons traditionnellement dans cet hémicycle, au cours de l'examen du projet de loi de finances, sur la participation de la France au budget de l'Union européenne, prend cette année une double dimension. Il s'agit, dans un premier temps, d'évoquer les voies et moyens par lesquels les chefs d'État et de gouvernement des Vingt-sept entendent tirer les leçons des secousses qui ont ébranlé ces derniers mois la zone euro, mais également de débattre de cet avenir au-delà de la crise que le projet de budget de l'Union européenne ambitionne de dessiner, suivant en cela les lignes directrices de la nouvelle stratégie « Europe 2020 », adoptée en réponse à la faillite de la stratégie de Lisbonne.
À ce titre, j'aimerais en premier lieu formuler un regret, celui de voir que, contrairement à la tradition qui s'était pourtant établie depuis plusieurs années, notre assemblée ne tient pas ce débat en lieu et place d'une séance de questions d'actualité mais un lundi après-midi, lors d'une séance qui demeure, reconnaissons-le, monsieur le secrétaire d'État, bien plus confidentielle. Je pense que l'Europe mérite un débat beaucoup plus large au sein de notre assemblée.
Ne nous y trompons pas, les sujets qu'il nous revient aujourd'hui d'évoquer sont bien d'une réelle et rare intensité. En effet, et pour nous en tenir aux seuls mots du Président en exercice du Conseil européen, M. Van Rompuy, les mesures qu'il s'agira, lors du prochain Conseil européen, de prendre en direction d'un renforcement de la gouvernance économique de l'Union constituent sans doute à ce jour la plus grande réforme jamais proposée dans ce domaine depuis l'introduction de la monnaie unique.
Chacun le sait ici, l'arrêt cardiaque de la finance internationale qui a failli, voici à peine deux ans, emporter l'ensemble de nos circuits économiques, a en réalité inoculé au monde un virus qui n'a eu de cesse de muter. D'abord strictement confinée aux sphères financière puis bancaire, la crise a fait irruption dans l'économie réelle et s'est traduite par les destructions d'emplois et la récession dont nous sortons à peine.
Au cours de cette période, l'Europe, et plus précisément la zone euro, a joué son rôle en nous mettant à l'abri des tornades spéculatives qui n'auraient pas manqué de dévaster le marché des changes, permettant ainsi aux États de prendre de manière concertée les mesures de relance et de soutien à l'économie réelle qui s'imposaient, au prix cependant d'un déficit public accru.
Pour autant, la crise a, au printemps dernier, une nouvelle fois changé de visage avec le tournant si tragiquement spectaculaire qu'ont constitué la crise grecque puis la perspective de sa contagion à l'ensemble de la zone euro. Crise économique et sociale, la crise devenait alors également une crise, plus structurelle encore, des dettes souveraines, faisant désormais peser la menace sur les États eux-mêmes.
Encore une fois, l'Europe a su, malgré les atermoiements que chacun garde en mémoire, répondre aux assauts que subissait alors la zone euro et sauver, par étapes, la monnaie unique. La solidarité européenne l'a ainsi emporté et un plan de sauvetage spécifique de 110 milliards d'euros, financé à hauteur de 80 milliards par l'Union européenne, a été élaboré en direction de la Grèce, avant que ne se mette en place à l'échelle communautaire la réponse intermédiaire que constitue le mécanisme de stabilisation financière.
Au-delà, cependant, des réponses d'urgence et de la stricte logique du sauvetage, il importait de tirer tous les enseignements de cette séquence pour sortir durablement d'une situation qui demeure aujourd'hui encore trop fragile.
Aussi, si la France, accompagnée par la plupart de ses partenaires, a entrepris l'effort sans précédent de redressement de ses finances publiques dont il est question dans ce projet de loi de finances, le Conseil européen a pour sa part mandaté son président pour animer un groupe de travail chargé de formuler les propositions à même de stabiliser définitivement la zone euro et, avec elle, l'ensemble de l'économie européenne.
Avec ses conclusions finales, rendues publiques voici à peine quelques jours, et avec les termes de l'accord franco-allemand trouvé à Deauville entre le Président de la République et la Chancelière allemande, l'Europe – c'était une nécessité depuis l'avènement de la zone euro mais ce n'en est pas moins à nos yeux, monsieur le secrétaire d'État, une grande satisfaction – semble enfin en passe de se doter de ce qui constitue bien l'embryon d'un gouvernement économique, dans le sens d'une Europe enfin politique.
La crise de l'Eurogroupe imposait certes de revoir en profondeur les critères du pacte de stabilité et de croissance, mais elle imposait aussi de mettre enfin un terme aux carences tant du contrôle opéré en la matière que de l'éventail de sanctions placé entre les mains des institutions communautaires.
Certes, des débats demeurent – et ils sont légitimes – sur le caractère automatique de ces sanctions, sur leur nature, voire sur les termes mêmes du futur pacte de stabilité et de croissance. Ils ne doivent cependant pas masquer l'essentiel, qui consiste à doter enfin la zone euro d'un pacte qui soit efficace dans son volet préventif car crédible dans son volet correctif, l'un ne pouvant durablement aller sans l'autre. À ce titre, les propositions qui sont aujourd'hui sur la table, qu'il s'agisse du renforcement de la surveillance économique des trajectoires nationales, des mécanismes d'alerte précoce en cas de dérapage d'un État membre, ou encore du principe même de sanctions politiques pouvant aller jusqu'à la suspension des droits de vote au Conseil, longtemps taboues, vont incontestablement dans le bon sens, celui – au risque d'en choquer certains – d'un véritable fédéralisme économique.
À ce titre, derrière les inquiétudes et les craintes qu'elle continue de susciter chez nos concitoyens, la crise aura eu, à nos yeux, un grand mérite : celui de mettre l'Europe en demeure de lever des incohérences qu'elle n'osait plus regarder en face – la gouvernance économique aurait dû être une conséquence logique de l'introduction de la monnaie unique – et de répondre à des interrogations : ainsi, le débat qui prend forme autour des ressources propres de l'Union, longtemps confiné derrière les portes de la commission des budgets de Strasbourg, semble enfin franchir les murs du Parlement européen.
À ce jour, le budget de l'Union européenne reste en grande partie la somme de vingt-sept contributions nationales. Aux termes de l'article 46 du projet de loi de finances, la contribution de la France s'élèvera à 18,2 milliards d'euros. Mais en tenant compte des ressources propres traditionnelles telles que les droits de douane perçus aux frontières extérieures de l'Union et collectés par les États au nom de l'Union, le volume des transferts financiers de Paris vers Bruxelles avoisinera les 21 milliards d'euros, pour un budget communautaire qui tutoie les 140 milliards en autorisations d'engagement. À l'heure où il s'agit pour la France comme pour l'ensemble de ses partenaires d'oeuvrer au redressement de finances publiques plus que jamais dans le rouge, nul ne contestera que l'effort soit conséquent.
Chacun de nous comprend dès lors les appels, notamment celui du gouvernement français, à la stabilisation du budget communautaire. Mais nous faisons face à un problème a priori insoluble car l'Europe du traité de Lisbonne est appelée à voir son rôle et ses missions s'étendre considérablement. À budget constant, la seule solution semble donc de rogner toujours plus sur les crédits de la politique agricole commune, ce qui demeure clairement inacceptable à l'heure où se succèdent les crises dans le secteur agricole, voire de la renationaliser, ce qui équivaudrait pour l'Europe à renoncer à l'un de ses succès historiques et ne manquerait pas à ce titre d'apparaître comme une véritable Bérézina politique.
Prenons, mes chers collègues, un peu de hauteur. Depuis une quinzaine d'années, si l'Union n'a eu de cesse de s'élargir, tant géographiquement qu'au regard de ses compétences, son budget, quant à lui, n'a fait que décroître en valeur relative. La Commission prépare des projets de budget se situant autour de 1 % du RNB des vingt-sept – 1,05 % du RNB prévu cette année en ce qui concerne les crédits de paiement – alors que les dépenses de l'ensemble des administrations publiques des États membres atteignent en moyenne 45 % du PIB national. Les contributions nationales, c'est un fait, ne peuvent croître indéfiniment, mais alors que nous-mêmes, dans cet hémicycle, n'avons de cesse, qu'il s'agisse de l'avenir de nos filières agricoles, du traitement de l'immigration irrégulière ou encore de la lutte contre le réchauffement climatique, de reporter nos attentes sur Bruxelles et Strasbourg, chacun mesure combien le discours sur la stabilisation du budget communautaire est intenable à moyen terme.
C'est pourquoi, mes chers collègues, il est temps pour l'Europe de sortir du système des contributions nationales. Rappelons-nous que la matrice historique de l'actuelle Union européenne, la CECA, présentait à sa création un modèle budgétaire cohérent où les dépenses de la communauté étaient financées par un impôt qu'elle percevait directement. C'est plus tard seulement que ce modèle a été dévoyé et que les ressources de l'Union ont pris la forme d'impôts collectés par les États pour être renvoyés vers Bruxelles, ce qui a amené chacun à faire le calcul coûts-bénéfices de sa participation aux institutions communautaires et a contribué ainsi à la cristallisation des clivages entre contributeurs et bénéficiaires nets au sein du Conseil.
Pire, ce dévoiement a accouché de la pratique bien connue des ristournes en direction de certains États membres ; ainsi, la France finance en 2011 à hauteur de 823 millions d'euros le fameux chèque britannique. Entendons-nous, mes chers collègues : s'il est légitime que la France contribue plus que d'autres à la solidarité européenne, il est de moins en moins acceptable qu'elle doive financer des égoïsmes nationaux.
À terme, la montée en puissance du budget communautaire, que nous appelons de nos voeux, nécessitera de retrouver l'élan des pères fondateurs et ne pourra donc se passer de la mise en place d'un véritable impôt européen. Cette idée, relancée par la Commission européenne mardi dernier, et qui va de pair avec le vaste chantier que constitue l'harmonisation fiscale, est certes traditionnellement impopulaire dans le débat public français. Il ne s'agit pourtant pas d'alourdir la charge fiscale qui pèse sur les contribuables européens. Ne pas augmenter la pression fiscale constitue même une condition sine qua non. La piste d'une TVA européenne gagnerait donc à être écartée au profit des scénarios impliquant une taxation harmonisée des bénéfices des sociétés profitant de l'ouverture du marché intérieur ou encore d'une taxe carbone aux frontières de l'Union. Il ne s'agit pas non plus, à ce stade, de porter atteinte à la souveraineté fiscale des parlements nationaux. La configuration à retenir est celle où l'Union s'apparenterait ni plus ni moins à une collectivité territoriale, aussi vaste et importante soit-elle, à qui le souverain fiscal national déléguerait tout ou partie d'un impôt créé par lui.
Mes chers collègues, parce que l'Union n'est pas, n'a jamais été et ne sera jamais un simple projet de coopération régionale mais parce qu'elle constitue bien un projet politique d'unification d'un continent autour d'un destin commun, parce qu'il est temps aussi que l'intérêt partagé de quelque 500 millions de citoyens prenne le pas sur vingt-sept calculs coûts-bénéfices, nous sommes devant un chantier qui ne peut plus attendre. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)