Il n'y a pas eu de discussion. On aurait pourtant pu essayer de renégocier les prix dans le cadre des contrats déjà passés avec Sanofi et Novartis. Quand on sait que le prix demandé par GSK était de sept euros, dont six euros pour le seul adjuvant et un euro pour l'antigène, on peut se demander si le prix des vaccins sans adjuvant n'aurait pas dû être beaucoup plus faible.
Je le répète : il n'y a pas eu de négociation sur les prix. Ce n'est pas l'EPRUS qui en a décidé ainsi, mais le ministère. Nous avons même constaté, en réalisant l'étude demandée par le Sénat, que les instructions sont remontées jusqu'au Premier ministre et à l'Elysée. La prise de décision a dépassé de très loin l'EPRUS, qui s'est contenté de signer et d'exécuter des marchés en partie pré-négociés. Nous en concluons qu'il y a eu une sorte de partage du pouvoir adjudicateur.
J'ajoute que le recours à l'article 3-7° du code des marchés publics, qui fait l'objet d'une étroite surveillance de la Commission européenne, a été quasiment dicté à l'EPRUS dans une lettre qui lui était adressée. La rédaction des contrats a également été prédéterminée. On est donc allé bien au-delà de ce que prévoyait la lettre de la loi et de la convention signée avec l'EPRUS. Les contacts préalables avec les laboratoires ont été établis directement par le cabinet de la ministre.
Les quantités, les prix et les conditions de résiliation ont été exclus de la négociation. Nous avons par ailleurs établi que les conditions très restrictives qui encadrent le recours à l'article 3-7° du CMP n'étaient pas réunies. Il aurait été possible de recourir à l'article 35-II-1° du même code, qui permet en cas d'urgence impérieuse de contracter sans publicité et sans mise en concurrence, mais en respectant un certain nombre de garanties, telles que les règles régissant l'octroi des avances et des acomptes aux fournisseurs. De fait, ce ne sont pas les laboratoires, mais plutôt les États qui étaient en concurrence.
Malgré d'importantes incertitudes sur le virus, dont on redoutait des mutations, et sur la date de disponibilité des vaccins – les laboratoires ne s'engageaient pas sur les délais, de telle sorte qu'on ne pouvait pas savoir s'il serait possible de vacciner toute la population avant le début de l'épidémie –, des commandes fermes ont été passées. Aucune clause conditionnelle n'a été prévue, ni aucune clause de renégociation.
Le conditionnement en multidoses a été imposé par certains laboratoires, tels que GSK, et des clauses d'irresponsabilité ont laissé aux pouvoirs publics le soin d'apporter la preuve de la faute du fabricant, même si ces clauses ont été adoucies par rapport aux premières exigences de GSK. Heureusement qu'il n'y a pas eu d'accident grave à la suite des vaccinations ! L'État est, en revanche, resté ferme sur l'exigence, essentielle, de l'obtention d'une AMM.
Ces autorisations ont été très vite délivrées, mais les délais ont été longs à cause de la faiblesse du rendement antigénique du vaccin. On sait par ailleurs que l'Agence européenne du médicament avait indiqué, dès le 20 novembre 2009, qu'une seule dose suffirait. Il est vrai que le Haut conseil de la santé publique s'est prononcé un peu plus tard, mais on aurait tout de même pu éviter d'attendre le début du mois de janvier pour procéder à la dénonciation, unilatérale ou négociée, d'une partie des commandes. Des vaccins ont donc été produits en quantités excessives pendant toute cette période. On savait aussi, compte tenu de la faible létalité du virus, que le niveau d'adhésion de la population à la vaccination serait faible.
Les réductions de commande ont fait l'objet d'une négociation pour un contrat passé avec Sanofi et de trois décisions unilatérales à l'égard de GSK, de Novartis et de Sanofi. Il n'y a finalement pas eu de recours contre ces décisions unilatérales. Le montant des indemnisations versées n'a donc pas dépassé les 48 millions prévus. Les délais de recours sont expirés depuis la fin du mois d'août dernier.
Au total, la dépense s'élève à 382 millions TTC pour 44 millions de doses. Seuls six millions de doses ont été utilisés en France pour la vaccination de 5,3 millions de personnes – certaines d'entre elles ont reçu deux doses, soit parce qu'elles ont été vaccinées tout au début de la campagne, soit parce qu'il s'agissait d'enfants qui n'étaient pas du tout protégés à l'origine. Des doses ont été revendues à Monaco et au Qatar, mais la facture n'en a été allégée que de 6,8 millions d'euros.
Les pertes en lignes, sujet sur lequel nous revenons plus en détail dans le rapport réalisé pour le Sénat, ont été considérables. Certaines doses devaient être détruites, soit parce que la chaîne du froid a été rompue, soit parce qu'elles ont été ouvertes sans que les dix doses conditionnées ensemble soient utilisées, mais on constate également qu'une partie des vaccins a été tout simplement perdue. L'EPRUS n'était pas responsable des doses en dehors de ses propres plateformes départementales. On ignore combien il en reste dans les centres de vaccination et dans les pharmacies. Cela étant, ces doses seront périmées au plus tard en novembre 2011, et l'actuel vaccin contre la grippe saisonnière inclut la souche H1N1 : les doses restantes ne présentent donc plus d'utilité.
J'en viens à la réserve sanitaire, dont la constitution était la première mission assignée à l'EPRUS lors de sa création, à l'initiative du Sénat. Après la canicule de l'été 2003 et l'épidémie de chikungunya, il s'agissait de disposer d'un corps de professionnels de santé volontaires ayant bénéficié d'une formation préalable, dotés de modalités propres d'indemnisation, jouissant d'une protection personnelle et susceptibles d'intervenir très rapidement, y compris à l'étranger. Deux types de réserves étaient prévus : une réserve d'intervention, plutôt formée de professionnels en activité, et une réserve de renfort, composée d'étudiants et de retraités, même si le partage entre les deux types de réserves n'était pas très clair. Les effectifs prévus – 1 000 professionnels de santé pour la réserve d'intervention et 20 000 pour la réserve de renfort – étaient trop ambitieux par rapport au nombre d'étudiants et de professionnels retraités depuis moins de trois ans disponibles.
Je rappelle, en outre, que l'appel à la réserve doit être décidé par arrêté conjoint du ministre de la santé et du ministre chargé de la sécurité civile et qu'une doctrine d'emploi de la réserve a été annexée au contrat entre l'État et l'EPRUS.
Le dispositif est monté en charge très lentement et il n'a jamais été vraiment utilisé selon les règles prévues, sauf dans trois cas relatifs à l'épidémie grippale et un cas à Haïti. Pour le reste, c'est la procédure de réquisition, en vigueur depuis longtemps, qui a été utilisée pour obtenir le concours des professionnels de santé. L'Agence européenne du médicament ayant exigé la présence d'un médecin, il a fallu solliciter très vite des médecins dans les centres de vaccination. Des flottements importants ont été alors constatés : des confusions dans les références aux articles du code, ou encore des sollicitations de médecins par voie d'arrêté du seul ministre de la santé, voire par simple lettre. Tout cela ne pose pas seulement des problèmes au plan procédural, mais aussi au plan budgétaire, car les financements de la CNAMTS ne doivent pas être affectés à la réserve sanitaire. Toutefois, il faut être conscient qu'il n'existait pas, en l'absence de réserve sanitaire opérationnelle, d'autre solution que les réquisitions de médecins auxquelles les services déconcentrés sont habitués.
Au plan budgétaire, les crédits destinés à la réserve sanitaire n'ont pas été entièrement consommés, car la réserve est montée très lentement en charge, et les conditions ont été desserrées.
L'expérience récente devrait servir à repenser la réserve sanitaire. Une réflexion a d'ailleurs été lancée, dans tous les ministères concernés, pour coordonner les différentes catégories de réserves actuelles : il s'agirait de constituer une sorte de grande réserve de sécurité nationale, incluant les pompiers, les militaires, la sécurité civile et la réserve sanitaire.
J'en terminerai par les modalités de financement, question à laquelle votre Commission est naturellement sensible. Un principe de financement paritaire a été retenu pour les dépenses concernant les produits stratégiques et les produits nécessaires pour les actions de prévention, ce qui exclut la réserve sanitaire, comme je l'ai indiqué tout à l'heure. Le principe s'apprécie sur trois exercices consécutifs, mais on ne sait pas encore s'il s'applique aux dépenses décaissées ou aux dépenses encourues.
Les dépenses de l'État ont été imputées sur le programme 204 de la mission « Santé », à l'action n° 16, et sur le programme 128 de la mission « Sécurité civile ». Le bilan n'a toujours pas été réalisé pour les années 2007 à 2009, mais nous avons observé un surfinancement de l'État et plus encore de l'Assurance maladie. Les versements ne se faisant qu'en fonction des besoins, la sécurité sociale conserve les fonds dans sa trésorerie, mais les sommes considérées restent dues à l'EPRUS.
Les prévisions 2010 font état de 184 millions de dotations inutilisées en provenance de l'Assurance maladie et de 42 millions en provenance de l'État. La loi de financement de la sécurité sociale pour 2011 prévoit un reversement de 100 millions à la CNAMTS.
L'intégralité des dépenses de l'EPRUS liées à la prévention de la grippe H1N1, soit 446 millions, a été financée par des dotations votées en loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) et en loi de finances pour 2009. Les crédits pour 2010 sont donc excessifs, ce qui conduit à d'importants reports de crédits – 226 millions à la fin de l'année. On peut penser que cette situation conduira à une réduction des dotations futures de l'assurance maladie et de l'État, mais l'absence de bilan triennal ne facilite pas la tâche.
Les modalités de financement retenues nous paraissent quelque peu contestables. Une avance massive de 879 millions de la CNAMTS a ainsi été prévue pour préfinancer l'achat des vaccins. Cette procédure a été justifiée par l'urgence, alors qu'on aurait pu recourir à un décret d'avance, solution également très rapide. L'argument selon lequel il fallait éviter la constitution d'une réserve de trésorerie me semble plus convaincant : si un décret d'avance avait été adopté, les crédits n'auraient pas été mobilisés en fonction des besoins, mais immédiatement versés. En fin de compte, seuls 78 millions d'euros ont été utilisés.
Comme vous, nous avons en outre trouvé contestable le recours à un décret d'avance pour la fourniture de masques, mais je n'y reviens pas.
Une contribution exceptionnelle des organismes complémentaires d'assurance maladie a été prévue par la LFSS pour 2010. Initialement fixée à 0,94 % du chiffre d'affaires, elle a ensuite été ramenée à 0,77 %, car, les vaccins ayant bénéficié d'une AMM, le taux réduit de TVA s'est appliqué. Elle devrait finalement être réduite à 0,34 % par la LFSS pour 2011. Objet de nombreux amendements, le produit de cette contribution a été attribué à la CNAMTS, qui pourra ainsi financer la campagne des bons de vaccination. Au total, les soins imputables à la grippe A auront coûté 95 millions d'euros.
En conclusion, on peut dire que l'EPRUS a été soumis à rude épreuve alors même qu'il était à peine en état de fonctionner. Ce fut une expérimentation grandeur nature – et même davantage. Les critiques que nous formulons ne s'adressent pas tant à l'établissement lui-même, qui s'est comporté en bon exécutant, qu'aux autorités de tutelle. Ce sont elles qui ont réalisé tous les choix en matière de stratégie, de financement et de modalités techniques, y compris pour la passation des marchés.
Il faut maintenant se tourner vers l'avenir en tirant toutes les leçons possibles, aussi bien pour la gestion des pandémies que pour le fonctionnement de l'EPRUS lui-même : un bilan du cofinancement doit être enfin réalisé et il faut établir un contrat de performances pluriannuel pour définir des orientations en matière de réserve sanitaire, de doctrine de renouvellement des stocks, de stockage et de cofinancement.