Nous présenterons dans ce débat de nombreux amendements, avec une idée très simple : nous avons aujourd'hui besoin de rétablir de la solidarité et de la justice fiscales, de stimuler l'emploi et de favoriser l'investissement. Trois sujets que vous n'abordez pas vraiment dans votre budget.
S'agissant d'abord de la justice fiscale, la caractéristique de notre système, c'est qu'une bonne partie des revenus du capital échappent au barème de l'impôt sur le revenu. Ils y échappent de façon légale par le prélèvement libératoire ainsi que par un grand nombre de dispositifs dérogatoires, les fameuses niches fiscales, qui profitent en grande partie à ces revenus.
Il était donc possible de réformer le système, de réintroduire de la justice fiscale en supprimant, progressivement s'il le faut, les prélèvements libératoires et en réassujettissant l'ensemble des revenus du capital, y compris les plus-values, au barème de l'impôt sur le revenu. Nous présenterons des amendements en ce sens.
Nous proposerons également des mesures plus ponctuelles. Gilles Carrez, citant l'exonération d'ISF de 75 % pour les investissements dans des entreprises, a souligné qu'un tel taux ne répondait à aucun facteur d'efficacité économique. C'est vrai : nous voyons bien que ce taux répondait en réalité au souhait de dépouiller encore un peu plus l'impôt de solidarité sur la fortune.
L'abaisser à 50 % répond un peu mieux à un facteur d'efficacité économique, mais pourquoi un tel taux alors que l'exonération est de 25 % pour l'impôt sur le revenu ? Pourquoi les exonérations seraient-elles plus faibles pour les revenus du travail que pour les revenus du capital ? Nous affirmons pour notre part que la justice fiscale consiste à ramener cette réduction à 25 %, comme pour l'impôt sur le revenu.
En ce qui concerne la politique de l'emploi, nous continuons à penser qu'il faut supprimer cette arme de destruction massive de l'emploi que sont les exonérations de cotisation des heures supplémentaires. Dans une situation comme la nôtre, où les entreprises sont confrontées à un excédent considérable de capacités de production, tel que nous n'en avons jamais connu depuis l'après-guerre, et où l'ensemble de l'économie est confronté à un chômage massif, il est aberrant de subventionner les heures supplémentaires.
En commission, vous avez en partie reconnu, madame Lagarde, que l'Allemagne a réussi à réduire son chômage dans une crise majeure en utilisant la réduction du temps de travail, en recourant à ce que nous nommons le chômage partiel mais que les Allemands décrivent mieux en parlant de travail partiellement rémunéré par la solidarité – Kurzarbeit –, ainsi qu'à tous les dispositifs de la politique de l'emploi, là où nous avons maintenu un dispositif qui détruit des emplois.
Il est étonnant que les sujets du temps de travail soient toujours abordés de façon idéologique. Traitons plutôt la question d'un point de vue conjoncturel.
Dans une situation de plein-emploi, quand il existe de fortes tensions sur le marché du travail, comme la France en a connues lors des Trente Glorieuses, où le chômage était très faible – entre 200 000 et 300 000 personnes – et où beaucoup de main-d'oeuvre était importée, favoriser des heures supplémentaires peut avoir un sens. En revanche dans la situation inverse, de chômage massif, la seule politique intelligente est de faire en sorte que les entreprises qui le peuvent réduisent leur temps de travail pour éviter de licencier. C'est ce qu'a fait l'Allemagne, par tous les dispositifs possibles. La conséquence est que, quand la croissance repart, l'Allemagne est en ordre de marche. Les salariés sont restés liés à l'entreprise, l'économie peut redémarrer. C'est une situation très différente de la nôtre.
En ce qui concerne l'investissement des entreprises, nous proposerons de le favoriser en modulant l'impôt sur les sociétés en faveur des bénéfices réinvestis et en compensant par une hausse sur les bénéfices distribués.
Pour les collectivités locales se pose une vraie question.
Le plan de rigueur que vous leur appliquez n'a aucun fondement. Les collectivités ne sont pas responsables du déficit ni de l'endettement. Les documents en annexe de la loi de finances décomposent la dette des administrations publiques en grandes catégories. Depuis une trentaine d'années, la dette des collectivités locales est restée stable, autour de 8 % du PIB. Par conséquent, les collectivités ne sont en rien concernées par la dérive des déficits et de la dette, qui résultent de votre politique, et il est choquant de leur faire payer la rigueur que vous appliquez à l'État. En outre, elles ne s'endettent que pour investir. Imposer cette rigueur aux collectivités locales alors que l'État finance la moitié de ses dépenses courantes par le déficit, est proprement scandaleux.
Il n'est guère nécessaire que je m'étende sur la filière photovoltaïque ; ce sujet a été développé par le président de la commission des finances. Cet exemple montre tout de même que votre politique est véritablement une politique au fil de l'eau. Vous prenez des mesures sans les calibrer, sans les faire progressivement monter en charge, et puis, d'un seul coup, vous supprimez, vous divisez par deux. Cela crée une incertitude considérable pour tous les acteurs économiques, et c'est probablement la plus sûre façon de ruiner la confiance des investisseurs. Il aurait sans doute fallu calibrer en son temps ce dispositif, mais ce qui a manqué, à coup sûr, c'est un investissement massif dans une filière nationale.
Vous conduisez des politiques sans les appréhender chacune comme un tout. C'est aussi ce qui explique l'inefficacité d'une bonne partie de votre action économique.
Je terminerai par quelques mots sur nos conceptions respectives de la politique économique.
Au fond, toute votre politique – si, sans tenir compte des discours, nous nous en tenons aux faits – n'est autre que le prolongement en France des politiques qui, sous le nom de révolutions conservatrices, ont été conduites autrefois par Reagan et Thatcher.
Elles ont consisté à faire des cadeaux aux plus fortunés. Il y avait même une expression pour les décrire : « l'économie du ruissellement » ; donnons de l'argent aux contribuables les plus riches, ils investiront ; la croissance sera plus forte et il finira bien par en retomber des miettes sur les plus modestes. Or cela n'a jamais fonctionné. Le b.a.-ba de ces politiques, c'était que les recettes fiscales engendrées par le supplément de croissance allaient compenser la baisse des taux d'imposition, ce qui ne s'est jamais produit. Tout ce que l'on a vu, c'est se creuser massivement les déficits. La conséquence en a été la seconde phase de ces politiques libérales : la réduction massive de tous les budgets publics, aussi bien sous Thatcher que sous Reagan. Vous êtes en train de faire pareil dans le domaine de la santé, sur un certain nombre de budgets sociaux, même sur les retraites.
Nous ne partageons évidemment pas une telle conception de la politique économique parce que nous considérons, nous, que la solidarité constitue un formidable facteur d'efficacité économique. En effet, ce qui fait la compétitivité des nations ou le développement économique, c'est bien sûr la compétitivité des entreprises, mais pas seulement car, à l'époque de la mondialisation, on peut reproduire presque partout dans le monde une entreprise performante, très en pointe d'un point de vue technologique. La compétitivité est donc aussi fondée sur tout ce qui environne l'entreprise : une protection sociale qui permet de prendre des risques, un système de santé efficace, un système de recherche performant, un secteur de l'éducation efficient, des infrastructures, soit tout ce qui caractérise, dans la plupart des pays, le secteur non-marchand ou, en tout cas, celui qui échappe en partie au marché même quand il est, comme aux États-Unis, financé partiellement par le secteur privé.
Un tel constat me ramène aux propos de Gilles Carrez quand il rappelait que le rôle de l'impôt, avant d'être d'incitation, doit consister à fournir des ressources.