La marine a été, à divers égards, la grande oubliée de la loi de programmation militaire. Nous avons des bateaux qui ont 22 ans de moyenne d'âge, nous manquons de patrouilleurs et d'avions de surveillance. Avons-nous les moyens d'assurer notre souveraineté dans les zones économiques exclusives qui entourent nos DOM et nos COM ?
Amiral Pierre-François Forissier. Si la formation en école se fait en un an ou deux, en revanche la compétence s'acquiert par des années de pratique. Le sujet essentiel est la conservation du savoir-faire car il peut se perdre en quelques mois, alors qu'à l'inverse, une marine qui ne possède pas la compétence de lutte anti-sous-marine a besoin de 30 ans de travail avant d'y parvenir. Aujourd'hui, nous n'avons pas de raison de craindre la menace sous-marine près de chez nous ; en revanche, elle peut exister lorsque nous nous déployons à l'extérieur. C'est la raison pour laquelle, dans les zones lointaines, nous préférons que ceux qui veulent développer une activité sous-marine utilisent nos techniques, afin de nous permettre de mieux contrôler la situation.
Nos équipages sont représentatifs de la population française. Les marins d'origine citadine en représentent donc une proportion croissante ; à nous de les rendre robustes. La mer est la plus grande éducatrice que nous puissions avoir ! Nous avons d'ailleurs lancé l'année dernière un plan intitulé « Être marin, être combatif » ; il vise à apprendre aux jeunes qu'il s'agit d'un métier difficile, qui entraîne des contraintes personnelles et familiales lourdes et qui peut amener à se trouver au combat – à un combat qui tue et qui conduit les marins, particularité de leur arme, à continuer de travailler en ayant à bord leurs morts et leurs blessés.
Monsieur Folliot, je ne vous suis pas lorsque vous dites que la marine a été sacrifiée ; elle ne fait que prendre sa part des efforts collectifs. Quant à sa place dans le monde, elle tient précisément au fait que nous avons le deuxième espace maritime mondial. Il est exact que les moyens navals dédiés arrivent en fin de vie. Nous ne pouvons pas les remplacer nombre pour nombre, mais je ne le demande pas car les performances de ces bateaux, et en particulier leur taux de disponibilité, pouvaient laisser à désirer : là où nous avions deux bateaux disponibles 80 jours par an, nous ne pouvions assurer que 160 jours de mer dans l'année. Mon objectif est que le nombre de jours de mer dans ces régions ne diminue pas, et si possible augmente – mais pas forcément avec un nombre de bateaux plus importants. La marine marchande a des bateaux dont la disponibilité avérée est supérieure à 300 jours par an ; avec des navires de ce type, même en nombre réduit, nous pourrions travailler beaucoup plus.
Par ailleurs, le cartésianisme français pousse à vouloir le « bateau générique » de l'outre-mer. Nous avons outre-mer des P400, des frégates de surveillance et des Batral ; ce sont exactement les mêmes bateaux qui travaillent au milieu du Pacifique ou dans les zones de petits fonds de Guyane. Cette approche ne me paraît plus pertinente, car il faut envoyer à chaque endroit le bateau qui convient. En outre, je souhaiterais que nos bateaux dans le Pacifique fonctionnent avec les mêmes moteurs que les bateaux de pêche du Pacifique, et que nos bateaux opérant au large de la Guyane aient les mêmes moteurs que les bateaux de plaisance que l'on peut voir dans la zone. Cela permettrait de bénéficier des capacités locales de maintenance, sans avoir besoin de faire venir des pièces de métropole.