Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi organique relatif à la gestion de la dette sociale soulève une question à 130 milliards d'euros… Il est à l'origine, au sein de la majorité UMP-Nouveau Centre, pourtant traditionnellement godillot, d'une fronde contre le Gouvernement, l'obligeant à rechercher jusqu'à ces dernières heures un compromis bancal, ne satisfaisant ni les frondeurs, ni les groupes parlementaires d'opposition et encore moins les six présidents de caisse de sécurité sociale. Ce texte, doit être impérativement renvoyé en commission, pour des raisons de méthode et de fond que je me propose de développer.
Chacun mesure ici l'importance et la portée de ce texte, pièce maîtresse de la stratégie globale du Gouvernement en matière de financement de la dette sociale. Il vient en complément du projet de loi de financement de la sécurité sociale, du projet de loi de finances pour 2011, sans oublier le projet de loi réformant les retraites, lui aussi nécessaire pour assurer l'équilibre du dispositif gouvernemental.
Or, lorsqu'au début du mois de septembre, le Sénat a eu à examiner en session extraordinaire le projet de loi organique, tous les arbitrages n'étaient pas rendus, loin s'en faut. Le plan de financement envisagé par le Gouvernement n'était pas bouclé. Il ne l'est pas davantage aujourd'hui, d'ailleurs.
Si nos collègues savaient que l'augmentation de la CRDS était a priori écartée par Nicolas Sarkozy, refusant d'assumer l'augmentation des prélèvements obligatoires qu'il met pourtant doucement en musique en même temps que la baisse des droits, c'est par la presse qu'ils ont pris connaissance de la hausse de la fiscalité sur les assureurs et les mutuelles. « Difficile d'avoir une juste vision de l'équilibre du dispositif sans connaître toutes les dispositions qui figureront dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale et dans le projet de loi de finances et en ignorant la teneur exacte de la future loi sur les retraites », vous reprochait à juste titre Alain Vasselle, rapporteur général de la commission des affaires sociales du Sénat. Quelques semaines plus tard, nous ne disposons pas plus de l'ensemble des éléments permettant d'analyser globalement et de façon très précise la réforme proposée par le Gouvernement. La construction dont nous disposions s'est effondrée depuis le vote par la commission des lois et celle des affaires sociales de l'amendement supprimant l'article 1er de la présente loi organique.
Pour financer la dette sociale, le projet de loi de finances pour 2011 présenté en conseil des ministres le 29 septembre dernier prévoyait : l'assujettissement aux prélèvements sociaux de la part en euro des contrats d'assurance-vie multisupport « au fil de l'eau » et non plus au dénouement du contrat ; la taxation des fonds placés sur la réserve de capitalisation des entreprises d'assurance ; l'assujettissement à une taxe des contrats d'assurance-maladie solidaires et responsables.
Nous reviendrons ultérieurement sur ce « panier de recettes percé discutable et très discuté ». Voyons d'ores et déjà que ces trois nouvelles taxes, non encore votées, censées être affectées à la CADES pourraient en fait venir alimenter la sécurité sociale.
Nous n'avons toujours pas le texte définitif du projet de loi de financement de la sécurité sociale, nous savons seulement que l'avant-projet était construit sur la prolongation de la durée de vie de la CADES, la reprise de la dette financée par le produit des ressources susmentionnées et le versement chaque année par le FRR de 2,1 milliards d'euros à la CADES associé à l'affectation à cette caisse de la part du prélèvement de 2 % sur le capital reçue jusque-là par le FRR.
L'impact financier des ajustements à la marge consentis par le Président de la République pour tenter de faire taire la mobilisation grandissante contre la réforme des retraites est une autre inconnue de taille qui obère aujourd'hui notre jugement sur l'équilibre budgétaire et la sincérité du présent texte.
Nous ne pouvons pas a priori faire confiance au Gouvernement, à la majorité des deux assemblées sur ces sujets. « Le bricolage ne relève pas de la compétence législative » s'est fort justement écriée la sénatrice UMP Isabelle Debré en écho aux propos résignés du rapporteur de l'Union centriste pour la commission des finances invitant les élus du palais du Luxembourg à apprécier plus tard « pleinement, lors de la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale et du projet de loi de finances, la pertinence du compromis proposé par le Gouvernement, à évaluer le degré de bricolage ou de provisoire qu'il est possible d'accepter compte tenu de la situation actuelle des finances publiques ». Terrible citation !
Il eût été de bien meilleure méthode d'examiner d'abord le projet de loi de finances et le projet de loi de financement de la sécurité sociale, et de voter préalablement ces textes. C'est à cette exigence de travail au fond et de méthode, partagée même sur les bancs de droite – je renvoie aux propos tenus en commission par notre collègue Dominique Tian –, que se propose justement de répondre notre motion de renvoi en commission.
Le transfert de près de 130 milliards d'euros de déficits à la CADES qu'organise le présent texte est presque équivalent à la dette transférée à la caisse depuis sa création. Pour la première fois, un gouvernement propose une mécanique de reprise de dette ne portant pas uniquement sur les exercices passés, en cours et pour l'année à venir mais s'étendant aussi aux déficits futurs – celui de l'année 2011 seulement pour l'assurance-maladie, jusqu'en 2018 pour la branche vieillesse. De ces éléments, certes techniques mais éminemment politiques, la représentation nationale doit pouvoir débattre sereinement, sans être contrainte ou pressée par la procédure accélérée, cadre dans lequel urgence rime avec précipitation.
Qui osera dire qu'il se satisfait des conditions dans lesquelles les différentes commissions saisies pour avis et au fond ont travaillé sur ce projet de loi organique ? Sûrement pas le président de la commission des lois, « d'avis d'attendre » mais contraint par le calendrier fixé par l'exécutif et par le « règlement de l'Assemblée imposant aux commissions qui souhaitent se saisir pour avis de se prononcer avant la commission saisie au fond ».
Mes chers collègues, le Président Nicolas Sarkozy doit vraiment descendre du perchoir pour que les élus du peuple que nous sommes retrouvent leurs prérogatives de législateur et notre institution son fonctionnement démocratique !
Nul ne sort grandi de la cacophonie régnant depuis dix jours entre le Gouvernement et sa majorité et, au sein même de la majorité, entre commissions permanentes, sur le sujet de la dette sociale. Pas même l'opposition qui a soutenu, pour des motivations parfois bien différentes de celles avancées par la majorité, la suppression de l'article 1er allongeant de quatre années la durée d'amortissement de la dette sociale par la CADES et siphonnant le Fonds de réserve des retraites pour l'abonder : la majorité, ayant in fine accouché au forceps d'un deal avec le Gouvernement, est parvenue, une fois encore, à évacuer le débat sur le financement de la protection sociale, sur l'augmentation nécessaire et possible des recettes et sur la question de justice sociale de savoir qui doit supporter les nouveaux prélèvements indispensables à la sauvegarde de notre modèle social.
Nous savions que certains impératifs politiques et votre volonté de ne pas ajouter aux difficultés du Gouvernement et de son chef, qui a perdu la bataille de l'opinion sur la réforme des retraites, l'emporteraient lâchement sur le courage de certains de refuser la nouvelle fuite en avant organisée par celui-ci en choisissant de reporter sur les générations futures le financement des dépenses d'assurance-maladie et de vieillesse d'aujourd'hui.
La majorité sénatoriale s'était bien accommodée des propos du ministre admettant qu'il est peu glorieux d'allonger la durée de vie de la CADES, mais en avançant comme unique argument l'absence d'autre choix. Après avoir émis de vraies et nombreuses réserves sur le plan de financement du nouveau report de dettes envisagé par le Gouvernement, et plus particulièrement sur les trois recettes provenant du secteur des assurances censées rapporter 3,2 milliards d'euros en 2011 pour permettre à la CADES de reprendre les 34 milliards d'euros de déficits structurels – recettes n'offrant pas les garanties de stabilité et de dynamisme nécessaire et risquant notamment d'entraîner une baisse du pouvoir d'achat des ménages modestes, les mutuelles répercutant ces taxations sur le montant des cotisations –, les sénateurs de droite ont fini par voter le texte.
Dans un courrier explicite, le ministre reconnaissait qu'en raison de la « dynamique décroissante » d'une partie des nouveaux prélèvements, il faudrait, dès l'an prochain, de nouvelles recettes « suppression de nouvelles niches fiscales et sociales » ou, « à défaut », une « hausse progressive de la CRDS ». La majorité sénatoriale, consciente que le compte n'y était pas, a pris la peine d'introduire dans le texte une clause de garantie synonyme d'augmentation automatique d'une des recettes propres de la CADES, CRDS ou CSG dans un prochain PLFSS à défaut de recettes suffisantes pour garantir la prise en charge de la dette nouvelle d'ici à 2025.
Au sein de notre assemblée, la majorité, plus rebelle en apparence, est allée jusqu'à infliger un réel camouflet au Gouvernement en refusant le principe même de l'allongement de la durée d'amortissement de la dette sociale. La majorité, temporairement, n'a pas accepté de déroger au principe organique posé en 2005 par le législateur selon lequel tout nouveau transfert de dette à la CADES est accompagné d'une augmentation des recettes de cette caisse permettant de ne pas accroître la durée d'amortissement de la dette sociale.
« Les lois organiques doivent fixer des règles durables, pas être des lois de circonstance » mettait en garde Yves Bur. « En 2005, on a posé un verrou. Le Gouvernement veut déjà le faire sauter ! Bien entendu il nous promet que ce sera la “der des ders”, mais, dans trois ou quatre ans, on trouvera d'autres raisons pour repousser l'échéance… Alors que le Président de la République veut instaurer des règles pour encadrer les déficits publics, on efface la seule qui existe, quel paradoxe ! », poursuivait fort à propos notre collègue – qu'il est agréable d'entendre ces citations… Incroyable mais vrai, le Gouvernement désespère le rapporteur UMP ! (Sourires sur les bancs de la commission.)
« Ce débat essentiel est pour nous l'occasion d'envoyer le signal que l'heure n'est plus aux solutions de facilité. Nous le devons aux générations futures et à l'ensemble de nos concitoyens, à qui nous devons prouver que la classe politique refuse la fuite en avant », plaidait en commission des affaires sociales notre rapporteur pour avis à l'appui de son amendement de suppression de l'article 1er. Que dire de plus ?
« Le respect de sa parole par l'État est un principe essentiel et le transgresser serait ouvrir la boîte de Pandore », appuyait une autre députée UMP, Mme Valérie Rosso-Debord, en attente elle aussi d'un plan B envisagé par le président Pierre Méhaignerie, qui ne serait ni la prolongation de la durée de vie de la CADES ni l'augmentation de la CSG ou de la CRDS,
Ces arguments de principe ont également été avancés par le rapporteur de la commission des lois saisie au fond pour justifier la suppression de l'article 1er au coeur du mécano ou, plus exactement, de la tuyauterie gouvernementale.
La rapporteure villepiniste pour la commission des finances a été la seule à accepter le report de 2021 à 2025 de l'échéance de la CADES, entorse à une règle dite intangible, faisant courir, en l'état des recettes affectées, un risque réel pour le portage de la dette sociale, mais rendu inévitable par la situation dite de crise que nous connaissons.
En revanche, comme ses deux autres collègues, elle s'est livrée à une charge en règle parfaitement justifiée contre le schéma de reprise de dette proposé, largement insuffisant et « inacceptable en l'état », prenant en compte les seuls déficits cumulés de la branche maladie au titre des années 2009 et 2011, sachant que le PLFSS pour 2011 ne suffira pas à résorber les déficits futurs ni de l'assurance maladie ni de la branche famille. Tous ont dénoncé les « financements hasardeux » que représentent les trois nouvelles taxes non pérennes sur les assurances, comme la « double rêverie » concernant le Fonds de réserve des retraites, voire les incertitudes persistantes sur les modalités retenues pour la mobilisation du FRR au profit de la CADES. Sans aller, comme nous l'aurions souhaité, jusqu'à dénoncer le pillage de ce dernier par le Gouvernement pour financer à moitié sa réforme des retraites, ils ont plaidé plutôt pour un scénario de transfert global et immédiat des actifs de FRR, solution tout aussi insatisfaisante que celle retenue par le Gouvernement.
Pour mettre fin à ces divisions internes à la majorité tout en respectant scrupuleusement les postulats sarkoziens d'allongement de durée de vie de la CADES sans hausse apparente d'impôts ni augmentation de la CDRS, ce qui rend encore plus intenable le maintien en l'état du bouclier fiscal, Mme Montchamp est aujourd'hui porteuse d'un amendement déshabillant Pierre pour habiller Jacques.
Afin d'offrir une porte de sortie à François Fillon menaçant, à demi-mot mais tout de même, d'engager la responsabilité de son gouvernement sur ce texte vide de substance sans l'article 1er, cet amendement propose un troc, un changement d'affectation des recettes des trois nouvelles taxes sur les assurances de la CADES vers la branche famille afin de permettre, en retour, à la CADES de bénéficier d'une part à hauteur de 3,5 milliards de la CSG finançant actuellement les régimes de sécurité sociale. Bref, voilà un amendement de camouflage le moins transparent possible de la nouvelle usine à gaz, la pire peut-être que vous ayez réussi à mettre en place. Un amendement revenant à « dépouiller la sécurité sociale d'une recette dynamique pour la remplacer par une recette incertaine », dixit encore Yves Bur. Cette solution d'affichage ne règle pas le problème du caractère aléatoire de ces recettes toujours aussi peu dynamiques, au mieux elle le déplace. Une telle mesure soulève l'opposition résolue des six présidents de caisses – retraites, maladie, famille, recouvrement, MSA et RSI –, fragilise les recettes de la sécurité sociale, et prive, dès 2013, le régime général de près d'un milliard d'euros de ressources.
Cette solution, tout autant de bric et de broc que celle du Gouvernement, jamais envisagée devant la commission des affaires sociales, et qui n'est en rien le plan B, la troisième voie attendue, a-t-elle les faveurs du Gouvernement et de la majorité ? Règle-t-elle au fond et à long terme la question de la dette sociale ? Quelle est sa portée exacte ? Hier encore, en préparant cette intervention, nous ne le savions pas précisément, ce qui est totalement inadmissible.
Autant de questions auxquelles le Gouvernement et sa majorité doivent répondre au fond, sans précipitation ni exclusive, en reprenant le travail en commission.
Écoutez ce qu'en pensent les conseils d'administration des caisses : « un tel projet remettrait gravement en cause l'équilibre du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2011 » – projet de loi lequel les conseils d'administration ont en outre déjà rendu un avis défavorable. Voilà un élément supplémentaire qui milite en faveur de l'adoption de notre motion de renvoi en commission.
Sur un sujet comme la dette sociale, si central et si structurant pour les générations à venir, vous devriez accepter de prendre le temps d'expliquer vos choix, d'ouvrir le débat sans interdits que nous demandons, la négociation que réclament les organisations syndicales sur le financement de la protection sociale dans son ensemble.
Cessez de vous satisfaire de palliatifs, de mesurettes d'économie sur les droits, et de refuser d'accroître les ressources de la protection sociale. Cessez de cibler la seule « dette de crise », admettez vos responsabilités dans le matière de creusement des déficits structurels, dans l'échec des réformes censées ramener les comptes sociaux à l'équilibre, de Balladur à Fillon et de Fillon à Douste-Blazy, mais qui font le bonheur des marchés financiers. Sortez du dogme de la baisse des prélèvements obligatoires et attelez-vous à rétablir la justice fiscale.
Redonnons à la commission des affaires sociales le temps de trouver la solution. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)