Vous avez évoqué Nicholas Kaldor : il a défendu la spéculation et enseigné à Harvard dans les années 1980 l'imperfection des marchés et l'inadéquation de l'offre et de la demande pour produire un prix rigoureux.
J'ai lu, plus jeune, François Perroux, Jean Denizet ou Henri Bourguinat, qui s'inquiétaient du déséquilibre structurel de la balance des paiements américaine et de la croissance autonome des eurodollars – des dollars non-résidents – et des masses flottantes et spéculatives, alors que les chiffres étaient à l'époque, par rapport à ce qu'ils sont aujourd'hui, très bas – 80 milliards de dollars de déficit des balances américaines de paiement courant. Aujourd'hui, de tels chiffres feraient presque rire.
J'attendais la crise depuis des années : sans oublier vos ouvrages, un livre de Richard Duncan, The Dollar Crisis, l'annonçait. Elle est arrivée en avril 2007.
Aujourd'hui, les masses en cause représentent des dizaines de milliers de milliards. De plus, au cours des années précédentes, pour remédier aux bulles successives, on a baissé les taux d'intérêt et augmenter les liquidités, ce qui revient à soigner un alcoolique en lui faisant ingurgiter massivement du whisky – cela présente l'avantage d'éviter le sevrage mais ne fait qu'aggraver le mal.
À l'heure actuelle, chacun se focalise sur la réglementation : or, comme je l'ai déjà écrit, elle sera inefficace tant qu'on n'aura pas réfléchi à une approche quantitative. C'est en effet la quantité du problème qu'il convient de diminuer en limitant notamment les masses de capitaux flottants grâce à des politiques structurelles de balances des paiements, qui empêcheraient, en particulier les États-Unis, de demeurer perpétuellement en déficit. Ceux-ci injectent en effet chaque année dans la masse spéculative 200 à 300 milliards, qui, de plus, s'autoreproduisent avec le mécanisme des eurodollars. Quelles que soient les règles fixées, elles seront incapables d'agir sur des masses qui augmentent sans cesse.
Il convient également de conduire des politiques de taux d'intérêt qui préviennent, par une hausse justifiée, la bulle spéculative. Paul Volcker a su imposer des taux d'intérêt réels à 17 % : il a été décrié, il n'en reste pas moins que l'économie américaine s'en est mieux portée durant des années et que le dollar a été restauré. Il aurait mieux valu continuer de suivre ses conseils plutôt que ceux de MM. Bernanke et Greenspan.
S'agissant des ratios de Bâle, chacun sait que personne ne saurait connaître les fonds propres d'une banque à partir du moment où elle titrise massivement. Elle devrait diminuer ses fonds propres en fonction des provisions du haut risque : elle ne le fait pas. Les fonds propres annoncés sont dès lors évidemment faux. A-t-on une idée de la quantité de crédit qu'elle garantit ? Non, puisqu'elle en a quatre fois plus hors banque que chez elle. Un rapport de 7 % ou 8 % entre des fonds propres dont on ignore la quantité exacte parce qu'ils ne sont pas provisionnés comme il le faudrait et un portefeuille de créances qui s'élève au quart de ce qu'il est en réalité, cela n'a aucune signification. C'est de surcroît désavantageux pour les entreprises.
Je terminerai par une anecdote : la titrisation était entièrement garantie par une seule société d'assurance, AIG (American international group). Lorsque cette société a été sur le point de faire faillite, le trésor américain, pour l'éviter, a envoyé un message aux banquiers de la place en leur annonçant que cette société avait à elle seule générer un risque à hauteur de 600 milliards de dollars : les banques ont cru que le trésor américain s'était trompé d'un ou deux zéros. Il ne s'était pas trompé ! Face à des systèmes pouvant engendrer des pertes aussi considérables, comment croire à l'efficacité de la réglementation ?