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Intervention de Rolande Ruellan

Réunion du 14 octobre 2010 à 11h30
Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Rolande Ruellan, présidente de la sixième chambre de la Cour des comptes :

Je vais m'y efforcer, mais il est probable que vous sachiez déjà tout grâce à la commission d'enquête que vous avez constituée.

La demande nous a été adressée à la fin du mois de décembre de l'année dernière. MM. Bapt et Door nous ont confirmé, au mois de février, que la commande portait plus généralement sur les comptes et la gestion de l'EPRUS depuis sa création.

En mai dernier, la commission d'enquête a bien voulu nous auditionner à huis clos, car nos travaux n'étaient pas encore achevés et ils n'avaient donné lieu ni à un débat collégial au sein de la Cour, ni à procédure contradictoire.

Le contrôle a été réalisé par Christian Phéline, avec le concours d'autres spécialistes de la Cour. A la demande de la commission des Affaires sociales du Sénat, nous avons réalisé en parallèle un travail sur la gestion et l'utilisation des fonds destinés à la campagne de lutte contre la grippe A, auquel Simon Berthoux a notamment participé. Ces deux rapports comportent une partie commune, relative au rôle de l'EPRUS dans l'acquisition des vaccins.

Nous n'avons pas jugé utile de convoquer les acteurs déjà auditionnés par les commissions d'enquête des deux Assemblées : nous avons préféré nous appuyer sur les comptes rendus des auditions et travailler selon nos propres méthodes. Nous avons ainsi réalisé des enquêtes sur pièces et sur place, aussi bien à l'EPRUS que dans les départements.

Je rappelle que l'EPRUS est un établissement public administratif créé par la loi du 5 mars 2007 pour remplir deux missions principales : acquérir et gérer des stocks pour faire face à des catastrophes sanitaires, mais aussi constituer et gérer un corps de réserve sanitaire. Entré en action en août 2007, il a connu des débuts très difficiles : à la veille du déclenchement de la campagne de lutte contre la pandémie, il était à peine en état de marche.

Le rapport examine successivement les caractéristiques du nouvel établissement, la façon dont il a été mis en place, la façon dont il a mis en oeuvre ses missions, notamment à l'occasion de la récente pandémie, enfin les conditions de son financement.

L'EPRUS est un nouvel opérateur de l'État. Il existait auparavant un plan d'intervention contre les risques de type nucléaire, radiologique, biologique ou chimique, et des stocks d'antibiotiques, d'antidotes, de masques de protection, d'antiviraux, de vaccins avaient été constitués. La Cour avait eu à en connaître à l'occasion de ses travaux sur l'exécution budgétaire et sur les comptes de l'État. Ces plus importants stocks civils de l'État représentaient 210 millions d'euros fin 2005. La Cour avait critiqué leur gestion directe par l'État, relevant différents problèmes en matière d'inventaire physique, de traçabilité, de suivi logistique et comptable, mais aussi de validité des produits après leur date de péremption. En juin 2008, elle avait adressé un référé « confidentiel défense » sur la gestion de ces stocks stratégiques. La ministre avait répondu, au mois d'octobre suivant, que la mise en place de l'EPRUS permettrait d'apporter les réponses nécessaires.

La création d'un tel établissement public administratif paraît totalement justifiée à la Cour, car les missions exercées ne relèvent pas d'une administration centrale. L'utilité de cet établissement de petite taille, qui emploie 35 personnes, n'est pas en cause. Le problème est qu'il dispose de pouvoirs limités, même si c'est un choix que l'on peut comprendre : l'État, garant de la politique de santé publique, conserve la responsabilité principale en cas de crise sanitaire, d'origine terroriste ou épidémique.

La loi charge l'établissement d'acquérir, de fabriquer, d'importer, de distribuer et d'exporter des produits et services nécessaires à la protection de la population, et d'assurer la gestion administrative et financière d'une réserve sanitaire. Il peut également financer des actions de prévention des risques sanitaires majeurs. C'est dans ce cadre que l'EPRUS a financé des masques destinés aux administrations et qu'il a indemnisé les professionnels réquisitionnés. La loi en a fait un simple exécutant des décisions du ministre de la santé, un logisticien chargé d'acheter et de gérer des stocks sanitaires à la demande du ministre.

Son conseil d'administration paritaire, qui réunit l'État et l'assurance-maladie, a des pouvoirs très limitées : les décisions prises par le directeur sur instruction du ministre ne sont pas soumises au conseil d'administration. Tout ce qui concerne les marchés et les conventions est donc exclu de sa compétence, bien que l'assurance maladie finance la moitié des dépenses.

La convention entre l'État et l'EPRUS, signée au début de l'année 2009, témoigne d'une conception extrêmement extensive des pouvoirs de l'État à l'égard de l'établissement. Sur ce point, vous me permettrez de renvoyer aux pages 19 et 20 du rapport. L'EPRUS est « tenu en laisse », si j'ose dire, par le ministère de la santé. La convention avait même prévu que les stocks acquis par l'EPRUS demeuraient la propriété de l'État.

L'EPRUS a également signé une convention avec l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSaPS), qui vise notamment les expertises réalisées par l'agence sur la validité des produits stockés. Une convention a par ailleurs été signée avec la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) et l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS) : la CNAMTS finance la moitié des dépenses de l'EPRUS, via l'ACOSS, sur la base des appels de l'établissement. Les fonds restent abrités au sein de la trésorerie de la sécurité sociale tant que l'EPRUS n'en a pas besoin.

Les débuts de l'établissement ont été compliqués par des divergences stratégiques entre son premier directeur et le ministère de la santé. Le directeur actuel, M. Coudert, a reçu une lettre de mission qui lui demandait notamment d'installer l'établissement à la Plaine de France, de constituer une réserve sanitaire et de créer un établissement pharmaceutique. Hormis la constitution de la réserve sanitaire, ces missions ont été accomplies, mais nous déplorons l'absence de tout contrat pluriannuel. Les indicateurs de la mission « Santé » ne peuvent s'y substituer.

Le transfert des stocks sanitaires de l'État a constitué une lourde tâche lors du démarrage effectif de l'EPRUS. Il a fallu constituer en son sein un établissement pharmaceutique. Une fois cet établissement autorisé par l'AFSSaPS, en mars 2009, les stocks de vaccins ont pu être transférés, ainsi que tous les marchés déjà passés, y compris ceux qui étaient achevés – l'exigence de traçabilité l'exigeait.

Conformément à une demande formulée par la Cour et en application de la norme comptable n° 8, les stocks ne figurent plus dans le bilan de l'État, mais dans celui de l'EPRUS. Alors qu'ils ne représentaient que 552 millions d'euros au 31 décembre 2008, leur valeur brute a dépassé un milliard d'euros au 31 décembre 2009.

Nous avons ensuite procédé à une étude de la passation des marchés, qui a eu lieu dans différents cadres : celui des procédures définis par le code des marchés publics (CMP) ; celui de l'article 3-7° du même code, qui dispense de respecter les procédures du code lorsque un marché exige le secret et doit s'accompagner, pour son exécution, de mesures particulières de sécurité, ou bien lorsque la protection des intérêts essentiels de l'État est en jeu ; celui des conventions passées avec l'UGAP (Union des groupements d'achats publics) ; celui d'une convention passée avec la direction centrale du service de santé des armées au sujet d'un antivirus spécifique.

De 2007 à 2009, des marchés concernant des médicaments, des dispositifs médicaux et des services, ou concernant la réserve sanitaire, ont été conclus pour un montant de 584 millions d'euros. Les vaccins et les médicaments acquis pour lutter contre la pandémie H1N1 représentent, à eux seuls, 72 % des achats en 2009.

La Cour a observé des améliorations dans l'organisation de l'EPRUS en matière de passation des marchés. Elle s'est professionnalisée, même si l'établissement demeure une petite structure. Nous avons constaté, en examinant un échantillon de marchés passés dans le cadre du CMP, que l'EPRUS respecte les règles en vigueur. S'agissant des marchés passés en dehors du CMP, la Cour a émis des doutes sur le bien fondé du recours à cette procédure en tant que telle, mais elle n'a pas constaté d'anomalies majeures dans les marchés examinés.

J'en viens à la mise en oeuvre des missions de l'EPRUS. La Cour avait déjà appelé l'attention sur la durée de validité des stocks sanitaire et sur les règles de leur valorisation à l'époque où ils étaient gérés par l'État. La durée de validité des antiviraux et des vaccins est fixée par l'autorisation de mise sur le marché (AMM). Or un médicament ayant dépassé la date de péremption peut continuer à présenter une certaine efficacité. Compte tenu du coût des stocks, il est problématique de s'en débarrasser. Comme la Cour a déjà eu l'occasion de l'indiquer, il est urgent de définir une procédure d'appréciation des stocks et de renouvellement. L'AFSSaPS a proposé, après avoir réalisé des tests, d'augmenter la durée d'utilisation de certains produits, mais elle n'a pas le pouvoir d'en décider. Elle réalise une expertise scientifique, sans pouvoir assumer la responsabilité juridique d'une éventuelle décision.

Une solution a pourtant été proposée : la validité des produits pourrait être contrôlée chaque année par des examens réalisés en laboratoire, et les produits destinés aux stocks d'urgence ne mentionneraient plus de date limite ; seuls figureraient alors la date de fabrication et le numéro du lot concerné. Mais l'AFSSaPS est réticente à l'idée de créer deux catégories de médicaments, les uns pourvus d'une date limite, fixée dans le cadre de l'AMM, les autres sans date limite. En l'absence de base légale, aucune solution n'est envisageable pour le moment.

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