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Intervention de Henri Bourguinat

Réunion du 15 septembre 2010 à 17h00
Commission d'enquête sur les mécanismes de spéculation affectant le fonctionnement des économies

Henri Bourguinat, professeur à l'université de Bordeaux-IV :

Il est vrai, Monsieur Giacobbi, que la recherche des origines de la crise ne saurait ignorer le volume des capitaux en jeu et l'excès de liquidités. Il y a une relation de cause à effet entre, d'une part, les déficits américains du compte courant et du budget et, d'autre part, la crise financière. Durant des décennies, les États-Unis ont à ce point répandu des liquidités à travers le monde qu'il a fallu, à un moment donné, démultiplier les liquidités primaires en passant aux dérivés du crédit et aux obligations classées triple A. Nous subissons aujourd'hui les retombées de cette politique. S'il arrivait, un jour, qu'on se mît à douter de la capacité des États-Unis à faire face à leurs dettes, les conséquences seraient très lourdes. La situation est donc sérieuse.

Je citerai Adair Turner, ancien président de la FSA (Financial services authority). Il a surpris son monde en soulignant que les chiffres devaient donner à réfléchir : entre 650 000 et 950 000 milliards pour les dérivés de crédit, et 100 000 milliards pour les crédits bancaires. À ses yeux, on peut douter de l'utilité sociale d'une partie de la finance actuelle. Il a raison : une partie importante de la finance est en surplomb. Toutefois, je ne vois pas très bien comment on pourrait la faire rentrer dans une dynamique d'utilité sociale.

En ce qui concerne la régulation, Monsieur Gorges, je pense que votre orientation est rationnelle mais elle suppose que les banques ne dépassent pas un quantum déterminé. Le bilan de la plus grande banque française dépasse 1 600 ou 1 700 milliards d'euros. Imaginez-vous un Premier ministre annonçant un soir aux Français qu'il accepte la faillite d'un tel mastodonte ? L'effet serait « cataclysmique ». Lorsque Lehman Brothers a fait faillite, les conséquences ont été très lourdes. On ne doit donc recourir à un tel remède qu'avec la plus grande prudence. Il est vrai en revanche que les banquiers doivent toujours avoir présent à l'esprit le risque de ruine. Le hasard moral permet au spéculateur de se sentir protégé des conséquences des bêtises qu'il commet, ce qui l'incite à récidiver. Certes, les banquiers ne font pas exprès de tomber en faillite. Toutefois, s'ils savent qu'ils seront sauvés, ils ne réagiront pas avec la même acuité que dans le cas contraire. Le drame, c'est qu'à la suite de la crise, le « hasard moral » a été légitimé. Vos solutions sont certainement efficaces et de bon sens mais on ne pourra y recourir qu'avec réticence.

Vous avez également raison : on ne devrait pas avoir le droit de vendre ce qu'on ne possède pas. Toutefois, lorsque le chancelier d'Allemagne, Mme Angela Merkel, a pris une telle décision, ce fut un tollé épouvantable, y compris au sein des instances européennes, notamment à l'instigation des Britanniques : l'Europe protesta qu'il était inadmissible qu'une telle décision pût être prise à l'échelle d'un seul pays. Or, mesdames et messieurs les députés, nous n'obtiendrons jamais le consensus de nos voisins européens pour prendre une telle mesure. Seule une décision a minima sera prise à la demande des pays qui désireront réagir le moins possible à l'encontre du secteur financier. Les incertitudes en la matière sont donc nombreuses et la bataille est loin d'être gagnée.

Des travaux sont actuellement menés et on voit se dessiner quelques progrès, y compris sur le plan européen. Toutefois, tant qu'on n'aura pas touché à la titrisation et à la dimension des banques et traité la question de la séparation des opérations de banques de dépôt et de banques d'affaires, la réforme financière ne partira pas sur de bonnes bases. Espérons que d'ici à un an ou deux, une prise de conscience s'opérera permettant d'évoluer vers de véritables solutions.

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