Un bien ne peut être cédé qu'une fois et, pourtant, il est taxé.
Si ce principe de ne taxer que ce qui est renouvelable était appliqué de manière large – et si c'est un principe il doit l'être –, nous serions amenés à perdre beaucoup de recettes, notamment pour l'année prochaine. Cet argument paraît donc assez peu convaincant.
Ensuite, la mesure soulèverait un problème constitutionnel. Il me semble que le législateur – naturellement encadré par notre loi fondamentale – a toute sa place dès lors qu'il s'agit de décider d'un prélèvement.
Je ne vois pas quelle disposition de nature constitutionnelle empêcherait le Parlement, s'il le souhaitait, de fiscaliser au-delà d'un certain seuil les indemnités versées au titre d'un préjudice moral.
Sur le principe, je crains de ne pouvoir vous suivre, monsieur le ministre.
Venons-en au cas d'espèce que nous avons tous à l'esprit, à tort d'ailleurs car la rétroactivité serait en l'occurrence impossible, ou au moins délicate, à mettre en oeuvre, même si beaucoup peuvent le regretter.
Face au problème posé par ce cas d'espèce, le législateur a toute sa place pour indiquer au juge – qu'il s'agisse d'une juridiction ordinaire ou d'une justice plus particulière – des limites à ne plus franchir.
Jusqu'à présent, les indemnités versées au titre du préjudice moral n'avaient jamais atteint de tels niveaux. Si le législateur ne réagit pas, nous reverrons des cas de cette nature, qui pourraient être aussi choquants ou mal compris.
Je rappellerai à ce propos une histoire qui a ému beaucoup de monde. Un homme, dans l'est de la France, a été condamné à la réclusion criminelle à perpétuité assortie d'une peine incompressible de trente ans. Il a effectué quatorze années de cette peine avant d'être définitivement innocenté d'un crime horrible puisqu'il s'agissait du viol et du meurtre de deux jeunes enfants.
Je crois qu'il est difficile d'imaginer une souffrance morale plus grande, même si on peut toujours faire preuve d'imagination. Au titre du préjudice moral, cet homme s'est vu attribuer un million d'euros, c'est-à-dire quarante-cinq fois moins que dans le cas d'espèce auquel nous pourrions penser.
Si le législateur n'indique pas une limite au-delà de laquelle le principe rappelé à juste titre par le ministre ne s'applique plus, nous reverrons des cas qui, légitimement, susciteront une certaine émotion dans la population bien sûr, mais également ici – en tout cas, il faut le souhaiter.