C'est un symptôme dû au fait que, comme le disait à l'instant le président de la commission des affaires étrangères, le système de financement de l'Union européenne est arrivé en bout de course. J'en parle d'autant plus librement que je suis l'auteur d'un rapport sur la réforme du budget communautaire qui, il y a déjà deux ans, contenait des propositions pour une réforme urgente. Le sujet paraît mûr désormais, et je m'en réjouis tant l'exercice de remise à plat du budget était devenu indispensable.
Quoi qu'il en soit, sur ce sujet comme sur tous ceux qui engagent l'avenir de l'Europe, les auditions auxquelles j'ai procédé ont renforcé ma conviction quant au caractère indispensable du moteur franco-allemand de l'Union. C'est d'ailleurs à ce thème que j'avais choisi de consacrer, cette année, le volet thématique de mon rapport.
Avant le début de mes travaux, je me demandais, en observateur curieux et déjà assez lié avec certains parlementaires allemands, si la célébration de la relation franco-allemande n'était pas, au fond, une survivance du XXe siècle. J'étais assez sensible également aux échos, de plus en plus sonores et concordants, d'une forme de désengagement de l'Allemagne à l'égard de l'intégration communautaire. J'avais été frappé, en particulier, par l'analyse de ce correspondant d'un journal du soir qui, à l'été 2009, écrivait que « l'Allemagne apaisée [avait décidé d'] enterrer le rêve européen ». En d'autres termes, l'Allemagne aurait calmement choisi de tourner le dos à l'idéal des pères fondateurs de l'Europe, celui d'une union sans cesse plus étroite, pour suivre une voie plus égoïste, plus autonome, plus décomplexée, moins européenne en somme.
J'ai donc souhaité en avoir le coeur net et, au cours de mes nombreuses et fructueuses consultations auprès d'élus, de diplomates, de chercheurs, de journalistes, j'ai retenu quelques leçons.
Une leçon d'histoire, tout d'abord : j'ai découvert qu'en dépit d'une légende tenace, il n'y a jamais eu d'âge d'or de la relation franco-allemande. Sans doute une connivence particulière a-t-elle assez tôt lié le Président Valéry Giscard d'Estaing et le Chancelier Helmut Schmidt, car ils s'étaient connus tous les deux avant d'accéder à ces hautes fonctions, en tant que ministres des finances de leurs pays respectifs. Mais pour le reste, l'histoire des relations personnelles entre présidents et chanceliers a toujours été celle d'une forme d'apprivoisement mutuel.
Les faits sont là : d'entente spontanée, immédiate et systématique sur tous les sujets importants, il n'y en a tout simplement jamais eu. Cela vaut également pour le « couple » que forment actuellement le Président Sarkozy et la Chancelière Mme Merkel. Deux personnalités, deux tempéraments : c'est l'illustration-type du tandem franco-allemand, toujours divers et toujours complémentaire.
D'où vient, dès lors, cette impression de faiblesse du moteur franco-allemand, ce manque d'effet d'entraînement qui se fait ressentir au sein de l'Union ? J'ai cité tout à l'heure un journaliste. Je pourrais citer également maints observateurs avertis de la chose européenne. Ainsi, Jacques Delors, s'exprimant le 7 octobre dernier devant le Parlement européen célébrant les vingt ans de la réunification allemande, déclarait :
« Vingt ans [après la réunification], alors qu'au-delà de la crise financière, l'aventure européenne suscite bien des interrogations, les vingt-sept pays sont devant une responsabilité historique : approfondir l'intégration européenne, ou bien vivre au jour le jour, grâce à des compromis certes nécessaires, mais non porteurs d'avenir.
« En ce jour où nous célébrons avec joie la réunification allemande, comment ne pas questionner ce pays sur sa vision de l'avenir européen ? »
Un autre élément va dans le même sens, que l'on a peu perçu en France mais qui, en Allemagne, où l'on vénère la notion d'État de droit, a fait l'effet d'un coup de tonnerre : il s'agit de l'arrêt de la Cour constitutionnelle fédérale de Karlsruhe sur la compatibilité du traité de Lisbonne avec la Loi fondamentale allemande.