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Intervention de Guy Teissier

Réunion du 12 octobre 2010 à 17h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGuy Teissier, président :

Nous avons le grand plaisir d'accueillir l'amiral Pierre-François Forissier, chef d'état-major de la marine.

Vous allez, amiral, nous détailler les crédits alloués à votre armée dans le projet de loi de finances pour l'année qui vient. La marine ne semble pas la plus touchée par l'effort imposé au ministère de la défense. L'année 2011 verra en effet la commande d'un sous-marin nucléaire d'attaque Barracuda, ce qui nous paraît important tant pour la marine que pour l'industrie, ainsi que la livraison de quatre NH90 version marine – que nous attendions depuis longtemps.

Amiral Pierre-François Forissier. Je suis très heureux, comme chaque année, de venir vous présenter la situation de la marine nationale. N'ayant plus de réelles responsabilités budgétaires, j'interviens en tant qu'adjoint du chef d'état-major des armées, qui désormais les exerce, pour vous apporter des compléments maritimes au tableau qu'il vous a brossé. Le BOP 178-21C est l'unique responsabilité budgétaire qui me reste.

S'agissant du format, j'observe tout d'abord que l'exécution budgétaire et les récents ajustements de ressources consécutifs à la crise préservent les grands équilibres de la programmation. L'équilibre général de la marine continue de reposer sur les deux composantes majeures que sont la force océanique stratégique d'une part, le groupe aéronaval d'autre part.

S'agissant de la force océanique stratégique, il faut saluer la performance exceptionnelle réalisée par l'ensemble des acteurs des programmes de dissuasion pour permettre le rendez-vous, que nous attendions depuis dix ans, entre le missile M51 et le sous-marin Le Terrible. Peu de programmes d'armement respectent aussi scrupuleusement un calendrier fixé avec autant d'avance. Le ministre de la défense vient de prononcer la mise en service opérationnel du M51, nous-mêmes avons prononcé l'admission au service actif du Terrible. Pour autant, celui-ci n'est pas encore prêt à assurer sa mission de dissuasion : il reste à l'insérer dans le cycle opérationnel, en particulier à l'équiper de ses missiles ; ce qui devrait se faire dans les semaines qui viennent.

Le troisième Barracuda sera commandé en 2011. Du fait du plan de relance, la composante amphibie va voir le Dixmude admis au service actif en 2012. Ce bateau, dont nous avons découpé la première tôle il y a un an, a déjà flotté en changeant de cale dans les chantiers de Saint-Nazaire. Fabriquer une coque de 22 000 tonnes en moins d'un an est une performance remarquable, qui explique que certains pays étrangers s'intéressent à notre industrie navale.

Nous mettons actuellement en service actif les frégates de défense aérienne de type Horizon – dans quelques jours le Forbin, que nous espérons déployer avec le groupe aéronaval qui appareille demain matin pour l'Océan Indien et, dans quelques mois, le Chevalier Paul.

Enfin, la livraison des Rafale marine se poursuit : nous sommes en train de réceptionner le numéro 30. Celle des NH90 a débuté : les deux premiers ont été livrés, nous attendons les deux suivants dans les mois qui viennent.

De mes propos, vous pourriez retirer l'impression que tout va bien dans la marine. Or si les grands équilibres sont préservés, la cohérence globale de notre format est fragilisée, notamment par les efforts supplémentaires que la programmation triennale 2011-2013 nous impose par rapport à la loi de programmation militaire.

Ainsi, pour la flotte, la jonction entre les sous-marins Rubis et Barracuda suppose que nous réussissions à prolonger les premiers autant qu'il sera possible. Conçus pour servir pendant vingt-cinq ans, ils vont largement dépasser cet âge et nous devons les faire durer au moins trente-cinq ans, peut-être quarante. Nous n'avons pas beaucoup d'inquiétudes, compte tenu des normes retenues à l'époque de leur construction, notamment en matière nucléaire. Nous devons cependant rester vigilants car nous ne sommes pas à l'abri d'une mauvaise surprise. Le pari est raisonnable, mais nous n'avons pas toutes garanties qu'il sera gagné.

S'ajoute à cela la gestion des ruptures temporaires de capacité, déjà prévues dans la loi de programmation militaire. J'espère qu'elles ne s'aggraveront pas. Pendant les dix ans à venir, nous connaîtrons un déficit d'au moins une à deux frégates de premier rang.

Concernant l'aéronautique navale, l'un de mes sujets majeurs de préoccupation est le retrait inéluctable du service opérationnel du Super Etendard en 2015 et la nécessité de disposer de 45 Rafale opérationnels à cette échéance. Certes il ne nous en reste plus que 15 à recevoir mais sur les 30 qui nous ont été livrés, 10 sont au standard 1, c'est-à-dire interdits de vol ; leur rétrofit dans la version F3 est programmé et nous veillons à ce qu'aucun retard ne soit pris.

Le format des avions de patrouille maritime Atlantic 2 est convenable, mais leur taux de disponibilité l'est moins, d'autant que s'y ajoute l'obsolescence de certains de leurs équipements. Leur rétrofit va donc devenir urgent. Les trois appareils que nous avons déployés en Afrique, à l'occasion des événements récents au Mali, représentaient 40 % du parc disponible ; nous remplissons les missions qui nous sont confiées, mais difficilement.

Nous avions des inquiétudes concernant le relais entre le Super Frelon et le NH90 et malheureusement, la jonction entre ces deux programmes n'a pas été possible. J'ai pris la décision, contre certains avis, d'arrêter le Super Frelon avant qu'il n'accomplisse le vol de trop. Pour assurer la jonction, nous avons acheté deux hélicoptères EC225, primitivement destinés à une compagnie pétrolière qui avait annulé sa commande en raison de la crise – ce qui nous a permis de les mettre très rapidement en service mais, s'agissant d'invendus, je trouve que nous les avons payés bien cher.

Dans le domaine strictement budgétaire du BOP 178-21C, je note que le niveau de ressources du projet de loi de finances – 4,2 milliards d'euros en crédits de paiement – se situe en dessous de la stricte suffisance pour l'entretien programmé du matériel. Il pénalisera les rechanges et la disponibilité, mais cela ne sera pas visible du fait de la spécificité du MCO (maintien en condition opérationnelle) naval : si nos bateaux étaient autrefois appelés « bâtiments », c'est parce que leur entretien s'apparente plus à un entretien patrimonial qu'à l'achat d'heures de marche comme pour un véhicule ou un avion. L'usure d'un bateau – qui est en permanence dans l'eau, extrêmement corrosive, et qui contient à bord des équipements qui fonctionnent en permanence – ne résulte pas de son utilisation mais du temps qui passe.

Mon indicateur de performance du MCO est le nombre de jours d'avaries accidentelles par bateau. En temps normal, nos bâtiments sont utilisés une centaine de jours par an ; cette année, en raison des restrictions, nous réduirons cette utilisation de 10 %, soit une activité de 90 jours par bateau. Les 80 jours d'indisponibilité supplémentaire par an que je prévois se situeront majoritairement durant les 275 jours où le bateau se trouve à quai – mais où je souhaite qu'il soit disponible en cas de mission impromptue. Là est le paradoxe : la marine fait ce qui lui est demandé, mais son déficit de MCO entraîne néanmoins une moindre disponibilité instantanée de ses bateaux en cas de besoin inopiné.

Le titre II, doté de 2,49 milliards d'euros, intègre les transferts et la déflation des effectifs – environ 2 600 emplois. Il est globalement stable à périmètre constant, ce qui devrait nous permettre de le gérer convenablement.

J'en arrive aux défis que, dans ce contexte contraint, la marine doit relever.

Premier défi : le maintien d'une activité soutenue en réponse au contrat opérationnel d'intervention. La diminution d'activité de 15 % des sous-marins nucléaires d'attaque devra être gérée avec beaucoup de soin car il faut assurer, pour l'ensemble du dispositif, le maintien des savoir-faire et des capacités d'expertise à la mer – qu'on n'acquiert pas en restant à quai.

Le groupe aéronaval va travailler pendant plusieurs mois dans un contexte opérationnel sévère, accroissant notre participation aux opérations Enduring Freedom et Atalanta, tandis que d'autres bateaux sont affectés à la mission Corymbe dans le golfe de Guinée. Mais, pendant que nous procédons à ces déploiements loin de chez nous, notre entraînement dans nos approches diminue. Je suis préoccupé par le maintien de savoir-faire complexes, en particulier dans le domaine de la lutte anti-sous-marine.

Deuxième défi : la maîtrise des coûts du MCO, qui est un enjeu majeur. Nous essayons de travailler avec l'industrie, dont la performance en termes de coûts me paraît susceptible d'être améliorée.

Aujourd'hui, la disponibilité des aéronefs est préoccupante. Là aussi, nous travaillons avec la SIMMAD (structure intégrée de maintien en condition opérationnelle des matériels aéronautiques du ministère de la défense) pour améliorer la situation. Il est clair que les difficultés sont liées à l'obsolescence de certains matériels et au fait que nous entretenons un parc d'avions anciens : le Super Etendard est un très bon avion, mais qui connaît régulièrement des problèmes, dus notamment à la fatigue de sa structure ; nous attendons donc impatiemment la mise en service de matériels nouveaux. Nous espérons cependant obtenir une réduction significative du coût d'entretien des aéronefs modernes, très élevé lorsque les appareils sont encore proches de l'état de prototype ; nous examinons avec les professionnels comment parvenir le plus rapidement possible à des prix de marché convenables et durables.

Troisième défi : la mise en oeuvre des réformes. La base de défense de Toulon doit être créée le 1er janvier 2011. Elle comptera 22 000 personnes, ce qui en fait une base de défense « XXL », comparée aux bases de défense standards qui comptent de 2 000 à 3 000 personnes. D'autre part, nous allons fermer la base aéronautique de Nîmes-Garons ainsi que les établissements de Toussus-le-Noble et de Dugny.

Le dernier et principal défi concerne la gestion des ressources humaines, tant il est vrai que la marine n'est rien sans les hommes et les femmes qui la servent. Nous sommes dans la phase de déflation des effectifs voulue par le Livre blanc, pour atteindre la cible de 44 000 marins en 2015, soit une réduction de 12 %, au rythme de 850 suppressions de postes par an. Certaines personnes seront transférées vers d'autres services de la défense et continueront à travailler à notre profit.

La manoeuvre RH à accomplir est, comme dans les autres armées, complexe et anxiogène pour nos personnels. Nous veillons à ce que nos flux d'entrées et de départs assurent la qualité et la jeunesse de nos équipages. Cela nous oblige à choisir ceux que nous désirons voir partir et ceux que nous voulons fidéliser. Nous nous trouvons donc dans cette situation paradoxale où, tout en cherchant à réduire les effectifs, nous refusons le départ de personnes qui voudraient nous quitter mais qui détiennent des expertises dont nous ne pouvons pas nous passer ; c'est le cas notamment dans les domaines du nucléaire, de la lutte anti-sous-marine et des systèmes d'information et de commandement (SIC) militaire et naval. Cette manoeuvre RH est un défi colossal auquel nous faisons face avec beaucoup de persévérance et d'énergie.

Dans le contexte difficile auquel nous sommes confrontés, il nous faut impérativement être innovants, et cela dans tous les domaines.

Dans celui du MCO, nous développons les contrats d'entretien globaux sur une certaine durée. Nous avons du mal à trouver le réglage optimal mais nos contrats sont aujourd'hui beaucoup plus performants, dans leur rapportcoût efficacité, qu'il y a quatre ou cinq ans ; nous nous efforçons de progresser encore.

Nous essayons aussi de nouer des partenariats innovants avec les industriels. Ainsi, le projet Hermès consiste à construire un bateau sur les fonds propres de l'industriel sans que nous ayons à financer un programme d'armement. Il ne s'agit pour le moment que d'une expérience mais si, à terme, nous parvenons à acheter des bateaux sur étagère, sans avoir à payer le développement d'un programme, cela constituera un changement très important.

Avec les autres armées, nous jouons pleinement le jeu de la coopération. Nous avons en effet de plus en plus de matériels communs. La semaine dernière, nous avons d'ailleurs, avec le ministre et le général Paloméros, mis en service l'escadron de transformation Rafale mixte airmarine de Saint-Dizier, dans lequel nous avons pour l'instant un Rafale marine – quatre à terme – pour éviter de dupliquer cette activité avec Landivisiau. De même, nous sommes en train de découvrir avec nos camarades de l'armée de terre le NH90, en essayant de mettre en commun la formation au pilotage et l'utilisation des simulateurs.

Concernant l'action de l'État en mer, nous avons eu le plaisir, après un remarquable travail effectué dans des délais très courts, d'inaugurer le 15 septembre dernier le Centre opérationnel de la fonction garde-côtes (CoFGC), hébergé à l'hôtel de la Marine. L'équipe interministérielle qui y travaille édite tous les jours une fiche de situation maritime, couvrant l'ensemble de la planète et destinée à toutes les administrations concernées par la mer.

Nous sommes par ailleurs très engagés pour apporter à notre industrie un soutien à l'exportation. À l'occasion du salon Euronaval qui se tiendra dans quinze jours à Paris, je recevrai personnellement un grand nombre de chefs d'état-major étrangers, venus voir ce que l'industrie française peut faire pour eux.

Enfin, dans le domaine de la formation, nous avons inauguré cette année l'école d'application des officiers de marine dans sa nouvelle formule – sur un BPC (bâtiment de projection et de commandement) et non plus sur la Jeanne d'Arc. Nous sommes en train d'évaluer les résultats de cette première campagne ; les premières impressions nous rendent extrêmement confiants et satisfaits d'avoir tenté ce pari.

En conclusion, la marine va plutôt bien et travaille avec beaucoup de sérénité. Elle a conscience de la faiblesse de ses marges de manoeuvre, quand celles-ci ne sont pas négatives, mais elle essaye d'accomplir les missions qui lui sont assignées. Jusqu'à présent, elle y a toujours réussi, à la plus grande satisfaction de nos donneurs d'ordres. Je ferai tout pour que les choses continuent ainsi.

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